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La Turquie, bombe climatique de l’Europe avec l’aide de… la France

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La Turquie pourrait devenir la nouvelle bombe climatique de l’Europe, avec l’aide d’entreprises appartenant en partie à l’Etat français, dont EDF et Engie (ex GDF-Suez). L’énergéticien français Engie, détenue à 33% par l’État, continue d’investir massivement dans les centrales au charbon hors de France. Engie en possède déjà 30 sur tous les continents et prévoit d’en construire de nouvelles, notamment en Turquie, Mongolie, Brésil et Chili ! Le Réseau Action Climat France, le Climate Action Network Europe, ainsi que les Amis de la Terre France et l’ONG turque Iskenderun Environmental Protection Association, publient un dossier sur les enjeux du développement du charbon en Turquie par l’entreprise Engie. Explications.
 
À quelques semaines de la 21e Conférence de l’ONU sur le climat /COP21, deux entreprises dont l’État français est actionnaire, EDF et Engie (ex-GDF-Suez), poursuivent leurs activités polluantes à travers le monde. 
En Turquie, Engie a pour projet de construire la centrale d’Ada Yumurtalik (de 1230MW). Cette centrale viendrait s’ajouter à un plan de développement du charbon dans la région, particulièrement climaticide et nocif pour les populations. 500 000 personnes sont déjà affectées par les effets du charbon dans cette zone.
En mai, un rapport publié par les Amis de la Terre et Oxfam révélait que ces deux entreprises détenaient 46 centrales à charbon dans le monde, causant des impacts sociaux, environnementaux et climatiques désastreux (1).
 
Un grand nombre d’ONG internationales, françaises et turques ont adressé aujourd’hui, mercredi 7 octobre, une lettre à François Hollande lui demandant d’agir pour qu’Engie se retire du secteur charbonnier en Turquie. En effet, malgré le rôle décisionnaire de l’État au sein de ces deux entreprises, et le fait qu’elles soient sponsors officiels de la COP21, EDF et Engie ne réduisent pas leurs activités dans le secteur du charbon. Bien au contraire : Engie prévoit d’ouvrir de nouvelles centrales dans plusieurs pays ! 
 
Pour Célia Gautier, du Réseau Action Climat France, « Le soutien de deux entreprises françaises, dont l’Etat est actionnaire principal, au développement du charbon en Turquie montre que la France est encore loin d’être exemplaire avant la COP21. Pour éviter que la Turquie ne devienne la nouvelle bombe climatique de l’Europe en développant le charbon, le gouvernement doit agir dans les instances de décision d’Engie pour exiger un plan de sortie rapide du charbon, annoncé avant la COP21. »
 
Ce que le gouvernement français et Engie doivent faire
 
Pour les Amis de la Terre France et le Réseau Action Climat France, Engie devrait rapidement :
• Mettre fin immédiatement au projet d’Ada Yumurtalik en Turquie. Le projet de centrale au charbon d’Ada Yumurtalik accentuerait les impacts déjà négatifs du charbon sur la santé et les moyens de subsistance de 500 000 personnes dans la région.
• Publier, d’ici à la COP21, un plan de sortie rapide du charbon à l’horizon 2020, sans recourir à d’autres fausses solutions, au nucléaire, ou au grands barrages, et en prenant en compte la reconversion des travailleurs du secteur.
Le gouvernement français doit, quant à lui, prendre ses responsabilités d’actionnaire et :
• S’opposer au projet d’Ada Yumurtalik auprès des autres actionnaires et dans les instances de décision de l’entreprise
• Se prononcer en faveur de la sortie rapide du charbon de la part d’Engie à l’horizon 2020 en portant sa voix auprès des autres actionnaires et dans les instances de décision de l’entreprise.
 
Photo ©Kerem Yucel/CAN Europe 2015
 
Ces entreprises qui nous enfument 
 
Le charbon est l’énergie fossile la plus émettrice de gaz à effet de serre. Directement mis en cause par les scientifiques pour sa responsabilité dans le dérèglement climatique, le charbon a également un impact ravageur sur la santé des populations, la dégradation de leur environnement et donc de leurs moyens de subsistance, et les conditions de travail des ouvriers du secteur. EDF et Engie, deux entreprises dont l’État est actionnaire, continuent pourtant d’exporter leurs activités polluantes en Europe et dans le monde.
 
Engie : 30 centrales au charbon dans le monde… et d’autres à venir ?
 
