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L’agroécologie peut nourrir le monde

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Alors que se tient actuellement à Rome le 2e symposium international consacré par la FAO à l’agroécologie au service des objectifs du développement durable (ODD), l’ONU annonce que l’agroécologie pourrait être l’une des solutions pour répondre aux défis à venir de l’humanité : nourrir et sauver la planète. Pour satisfaire les besoins alimentaires et économiques des communautés rurales et urbaines en croissance, répondre à des consommateurs de plus en plus exigeants, préserver les ressources naturelles et s’adapter au changement climatique, il devient urgent de produire différemment.
 
Pour nourrir le monde tout en préservant la planète du réchauffement, l’ONU encourage l’agroécologie : un tournant historique après plusieurs décennies de « révolution verte » basée sur l’agriculture intensive, désormais au banc des accusés.
« Nous avons besoin de promouvoir des systèmes alimentaires durables (…) et de préserver l’environnement : l’agroécologie peut aider à y parvenir », déclarait ce mardi 3 avril le directeur-général de l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) José Graziano da Silva, en ouverture du deuxième symposium international sur l’agroécologie à Rome.
 
« Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le développement de l’agriculture basé sur l’utilisation massive d’engrais et de ressources chimiques (pesticides, herbicides, fongicides, …) destinés à augmenter les rendements pour parvenir à assurer la sécurité alimentaire de la planète a eu un prix élevé pour l’environnement », a-t-il souligné.
« Les sols, les forêts, l’eau, la qualité de l’air et la biodiversité continuent de se dégrader alors que cette augmentation de la production à tout prix n’a pas éradiqué la faim dans le monde« , a-t-il admis.
 
L’ancien ministre français de l’Agriculture Stéphane Le Foll, invité d’honneur de la session d’ouverture du symposium pour son soutien actif à l’agroécologie depuis 2012, a pour sa part appelé à une « révolution doublement verte, qui s’appuie sur la nature » : « La FAO a été le lieu de la première révolution verte, elle doit être le lieu d’une révolution doublement verte. »

LIRE AUSSI DANS UP’ : Food transition, le documentaire qui veut bousculer nos habitudes alimentaires

En partant des connaissances de chaque agriculteur sur ses parcelles, alliées aux derniers développements scientifiques, en faisant appel à de meilleurs soins du sol pour qu’il soit plus fertile et stocke plus de carbone, ainsi qu’à une biodiversité des espèces plantées, l’agroécologie tourne le dos aux engrais synthétiques. Elle essaie également de réduire la dépendance à une mécanisation à outrance qui alourdit les charges financières des agriculteurs.
 
« Nous devons nous écarter du système de monoculture tel qu’il a dominé le siècle précédent », a souligné le président du Fida (Fonds international de développement agricole) Gilbert Houngbo, une autre agence onusienne chargée de soutenir l’agriculture dans les pays en voie de développement.
 
Le symposium, qui réunit plusieurs centaines de délégués venus du monde entier, doit se terminer jeudi par une « déclaration finale » qui sera portée à l’examen du comité de l’agriculture (de l’ONU) en septembre, a indiqué M. Graziano da Silva.

Une trentaine de pays à ce jour, dont la plupart des pays latino-américains, la Corée du Sud, la Chine, la Côte d’Ivoire, ainsi que l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la France, la Suisse et l’Italie, ont adopté un cadre législatif ou réglementaire pour faciliter le développement de l’agroécologie, a-t-il précisé.

 

L’agroécologie pour répondre aux défis du XXIe siècle

Dans la préface d’un ouvrage de Lionel Astruc (1), Olivier de Schutter, ancien rapporteur de la FAO auprès de l’ONU, explique que, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, l’agriculture est responsable de 14 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, attribuables notamment au recours à des engrais de synthèse, source de protoxyde d’azote, un des gaz à effet de serre les plus puissants. En soixante ans, l’efficacité énergétique de l’agriculture industrielle a été divisée par vingt : selon le ministère de l’Agriculture des USA, il fallait en 1940 une calorie d’énergie fossile pour produire 2,3 calories alimentaires et, en 2000, 10 calories d’énergie fossile pour produire une calorie de nourriture. L’agriculture pétrolière d’aujourd’hui  détruit ainsi rapidement les écosystèmes dont elle dépend, et elle a développé une assuétude à des énergies condamnées à se raréfier, et dont les prix seront à l’avenir à la fois plus volatiles et plus élevés.
 
Par contraste, l’agroécologie est une source de résilience, aussi bien à l’échelle d’une région ou d’un pays, qu’à l’échelle d’un ménage individuel. Mais comment expliquer qu’elle ne soit pas plus largement diffusée à ce jour ? Comment comprendre qu’elle ne figure pas en tête des programmes agricoles des pays qui, aujourd’hui, tentent de relancer leur agriculture ou de la modifier ? Différents facteurs expliquent cette résistance.
En premier lieu, la conviction, fortement ancrée dans une certaine conception de ce que représente la modernisation agricole, que le progrès passe nécessairement par plus d’intrants, et par l’irrigation et la mécanisation poussée, sur le modèle de la révolution verte des années 1960.
Il y a la résistance aussi de certains milieux, ceux des producteurs d’intrants notamment, qui verraient dans le déploiement à grande échelle des pratiques agroécologiques un marché porteur s’étioler.
Ensuite, certaines pratiques agroécologiques sont intensives en main d’oeuvre : elles sont plus aisées à pratiquer sur de plus petites parcelles, où le travailleur agricole est lié à la terre, sur laquelle il investit pour le long terme.
L’agroécologie s’oppose ainsi à l’idée que le progrès signifie nécessairement l’augmentation de la productivité de la main d’oeuvre, c’est-à-dire produire plus avec moins de travail et plus de capital. Comment ne pas voir cependant que nous avons besoin aujourd’hui, d’urgence, de développer l’emploi rural et de miser sur une meilleure productivité non par des hommes et des femmes, mais surtout des ressources naturelles, qui s’épuisent rapidement ?
 

