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La diplomatie climatique des monarchies du Golfe : levier d’influence et outil de puissance

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Face à une urgence climatique mondiale croissante, les monarchies du Golfe s’imposent progressivement comme des acteurs diplomatiques incontournables. Loin d’être de simples spectatrices des négociations internationales, elles mobilisent leur diplomatie climatique comme un levier stratégique d’influence, entre enjeux de puissance, diversification économique et ambitions géopolitiques. L’Observatoire Défense et Climat, lancé en décembre 2016 afin d’analyser les interactions entre enjeux climatiques, sécurité et défense, a ainsi conduit une étude approfondie sur la diplomatie climatique des monarchies du Golfe. Ce rapport, dont les principales conclusions sont synthétisées dans cet article, explore comment ces États font du climat un outil de projection de puissance sur la scène internationale.

Longtemps perçues comme de simples exportatrices d’hydrocarbures, les monarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, Oman et Bahreïn – ont profondément transformé leur posture vis-à-vis des enjeux environnementaux et climatiques. Si leurs premières initiatives remontent aux années 1980, c’est surtout à partir de la fin des années 2000 qu’un tournant significatif s’opère : les préoccupations climatiques s’inscrivent alors dans des stratégies nationales plus larges, alliant diversification économique et affirmation diplomatique.

Dans un contexte de vulnérabilité accrue face aux effets du changement climatique, ces États développent une diplomatie climatique ambitieuse, utilisant les forums internationaux comme tremplins pour affirmer leur influence (COP). À travers une analyse en trois volets de l’Observatoire Défense et  Climat (1), — leur exposition aux risques climatiques et les réponses apportées (I), leur implication dans le multilatéralisme climatique mondial (II), leur stratégie d’influence sur le continent africain (III) — cet article examine comment la question climatique est devenue un instrument de projection de puissance pour les monarchies du Golfe. Enfin, la note propose trois scénarii de prospective, accompagnés de recommandations à destination du ministère des Armées (IV).

Les monarchies du Golfe face au climat : entre vulnérabilités structurelles et stratégie de légitimation

Les pays du Golfe (CCG) se retrouvent confrontées à un paradoxe climatique majeur : bien que leurs économies aient prospéré grâce à l’exploitation intensive des hydrocarbures, elles font aujourd’hui partie des régions les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Cette situation crée un dilemme stratégique profond, où l’efficacité ou l’échec des réponses climatiques peut tout autant renforcer la légitimité politique des régimes que l’éroder dangereusement.

Des vulnérabilités structurelles face à un environnement en crise

La région du Golfe connaît une augmentation rapide des températures terrestres et marines, perturbant le cycle de l’eau, exacerbant les épisodes de stress thermique et multipliant les événements climatiques extrêmes. Cette dynamique met en péril la sécurité humaine dans une région déjà marquée par l’aridité naturelle, la pénurie d’eau douce et une forte dépendance aux importations alimentaires. La montée des eaux et les vagues de chaleur, terrestres et marines, affectent à la fois la biodiversité, les infrastructures côtières et les modes de vie urbains, menaçant de rendre certaines zones littorales inhabitables à moyen terme.

Des logiques de développement en contradiction avec les impératifs climatiques

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Face à cette réalité, les États du CCG se sont engagés dans la transition climatique, non seulement en réponse aux urgences environnementales, mais aussi pour sécuriser leur modèle politique. Ils ont progressivement adopté un discours volontariste sur le climat, articulé autour de visions nationales ambitieuses et de grands projets structurants (Vision 2030 en Arabie saoudite, Masdar City aux Émirats, etc.). Ces stratégies visent à diversifier leurs économies et à construire une image de modernité, tout en maintenant une croissance forte décarbonée sur le long terme.

Cependant, cette transition s’inscrit dans un contexte institutionnel marqué par des tensions internes. Pour consolider leur pouvoir, les régimes monarchiques mettent en œuvre des mécanismes de cooptation, multipliant les agences, conseils et entités stratégiques, ce qui entraîne une hypertrophie bureaucratique contre-productive. La multiplicité des acteurs, souvent peu coordonnés, conduit à des incohérences politiques flagrantes, comme en Arabie saoudite où les efforts de réduction de la consommation d’eau (programme Qatrah) ont été annulés par des projets urbains consommateurs de ressources (Green Riyadh, King Salman Park). Ces contradictions illustrent les limites structurelles du technosolutionnisme dominant dans la région : une croyance dans les technologies et l’innovation comme réponse principale à la crise, sans remise en cause des fondements extractivistes et consuméristes du modèle économique.

