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Changement climatique : menace sur le puits de carbone forestier français

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Les forêts françaises occupent 31 % du territoire métropolitain. En piégeant le CO2 atmosphérique, elles contribuent de manière décisive à la lutte contre le réchauffement climatique. Un rôle aujourd’hui menacé, alerte l’Académie des sciences.

Alors que la France s’était engagée à atteindre la neutralité carbone dès 2050, avec un rôle de puits et de stockage de carbone des forêts, considéré comme un élément majeur de sa Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), un nouveau rapport de l’Académie des sciences consacré aux forêts françaises face au changement climatique, dresse un état des lieux des forêts françaises. Ce rapport met notamment en évidence la diminution du puits de carbone forestier depuis une dizaine d’années. Elle formule également des recommandations pour la recherche, la gestion forestière, la filière bois et les politiques publiques.

Les forêts, des puits de carbone naturels

À l’instar des océans, les forêts font partie des principaux puits de carbone atmosphérique à l’échelle globale, ces réservoirs – naturels ou artificiels – qui stockent le CO2 en dehors de l’atmosphère. Elles soustraient du dioxyde de carbone à l’atmosphère grâce à la photosynthèse puis le stockent dans le bois et dans les sols. Le CO2 y est « piégé » pendant plusieurs dizaines ou centaines d’années selon le monde d’exploitation des forêts et le devenir du bois récolté.

Une contribution décisive, mais menacée, à la stratégie bas-carbone

Les forêts jouent donc un rôle majeur dans la Stratégie nationale bas carbone, la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique. Cette dernière, qui donne des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas-carbone, circulaire et durable, définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050, avec un double objectif : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et réduire l’empreinte carbone de la consommation des Français.

Or le puits forestier a fortement diminué ces dernières années sous les effets conjoints de l’augmentation des prélèvements et du changement climatique. La séquestration de carbone a diminué d’un quart depuis 10 ans. Depuis quelques années, les forêts françaises, dont la surface n’avait cessé de croître depuis plus d’un siècle, connaissent, de façon inquiétante, une diminution de productivité, des dépérissements massifs et un risque incendie accru. Le changement climatique en cours met ainsi en péril les ressources forestières et leur contribution attendue pour préserver la biodiversité, favoriser le développement rural et la bioéconomie, renforcer la production de bois, assurer le bien-être sociétal et équilibrer le bilan carbone de la France. Les enjeux sont considérables et l’orchestration des mesures à prendre s’avère extrêmement délicate en raison de la diversité des attentes de la société.

Les derniers bilans de l’Inventaire forestier national et du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA), ainsi que les projections réalisées sur l’évolution du puits et du stock de carbone en forêt, suggèrent que les objectifs gouvernementaux de lutte contre le changement climatique ne pourront pas être tenus et doivent être révisés.

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Des écosystèmes particulièrement vulnérables à la sécheresse

La sécheresse est le premier déterminant de l’état sanitaire des forêts. Or, avec le changement climatique, la France connaît des sécheresses estivales plus fréquentes et plus intenses, avec à la clef un risque d’incendies accru. Les espaces forestiers qui survivent à ces sécheresses n’en sortent en général pas indemnes. Le manque d’eau provoque des arrêts précoces de la croissance des arbres – parfois durant plusieurs semaines – et de la photosynthèse, qui engendrent une diminution importante de la productivité, de la croissance annuelle et, in fine, du puits de carbone.

Canicules, sécheresses et incendies
Alors que le réchauffement global de la planète est de 1,1°C depuis 1900, le climat de la France métropolitaine s’est réchauffé de +1,7°C depuis 1900, et ce réchauffement s’est accéléré depuis 1980 (+0,3°C/décennie) (données Météo France). Le changement climatique s’est manifesté également par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses extrêmes en été au cours des dernières années. Pour un réchauffement global de +2°C, les modèles régionaux de climat prévoient sur la France une fréquence de retour de 12% des sécheresses extrêmes analogues à celles de 2003 et 2022, avec une température moyenne d’été de 21°C. Pour un réchauffement global de 3°C, cette fréquence augmente à 42%, soit presque une année sur deux. Les modèles prévoient aussi des sécheresses sans analogue récent, avec une température moyenne d’été atteignant 25°C.

En France, le risque incendie va particulièrement augmenter dans le Sud-Ouest et les régions de forêts de feuillus, jusqu’ici relativement épargnées, où le risque élevé deviendra la norme dès 2060. En 2022, les surfaces brûlées ont quadruplé par rapport à la moyenne de la décennie précédente, principalement dans la forêt des Landes et les forêts tempérées. La saison des feux va également s’allonger et le risque de très grands feux augmenter. Le 5ème rapport annuel du Haut Conseil pour le climat qui vient d’être publié annonce que 75 000 hectares de forêts ont été brûlés en 2022 (1).

Les modèles actuels sous-estiment beaucoup les grands incendies, essentiellement parce qu’ils prennent mal en compte l’état de la végétation. Le risque prédit par les modèles est donc probablement sous-évalué.

Autres effets du changement climatique
Le changement climatique affecte également le cycle de développement des arbres. Entre 1950 et 2010, la période d’activité des arbres s’est allongée notablement, reprenant de plus en plus tôt au printemps et s’arrêtant de plus en plus tard à l’automne, ce qui a contribué à une plus forte productivité des forêts pendant cette période. Depuis la décennie 2010, la précocité des arbres au printemps les expose de plus en plus souvent aux dommages de gels tardifs. Cette précocité conduit aussi à une utilisation plus précoce de l’eau du sol en saison, ce qui épuise plus tôt les réserves et accentue le stress hydrique estival. Aujourd’hui, la sécheresse tend, au contraire, à raccourcir la période d’activité des arbres dont les feuilles ont tendance à tomber plus tôt en saison.