EDF et Engie (ex-GDF Suez) disposent de 46 centrales dans le monde qui émettent environ 151 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de la moitié des émissions de la France liées à l’utilisation d’énergie.
Engie dispose de 30 centrales à charbon réparties sur tous les continents, qui émettent près de 81 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions liées au secteur de l’énergie d’un pays comme les Philippines.
Non seulement Engie (comme EDF) n’a toujours pas annoncé sa sortie du charbon, mais l’entreprise s’apprête aussi à étendre son parc de centrales au charbon ! Elle compte ouvrir les centrales d’Ada Yumurtalik en Turquie (1320 MW), d’Ulaanbaatar en Mongolie (415 MW), de Pampa Sul au Brésil (340 MW), et d’étendre celle de Mejillones au Chili (315 MW).
 
« Émissions d’Etat »
 
A la veille de la COP21, la France est loin d’être exemplaire. Les investissements charbon d’Engie et d’EDF révèlent l’hypocrisie du gouvernement français. En effet, l’Etat français détient 84,5 % des parts d’EDF et 33 % de celles d’Engie. Si le gouvernement français veut envoyer un signal positif en vue de la COP21, il doit utiliser son influence sur ces deux entreprises pour engager leur sortie du charbon. 
 
Photo ©Kerem Yucel/CAN Europe 2015
 
La centrale à charbon d’Ada Yumurtalik, nouvelle bombe climatique 
 
Située dans la baie Iskenderun, au Sud de la Turquie, le projet de centrale au charbon d’Ada Yumurtalik aura une capacité de 1320 MW. Le projet est mené par une filiale d’Engie – Suez Enerji Uretim S.A. Engie détient 90 % des parts de cette entreprise (soit l’équivalent de 583 millions d’euros). Engie a pour cela un partenaire local : l’entreprise turque MimagSanko.
 
La renaissance du charbon en Turquie : 75 nouvelles centrales d’ici à 2023 ?
 
Engie cherche à profiter des plans du gouvernement turc pour accroître massivement la production électrique à base de charbon dans le pays. Le pays dispose déjà de 21 centrales à charbon en activité. 
Selon les plans énergétiques de la Turquie à l’horizon 2023, ce ne sont pas moins de 75 nouvelles centrales à charbon qui sont prévues. Si ces plans sont réalisés, les émissions annuelles de CO2 de la Turquie pourraient atteindre 200 millions de tonnes, contre 21,5 millions de tonnes en 1990 (2). Et les centrales à construire émettront pendant 40 ans, voire plus !
Ce risque de « revival » du charbon en Turquie est perceptible dans la contribution nationale annoncée par le pays en vue de la COP21. Le gouvernement turc vise un
doublement de ses émissions de gaz à effet de serre entre 2012 et 2030, tandis qu’il faudrait au contraire viser une réduction. Ces plans sont totalement incohérents avec la nécessité, d’après les scientifiques, de laisser 80% des réserves connues de charbon dans les sols pour limiter le réchauffement planétaire à moins de 2°C (3).
 
Ces développements révèlent le manque d’ambition de la Turquie sur le climat, malgré son rôle de président du G20 en 2015.
Avec son charbon, Engie vient donc ajouter de la poudre à cette bombe climatique. La technologie prévue pour cette centrale (charbon pulvérisé avec chaudière supercritique) ne correspond même pas à la meilleure technologie disponible en matière de réduction partielle des émissions de CO2.
D’autre part, le projet va à l’encontre de l’indépendance énergétique de la Turquie puisque le charbon utilisé pour la chaudière serait majoritairement importé. Pourtant, la région présente un fort potentiel de développement des énergies renouvelables à partir de solaire ou d’éolien. Mais les autorités locales n’ont toujours pas mené d’évaluation sérieuse de ce potentiel.
 
500 000 personnes touchées par le charbon dans cette région de Turquie 
 
La baie d’Iskenderun et ses habitants sont particulièrement menacés par le développement charbonnier de la Turquie. 29 nouveaux projets sont prévus, dont celle d’Engie, venant s’additionner aux trois centrales déjà en activité.
Ce développement est une menace pour la région, qui dispose des écosystèmes terrestre et maritime les plus diversifiés du pays. Les conditions d’existence de la population locale sont ainsi particulièrement affectées par le développement du charbon puisque la majorité de la population tire un moyen de subsistance de la pêche, du maraîchage, de la production de fruits, d’olives et d’huiles d’olive.
20 % de la production de citrons en Turquie provient de cette zone. Il est estimé que les conditions de vie de 500 000 personnes sont directement affectées par les projets de développement du charbon.
 