Une diplomatie climatique à visée stratégique

Au-delà des frontières nationales, les monarchies du Golfe investissent aujourd’hui le multilatéralisme climatique comme un espace d’influence géopolitique. Si elles ont longtemps été réticentes à s’engager dans les négociations internationales par crainte de nuire à leurs industries fossiles, leur participation s’est accélérée à partir de la Conférence de Rio en 1992. Le déclin anticipé des revenus pétroliers, les impacts visibles de la dégradation environnementale, et la nécessité de se repositionner sur la scène internationale ont conduit les États du CCG à intégrer progressivement l’agenda climatique global.

La signature de l’Accord de Paris en 2015 par tous les membres du CCG a marqué un tournant. Les Émirats arabes unis et le Qatar, pionniers en la matière, ont vu dans l’engagement environnemental une opportunité de renforcer leur soft power, d’attirer les investissements étrangers, et de diversifier leur économie via des projets emblématiques – parfois plus visibles que durables. L’organisation d’événements internationaux comme les COP, les Jeux asiatiques ou les Expositions universelles, participe d’une stratégie de communication visant à asseoir leur statut de leaders régionaux et modernes sur la scène mondiale.

Une légitimité en tension

L’implication des pays du Golfe dans la lutte contre le changement climatique ne peut donc être dissociée des enjeux de légitimité politique. Le climat devient un levier de sécurisation des régimes : s’y engager permet de répondre à une demande sociale croissante, d’assurer la continuité de la prospérité économique et d’alimenter un récit nationaliste fondé sur le progrès technologique et la grandeur architecturale. Mais cette stratégie comporte aussi des risques. Le décalage entre les annonces ambitieuses et les résultats concrets fragilise la crédibilité des politiques publiques, tout comme les coûts budgétaires très élevés de certains projets qui peinent à aboutir (comme Masdar ou The Line).

La multiplication des projets spectaculaires masque souvent une absence de prise en compte systémique des causes profondes de la crise climatique, notamment la dépendance persistante aux énergies fossiles. Ce manque de cohérence pourrait, à terme, nuire à la stabilité des régimes si les effets du changement climatique s’aggravent et que les populations locales perçoivent ces stratégies comme inadaptées à leurs besoins réels.

Les pays du CCG s’impliquent dans la lutte contre le changement climatique non seulement parce qu’ils en subissent déjà de plein fouet les effets, mais aussi parce que cet engagement constitue un outil stratégique de transformation et de préservation du pouvoir. Le défi climatique agit à la fois comme catalyseur de changement et révélateur des tensions inhérentes à leurs systèmes politico-économiques. Entre volonté d’influence internationale, pression environnementale croissante et besoin de stabilité intérieure, les monarchies du Golfe avancent sur une ligne de crête, où la réussite – ou l’échec – de leurs politiques climatiques pourrait redéfinir durablement leur avenir politique.

I – L’exposition climatique de la péninsule arabique : des vulnérabilités que tentent d’intégrer les pays du CCG

Diplomatie climatique des monarchies du Golfe

Des logiques de développement vulnérables face aux changements climatiques

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Le développement économique rapide des pays du CCG, rendu possible par l’exploitation intensive des ressources hydrocarbures, a entraîné une forte croissance démographique ainsi qu’un taux d’urbanisation très élevé. Cette dynamique exerce une pression accrue sur des ressources naturelles déjà limitées, en particulier l’eau. Par ailleurs, la péninsule Arabique est, par sa situation géographique, naturellement exposée aux effets du changement climatique. L’augmentation des températures terrestres, combinée à l’humidité des zones côtières, compromet l’habitabilité de nombreuses villes et représente un risque pour la santé publique. L’élévation des températures marines perturbe le cycle de l’eau, entraînant une intensification de fortes pluies, des tempêtes de sable et des cyclones tropicaux. Dans ce contexte, les stratégies de développement adoptées par les pays du CCG — caractérisées par une consommation excessive d’eau et d’énergie — aggravent ces vulnérabilités et renforcent la fragilité structurelle de la région face aux dérèglements climatiques.

