Lundi 28 avril 2025 restera gravé dans la mémoire des Ibères. À la mi-journée, des millions de foyers espagnols et portugais se sont retrouvés brutalement plongés dans le noir. Métros paralysés, hôpitaux sous tension, aéroports débordés : la panne d’électricité géante a exposé, en quelques minutes, la vulnérabilité d’infrastructures que l’on croyait sûres et résilientes. Un signal d’alarme brutal sur la sécurité énergétique européenne.
Derrière les coupures de courant, l’heure est aux interrogations. Un incendie dans le sud-ouest de la France, qui aurait endommagé une ligne de haute tension stratégique, est aujourd’hui présenté comme la cause principale par les autorités portugaises et l’opérateur espagnol Red Eléctrica. Ce sinistre aurait provoqué une déconnexion du réseau ibérique du reste de l’Europe, avec une perte de plus de 10 GW de capacité instantanément. Pourtant, malgré ces premières explications, le doute persiste : une cyberattaque est-elle venue aggraver, voire précipiter la situation ?
L’ombre d’une cyberattaque
Le vice-ministre portugais de la Cohésion territoriale n’a pas exclu cette hypothèse : « Toutes les pistes restent ouvertes », a-t-il déclaré. Dans un contexte international de tensions géopolitiques, l’idée d’une attaque coordonnée visant les infrastructures critiques n’a plus rien d’un scénario de science-fiction. Les pannes massives ne naissent pas toujours de simples événements climatiques ou accidentels ; elles peuvent être le fruit d’une stratégie, d’un message adressé aux nations européennes.
Depuis que la panne massive s’est produite, l’une des principales spéculations sur la cause de cette panne massive est une cyberattaque. Le premier à l’affirmer avec plus de fermeté a été le président du gouvernement régional d’Andalousie, Juan Manuel Moreno, qui a déclaré que, selon les informations qui lui ont été fournies par le centre régional de cybersécurité, « tout indique qu’une panne d’électricité de cette ampleur n’est due qu’à une cyberattaque ». Le président andalou a reconnu être arrivé à cette conclusion sans confirmation de la Moncloa ou de toute autre institution : « Uniquement avec nos données. »
Cependant, le Centre national de cybersécurité portugais (CNCS) a déclaré que jusqu’à présent, aucune preuve n’a été identifiée indiquant une cyberattaque comme explication de la panne, qui affecte également le réseau portugais. Le Centre national de cryptologie, qui fait partie du Centre national de renseignement (CNI), a simplement déclaré qu’il enquêtait sur l’hypothèse d’une cyberattaque. L’Espagne est devenue l’un des pays qui reçoit le plus de cyberattaques considérées comme critiques en raison de leur gravité particulière, avec plusieurs centaines par an. Le Joint Cyber Command, qui fait partie du ministère de la Défense, enquête également sur l’éventuelle origine cybernétique de la panne.
Préparer et exécuter une cyberattaque qui coupe l’électricité de presque deux pays entiers est très complexe. Il s’agit d’une opération coordonnée qui permet d’atteindre plusieurs objectifs simultanément. Une fois qu’une attaque a eu lieu, l’analyse des réseaux pour trouver la source de l’attaque n’est pas non plus facile. « Les cyberattaques sur les réseaux électriques sont possibles en théorie et en pratique, car les infrastructures énergétiques sont des systèmes très complexes, pleins de vulnérabilités », explique au quotidien El Pais Lukasz Olejnik, expert au King’s College de Londres. Une attaque pourrait, par exemple, cibler des transformateurs ou des sous-stations, endommageant le matériel jusqu’à sa défaillance. Mais coordonner une attaque d’une telle ampleur et synchronisée serait extrêmement difficile.
En Espagne, rien n’indique jusqu’à présent qu’un tel phénomène se soit produit. Les seuls précédents positifs jusqu’à présent se sont produits en Ukraine en 2015 et 2016, la Russie étant le coupable. « D’autres cas étaient simplement des manifestations, des tentatives avortées ou de simples rumeurs », explique Olejnik, notamment une autre attaque contre l’Ukraine en 2022. Toute la visibilité nécessaire est fournie par les équipes officielles chargées d’enquêter sur la réalité d’une attaque : « D’autres scénarios peuvent être imaginés, mais il est inutile de spéculer pour l’instant : nous n’avons tout simplement pas assez de données », ajoute Olejnik. « Il n’existe aucun signe clair permettant d’affirmer avec certitude qu’une telle panne est due à une cyberattaque. Tout ce que nous avons observé jusqu’à présent pourrait également s’expliquer par des causes normales et non malveillantes. C’est pourquoi il est important d’enquêter et d’éviter de se laisser prendre par les rumeurs ou la désinformation. »
Faut-il toutefois rappeler que les réseaux électriques modernes, en quête d’efficacité, sont de plus en plus connectés, numérisés, et donc vulnérables aux intrusions ? Un effondrement aussi rapide, aussi généralisé, soulève des questions sur la solidité des dispositifs de surveillance et de protection contre des actes malveillants.
Un quotidien suspendu à un fil
Pendant des heures, la péninsule ibérique a expérimenté une forme de retour à la fragilité. À Madrid comme à Lisbonne, les rames de métro sont restées figées sous terre, les commerces ont baissé leurs rideaux et les citoyens, rivés à leurs téléphones déchargés, ont compris à quel point leur quotidien dépend d’un flux invisible et continu d’énergie.
Les aéroports, poumons économiques des capitales, ont connu un chaos inédit. Plus de 300 vols retardés à Madrid, des files d’attente interminables à Lisbonne, des passagers désemparés : ce sont autant de millions d’euros partis en fumée en quelques heures. Dans les hôpitaux, le passage sur générateur de secours s’est fait sans drame majeur, mais il a rappelé que même la santé publique repose sur une stabilité énergétique qu’on ne peut plus jamais considérer comme acquise.
Leçon d’humilité et d’urgence
Cet événement doit être lu pour ce qu’il est : un signal d’alarme. La transition énergétique, en misant sur des réseaux plus interconnectés, plus « intelligents », a aussi multiplié les points de vulnérabilité. La sécurisation des infrastructures critiques ne peut plus être un vœu pieux ni une promesse électorale : elle est une urgence vitale.
Face à l’ampleur des risques, l’Europe doit revoir ses protocoles de sécurité, renforcer ses capacités de réponse rapide, et surtout cesser de croire que l’improbable n’arrivera pas. Ce n’est plus une question de si, mais de quand. La panne ibérique est, à ce titre, un avertissement sévère que les gouvernements ne peuvent pas ignorer.
À l’heure où les tensions mondiales redéfinissent les champs de bataille, l’énergie devient une arme autant qu’une cible. Se préparer à défendre nos réseaux n’est plus une option, mais un impératif stratégique.