Impacts sur la santé
 
Les émissions provenant des centrales à charbon contribuent ont des impacts dramatiques sur la santé. Selon l’organisation HEAL, en Turquie, les émissions liées aux centrales à charbon existantes provoquent 2876 morts prématurées par, 3 823 nouveaux cas de bronchite chronique, 4 311 admissions à l’hôpital et 637 643 jours de travail perdus par an (4). Ces impacts sur la santé ont une incidence sur l’économie du pays, puisque les coûts économiques sont estimés entre 2,9 et 3,6 milliards d’euros par an. Ces coûts indirects ne sont pas payés par les entreprises mais par la société, via les budgets publics.
L’ouverture de nouvelles centrales en Turquie, et notamment celle d’Ada Yumurtalik, viendrait alourdir le bilan déjà dramatique du charbon sur la santé des turcs.  
 
La fausse image verte d’ENGIE
 
Climat : le double-jeu
 
Depuis son changement de nom en avril 2015, GDF-Suez, désormais Engie, affiche un nouveau visage. Lors de l’Assemblée générale des actionnaires d’avril 2015, l’entreprise a dévoilé une nouvelle stratégie orientée autour de trois axes : la digitalisation de l’énergie, la décentralisation de la gestion de l’énergie et la décarbonation du mix énergétique. Pourtant, ouvrir une centrale à charbon massive comme celle d’Ada Yumurtalik ne répond pas à l’enjeu de rendre les citoyens maîtres de leur énergie, comme peuvent le faire les énergies renouvelables. Recourir à l’énergie fossile la plus polluante va aussi à l’encontre de la nécessité de décarboner le mix énergétique. En Turquie, Engie compte également ouvre la centrale nucléaire de Sinop (5), autre projet destructeur qui contribuera à enfermer le pays dans une trajectoire énergétique risquée, coûteuse et non soutenable.
 
Les bonnes résolutions environnementales d’Engie ne seraient donc qu’une façade, que les multiples tentatives de communication de l’entreprise en vue de la COP21 visent à consolider. Engie est ainsi l’un des sponsors officiels de l’événement. En parallèle, l’entreprise est un membre fondateur de l’initiative « Solutions COP21 », vitrine donnée aux « solutions » pour lutter contre le changement climatique. Si l’entreprise y présentera sans nul doute ses investissements dans les énergies
 renouvelables et l’efficacité énergétique, elle gardera probablement sous silence sa production énergétique à partir d’énergie fossile, de grands barrages ou de nucléaire.
Pourtant, celle-ci représente la majorité des activités de l’entreprise (95 % de la capacité installée par filière à 100 %) contre 5 % pour les énergies renouvelables (en excluant l’hydraulique (6)).
 
En France et en Turquie, la société civile mobilisée
 
En Turquie, une grande partie de la population de la baie d’Iskenderun est opposée au plan de développement charbonnier et à la centrale d’Engie. Depuis le milieu des années 1990, des organisations locales luttent activement pour leurs droits à vivre dans un environnement sain. Ces organisations ont notamment ouvert des recours juridiques contre les permis délivrés aux centrales. Sur les treize recours déjà en cours, trois ont permis le rejet des projets. Deux projets ont effectivement été annulés. Un a été lancé, allant à l’encontre de la décision judiciaire et bafouant les droits des citoyens. La législation turque contient de nombreuses zones d’ombre. Loin d’être du côté des populations, elle facilite les activités des entreprises utilisant les énergies fossiles, en plus des nombreuses subventions publiques qui sont accordées à ces dernières. 
 
(3)  Par exemple : « The geographical distribution of fossil fuels unused when limiting global warming to 2°C, Christophe McGlade, Paul Ekins, Nature, 517, 187-190 (Jan. 2015). 
 « The unpaid health bill: How coal power plants 
(4) « The unpaid health bill: How coal power plants in Turkey make us sick », HEAL – Health and Environment Alliance, May 2014 
(5)  http://www.todayszaman.com/business_report-sinop-nuke-plant-to-cost-163-bln_390885.html
 
Sources
– Simon Coquillaud, Réseau Action Climat France
– “The unpaid health bill: How coal power plants in Turkey make us sick”, HEAL – Health and Environment Alliance, mai 2014 

 

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