Les conséquences des changements climatiques sur les pétromonarchies : des vulnérabilités multidimensionnelles

Les vulnérabilités liées aux changements climatiques dans les pays du CCG sont d’abord de nature sociale. La sécurité des ressources essentielles, en particulier l’eau et l’alimentation, repose sur des systèmes de dessalement, qui fournit environ 71 % de l’approvisionnement en eau, et d’importations massives des denrées alimentaires — deux dépendances appelées à s’intensifier dans les années venir. Ces vulnérabilités sont également d’ordre énergétique et économique. Les stratégies nationales de diversification, centrées notamment sur le développement des énergies renouvelables, se heurtent aux conditions météo-climatiques de plus en plus contraignantes induites par les changements climatiques. Enfin, ces fragilités sont politiques : la stabilité des États du CCG est largement assurée par leur richesse économique. Or, l’aggravation des effets climatiques pourrait fragiliser cet équilibre et générer des tensions internes au sein de la péninsule.

Des stratégies de transformation visant à sécuriser les régimes en place

Dans le cadre de la transition énergétique, les pays du CCG mettent en place des mécanismes de cooptation pour étendre la légitimité des dirigeants au pouvoir et sécuriser leur régime fondé sur la distribution d’une rente pétrolière. Pour ce faire, ils s’assurent notamment de la loyauté des acteurs clef vis-à-vis du pouvoir en place. Mais ces dynamiques entraînent une hypertrophie bureaucratique qui nuit à la qualité et la cohérence des politiques environnementales. En résulte une approche développementaliste, basée sur le technosolutionnisme et une communication forte autour de nombreux plans et visions nationales, lesquels soutiennent une diversification économique dans laquelle le rôle de l’énergie reste central.

II. Le multilatéralisme climatique : espace d’influence des stratégies climatiques des pays du CCG

L’évolution de l’attitude des pays du CCG face aux négociations climatiques multilatérales

Au XIXe siècle, les pays du CCG se sont montrés réticents à s’engager au sein des négociations environnementales multilatérales, perçues comme une contrainte pour leur croissance économique basée sur les hydrocarbures. Pourtant, leur participation à l’agenda environnemental mondial augmente à partir de la Conférence de Rio (1992). Les années 2000 marquent ensuite un engagement plus important, dans le contexte du déclin anticipé des revenus issus du pétrole. Entraînés par les É.A.U. et le Qatar, les États du CCG signent l’Accord de Paris en 2015, se soumettant à des obligations de réduction de leurs émissions. Cette évolution des positions des pays du CCG dans le cadre des négociations environnementales et climatiques internationales depuis les années 1990 montre une prise de conscience de l’intérêt stratégique des enjeux climatiques, et de leur potentiel d’influence.

Des ambitions partagées, mais des intérêts divergents dans un contexte de rivalité pour le leadership régional

Dans l’ensemble, les pays du CCG poursuivent des objectifs relativement similaires, en cherchant à défendre, plus ou moins ouvertement, les énergies fossiles et des stratégies peu transformatives.
Pourtant, le CCG ne forme pas un bloc homogène, chaque État se distinguant par ses spécificités énergétiques et politiques ainsi que par sa propre dynamique de diversification. Deux dynamiques d’engagement se dégagent : d’une part, l’Arabie saoudite, les É.A.U. et le Qatar affichent une volonté d’influer sur les négociations climatiques ; d’autre part, Oman, Bahreïn et le Koweït témoignent d’un engagement plus modéré. Par ailleurs, les enjeux climatiques constituent également un terrain d’expression de la compétition entre les États du CCG, à travers les annonces de grands projets d’infrastructures ou d’initiatives en matière de développement durable par exemple.

Des stratégies multiples pour promouvoir leurs agendas dans le cadre onusien, mais également dans d’autres instances multilatérales

Au-delà de ces dynamiques régionales, les États du CCG ont adopté diverses stratégies pour avancer leur agenda dans le cadre onusien. Ces leviers d’influence peuvent s’exercer tant à travers l’organisation des COP que dans les négociations en elles-mêmes. Ainsi, plusieurs tactiques peuvent être employées : le choix du lieu où la Conférence se déroule, le niveau d’expertise et la taille des délégations ou le profil des délégués. De même, l’accréditation d’un nombre croissant de lobbyistes,
représentant les intérêts d’acteurs privés parfois convergents avec les intérêts de certains États, renforce les positions de certaines délégations. Les pays du CCG ont également recours à des stratégies sémantiques, rhétoriques et narratives ou d’ordre temporel. Ces techniques sont également observées lors des conférences de Bonn, préparations essentielles aux COP, au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et lors des réunions du G20.