Ces modifications des cycles de développement entraînent des conséquences sur la croissance, la reproduction et la survie des arbres. Les projections des modèles de fonctionnement des arbres forestiers montrent que les tendances déjà visibles de dépérissement vont s’accentuer dans les prochaines années et que des essences emblématiques telles que le chêne, le hêtre, ou encore le pin sylvestre risquent de disparaître d’une grande partie de la France avant la fin du XXIe siècle.

Ravageurs et pathogènes
Les principales maladies des arbres forestiers sont causées par des champignons pathogènes souvent introduits involontairement par la main humaine et, notamment, par le commerce international des pépinières. La fréquence de retour des épidémies a doublé depuis 1976, probablement avec la mondialisation des échanges commerciaux. Beaucoup de maladies et de ravageurs sont d’origine tropicale et sont favorisés par le réchauffement climatique qui étend leur répartition géographique et augmente leurs survie et fécondité (exemple Phytophthora ramorum, champignon pathogène très agressif qui attaque un grand nombre d’essences). Mais le changement climatique peut aussi avoir des effets négatifs directs et indirects sur la survie et la dynamique de populations de ces pathogènes et ravageurs qui profitent de l’affaiblissement des arbres engendré par le changement climatique. Les dégâts des ravageurs et pathogènes diminuent avec la diversité des essences présentes dans un peuplement (souvent significativement dès deux essences en mélange) et la diversité génétique au sein de chacune de ces essences localement. Ainsi, les plantations forestières monospécifiques sont toujours plus affectées que les plantations diversifiées et les forêts naturelles.

Invasions biologiques
Les invasions biologiques sont actuellement la cinquième cause de perte de biodiversité et peuvent affecter les capacités des espèces autochtones à s’adapter au changement climatique. Un certain nombre d’espèces d’arbres sont envahissantes en France (par exemple le mimosa à feuille de saule et l’ailante) et sont le résultat d’introductions volontaires depuis l’Amérique du Nord, l’Australie ou l’Asie, motivées par certains usages (plantes à usage ornemental ou pour la stabilisation de berges ou de talus). Certaines d’entre elles ont des effets positifs sur la stabilité du sol mais la plupart ont des effets négatifs sur la biodiversité forestière car, dotée d’une croissance très rapide, elles éliminent par compétition les espèces natives, en particulier au moment de leur régénération. L’invasion de ces espèces met en moyenne une cinquantaine d’années à s’établir après leur introduction mais le caractère envahissant ne s’exprime pas toujours et dépend souvent des conditions du milieu. On estime que le nombre d’espèces envahissantes va augmenter de 50% dans les prochaines années, alors même que les règles de gestion des espèces exotiques envahissantes ne sont en général pas respectées. Ces espèces étant introduites pour des raisons d’usage, leur gestion génère souvent des conflits. Les études sur les invasions biologiques en forêt restent peu nombreuses et en particulier, celles qui intègrent les différentes dimensions biologiques, climatiques, sociétales et économiques du problème.

 

Relever les défis auxquels la forêt et ses usages sont confrontés s’avère beaucoup plus complexe que l’idée simpliste selon laquelle il suffirait de planter des arbres ou de les laisser pousser. La complexité de la situation, sa dépendance au contexte local et à l’évolution du climat nécessitent des outils d’aide à la décision capables d’intégrer les multiples dimensions des problèmes auxquels la forêt et la filière-bois sont confrontés.
Ces outils n’existent pas encore et nécessitent notamment des modèles de fonctionnement de l’arbre et des peuplements forestiers capables d’intégrer des scénarios de gestion, les effets du changement climatique, et le potentiel d’adaptation des peuplements. Ils nécessitent également des outils de suivi et des indicateurs de l’état sanitaire des forêts, de la biodiversité, des ressources ligneuses, et des flux et stocks de carbone en forêt y compris dans les sols.

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Le rapport propose un certain nombre de recommandations à la fois pour la Recherche, la gestion forestière, les politiques publiques, mais aussi la filière bois qui a un grand rôle à jouer dans la transition énergétique et la transition écologique. Elle devra notamment travailler à optimiser le bilan carbone de la filière depuis le prélèvement en forêt jusqu’au recyclage des produits bois et des connexes de scierie.

Par ailleurs, ne pas oublier que stopper la destruction des forêts mondiales est crucial pour lutter contre le changement climatique effréné. Et notamment la déforestation tropicale pour lesquelles des études démontrent qu’elle est responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2, contribuant ainsi fortement à la hausse des températures mondiales et à la perte de biodiversité. 
Selon le dernier rapport de l’Institut des ressources mondiales (WRI / World Resources Institute) publié ce jour, plus de 4 millions d’hectares de forêts primaires tropicales ont disparu l’année dernière, soit l’équivalent de la superficie de la Suisse. Selon les données satellitaires étudiées par cette organisation, des surfaces considérables de forêt sont détruites en grande majorité pour l’agriculture et l’élevage. C’est 10% de plus qu’en 2021 et c’est l’équivalent d’un terrain de football d’arbres tropicaux que l’on a abattus ou brûlés toutes les cinq secondes, de nuit comme de jour. Selon la directrice du WRI, Mikaela Weisse, « nous sommes en train de perdre l’un de nos outils les plus efficaces pour combattre le changement climatique, protéger la biodiversité et soutenir la santé et les moyens de subsistance de millions de personnes. » Et de conclure que « Depuis le début de notre siècle, nous avons assisté à une hémorragie de certains des systèmes écoforestiers les plus importants de la planète, malgré des années d’efforts pour inverser la tendance. »

(1) A l’heure de la publication de cet article, le rapport n’était pas encore sorti. Il s’agit là d’un rajout du 29 juin 2023.

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