III. Les enjeux climatiques au coeur de la politique étrangère des Etats du Golfe en Afrique  

Entre coopération bilatérale et sécurisation des ressources

La diplomatie climatique des pays du CCG s’exerce à travers le renforcement de leurs relations bilatérales avec plusieurs États africains. Cette convergence sur les enjeux climatiques présente une certaine ambivalence. D’une part, elle se manifeste par un alignement dans les négociations internationales, notamment dans le cadre des COP, ainsi que par des initiatives de coopération de plus en plus orientées vers les problématiques environnementales, ou encore un soutien à travers des interventions extérieures de secours d’urgence (IESU). D’autre part, cette implication sert également les intérêts des États du Golfe, en particulier des É.A.U., de l’Arabie saoudite et du Qatar, en leur permettant d’externaliser partiellement leurs réponses aux défis climatiques par le biais d’institutions étatiques ou d’entreprises soutenues par leurs fonds souverains.

La stratégie minière émirienne, reflet des ambitions des pays du CCG en Afrique

Dans le cadre des ambitions de diversification économique, les pays du CCG tentent de sécuriser leur approvisionnement en minerais et métaux, un effort illustré par la stratégie minière des É.A.U. en Afrique. Les É.A.U. sécurisent l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement grâce à un maillage des côtes africaines par le biais des entreprises émiriennes DP World et AD Ports, facilitant l’accès aux terres et le contrôle sur le transport. Cette stratégie minière s’insère par ailleurs dans une politique
d’influence soutenue par les armées émiriennes en Afrique, notamment à travers la stabilisation des régimes en place des États partenaires ainsi qu’à travers l’appui à certains groupes armés non étatiques dans les zones instables.

Sécurisation des ressources du continent africain par les monarchies du Golfe

L’externalisation de la sécurité alimentaire des États du Golfe

Face à la fragilisation de leur sécurité alimentaire, les États du CCG ont développé des partenariats d’importations massives de denrées alimentaires auxquelles le Qatar est dépendant à 90 %, les É.A.U. à 85 % et l’Arabie saoudite à 80 %. À la suite de la crise mondiale sur les prix alimentaires de 2008, les monarchies du Golfe ont engagé des stratégies d’acquisition de terres à l’étranger, devenant des producteurs agricoles en dehors de leur territoire national, notamment dans les États de la Corne de l’Afrique. Cet accaparement de terres entraîne des répercussions considérables sur les populations locales, les contrats de cession de terre étant souvent négociés sans consultation des communautés locales et les compensations insuffisantes, voire inexistantes.

Les stratégies d’atténuation des États du CCG en Afrique : la compensation carbone, nouvel élan d’accaparement vert

Dans le but de poursuivre l’exploitation d’énergies fossiles, les États du CCG s’appuient sur le mécanisme de crédits carbone, négocié dans le cadre de la CCNUCC. En effet, l’exploitation du patrimoine foncier des États africains permet la décarbonation des acteurs étatiques et privés qui, par l’achat de ces crédits, compensent leurs émissions. Les États du CCG soulignent ainsi leurs efforts vers la neutralité carbone et valorisent leur image d’États responsables sur le plan climatique. Le développement de ces nouveaux actifs financiers, dont les États du CCG perçoivent une partie des revenus, constitue également un enjeu de diversification majeur pour les monarchies du Golfe et une source de sécurisation de revenus issus de l’économie environnementale.

IV – Scenarii de prospective et recommandations

Scenarii de prospective

Recommandations

  • Mise en place d’un side-event sur le climat lors des dialogues stratégiques avec les États du CCG ;
  • Développement d’un partenariat opérationnel pour la formation des Forces armées des É.A.U. sur les opérations HADR ;
  • Adaptation des forces françaises prépositionnées aux É.A.U. dans le cadre des changements climatiques ;
  • Développer une meilleure compréhension des enjeux sécuritaires en Afrique en lien avec les approvisionnements stratégiques dans le cadre de la transition écologique.

Conclusion /Les monarchies du Golfe jouent-elles vraiment le jeu ?

Rappelonq que les stratégies d’influence déployées par les États du CCG s’appuient à la fois sur les leviers du soft power  – tels que la diplomatie, la coopération ou l’aide au développement – et sur ceux du hard power, incluant notamment les pressions économiques ou, dans certains cas, le déploiement de capacités militaires.

À première vue, les monarchies du Golfe semblent engagées dans la lutte contre le changement climatique. Organisation de sommets internationaux, annonces spectaculaires autour de l’hydrogène vert, construction de « smart cities » et ambitions affichées de neutralité carbone : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou encore le Qatar se positionnent désormais comme des acteurs incontournables de la diplomatie climatique. Mais une question demeure : s’agit-il vraiment d’un engagement sincère, ou d’un simple exercice de repositionnement stratégique ?

Car si les monarchies du Golfe adoptent le langage et les symboles de la transition énergétique, elles n’en remettent pas moins en cause le cœur du problème : leur dépendance à l’exportation massive de combustibles fossiles. Bien au contraire, plusieurs d’entre elles continuent d’investir lourdement pour augmenter leur capacité de production pétrolière, parfois à des niveaux records. L’Arabie saoudite, par exemple, prévoit de porter sa capacité à 13 millions de barils par jour, consolidant ainsi sa position dominante sur un marché mondial qu’elle sait encore avide de pétrole bon marché.

Ce paradoxe révèle la véritable nature de l’engagement climatique des pétromonarchies : une stratégie d’adaptation politique et économique à un monde qui se décarbone, sans remise en question structurelle du modèle rentier fondé sur les hydrocarbures. En d’autres termes, il s’agit moins de lutter contre le changement climatique que de l’intégrer dans leur logique de puissance.

Les efforts réalisés ne sont pas inexistants. Sur le plan national, des projets de diversification énergétique, d’efficacité énergétique, voire de captage carbone ont vu le jour. Ces initiatives permettent à ces États d’améliorer leur image à l’international, d’attirer des capitaux, et de se positionner comme des hubs de la transition verte. Mais leur portée reste largement limitée : les émissions exportées — c’est-à-dire générées par les combustibles fossiles vendus à l’étranger — ne sont pas comptabilisées, et les approches techno-centrées servent souvent à éviter les réformes structurelles profondes.

La contradiction est donc frontale : ces régimes affirment vouloir sauver le climat tout en vendant ce qui le détruit. Et cette contradiction est entretenue par une diplomatie climatique très active, qui utilise l’agenda environnemental comme un levier de soft power. L’organisation de sommets (comme la COP28 à Dubaï), les promesses de neutralité carbone à l’horizon 2060, ou encore les projets urbains futuristes tels que The Line ou Masdar City sont autant de dispositifs de communication conçus pour verdir l’image de ces États tout en renforçant leur légitimité politique.

Il serait toutefois trop simpliste de réduire cette stratégie à un simple exercice de greenwashing. Ces actions s’inscrivent dans une logique plus large : celle d’États qui cherchent à renouveler leur modèle de légitimité sans perdre leur socle économique, à l’heure où le pétrole devient autant un pilier de puissance qu’une source croissante de vulnérabilité.

En somme, les monarchies du Golfe ne se battent pas tant contre le changement climatique qu’avec lui. Elles en font un outil d’adaptation politique, de repositionnement stratégique et de renforcement d’influence, sans pour autant rompre avec le système qui les a rendues puissantes. Leur diplomatie climatique est performative, sélective, et foncièrement pragmatique — mais tant qu’elle ne s’accompagnera pas d’une réelle baisse de la dépendance aux énergies fossiles, elle restera une réponse incomplète à une crise systémique.

(1) L’Observatoire Défense & Climat, lancé en décembre 2016, a pour objectif d’étudier les enjeux de sécurité et de défense liés au climat. Il est coordonné par l’IRIS dans le cadre du contrat réalisé pour le compte de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées.

Source : Observatoire de la Défense

Photo d’en-tête : Les drapeaux des États membres du Conseil de coopération du Golfe lors du sommet de l’organisation à Koweït, le 5 décembre 2017. Photo AFP

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