Mais il y a autre chose encore : Intensive en main d’oeuvre, l’agroécologie l’est aussi en connaissances : elle suppose des transferts de savoirs, elle repose sur les échanges entre paysans, elle les érige en experts – au lieu que la bonne pratique vienne des laboratoires, elle a sa source dans ces lieux d’expérimentation que sont les champs que l’on cutive. En cela, l’agroécologie est source d’émancipation pour les paysans.

 

L’exemple de l’Andhra Pradesh en Inde

Selon Stéphane Le Foll, « beaucoup reste à faire » pour convaincre une majorité d’agriculteurs conventionnels que le système est viable et rentable : « Quelque chose est en train de se passer, il faut poursuivre la bataille. »
 
Venu d’Inde, Vijay Kumar, conseiller pour les questions agricoles du gouvernement de l’Etat d’Andhra Pradesh, dans le sud-est de l’Inde, illustre à la fois l’enthousiasme et l’ampleur de la révolution à accomplir : « Nous avons décidé que 80% des 6 millions d’agriculteurs de l’Etat devraient passer à l’agroécologie d’ici 2024 », explique-t-il à l’AFP. « La révolution verte était basée sur des principes faux, avec une dépendance continue aux intrants, or nos paysans ne gagnent rien, (…) et pire, nous avons eu des vagues de suicide de paysans en Inde » ajoute-t-il.
« Nous voulons que la production alimentaire augmente chez des paysans heureux », résume-t-il, en se disant enchanté lui-même de voir arriver de plus en plus de jeunes diplômés qui « reviennent » à la terre, « avec de bonnes idées ».
 
Mais le chemin reste long : en 2017, l’Andhra Pradesh comptait environ 40.000 agriculteurs travaillant selon les principes de l’agroécologie, 163.000 en 2018, un chiffre qui devrait passer à 300.000 en 2019. Encore loin du but.

LIRE AUSSI DANS UP’ : La liberté des semences est l’avenir de l’agriculture – Entretien avec Vandana Shiva

Les principaux leviers de la transition agroécologique

Pour François Côte, directeur du département Performance des systèmes de production au Cirad, les principaux leviers sont à la fois de nature biologique et de nature organisationnelle et institutionnelle.
Pour ce qui est des leviers de nature biologique, il s’agit essentiellement de valoriser la biodiversité fonctionnelle et les régulations naturelles qui y sont associées, à maximiser la production de biomasse, à favoriser la complémentarité entre culture et élevage… Mais ces approches techniques auront beaucoup de difficultés à émerger sans innovations organisationnelles et institutionnelles capables de faire évoluer les systèmes de production ou de transformation. L’action publique est un relais indispensable pour la réussite de cette transition.
 
Un autre levier majeur concerne la formation et la capitalisation des connaissances. La révolution verte a conçu des systèmes artificialisés par le recours aux intrants chimiques avec comme « avantage » des itinéraires techniques applicables un peu partout. À l’opposé, les méthodes agroécologiques doivent être contextualisées pour s’adapter aux attentes particulières des producteurs, aux contraintes et aux atouts des agro-écosystèmes et des territoires associés. La mise en œuvre de ces solutions doit donc être pensée « sur mesure ».

« Nous cherchons à la fois à comprendre l’influence des conditions locales, mais aussi à dégager des règles génériques applicables dans différents contextes et qui sous-tendent la réussite de la transition agroécologique. Pour mener ce travail, nous avons au Cirad une position privilégiée de par les collaborations étroites avec nos partenaires et notre présence dans de nombreux terrains du Sud, dans les dispositifs en partenariat (dP) et dans les Dom » explique-t-il dans une interview en février dernier pour le site du Cirad.

Pour mettre en place les conditions de réussite des projets en faveur de transition agroécologique, l’exigence principale est sans doute celle de l’inclusion des acteurs : les producteurs bien sûr, mais aussi les conseillers agricoles, les marchés et les décideurs publics. Ces nouveaux systèmes doivent être co-construits au travers d’approches participatives et de négociations entre bénéficiaires et utilisateurs des mêmes ressources et des mêmes espaces. La transition agroécologique sera diverse dans ses formes et ses modalités, elle sera aussi graduelle dans le temps.
 
(Sources : AFP, 03/04/2018 – Cirad)
 
 
(1) Livre « Vandana Shiva – Pour une désobéissance créatrice » de Lionel Astruc – Préface de Olivier de Schutter – Edition Actes Sud
(2) Sortie le 11 avril 2018 du documentaire « On a 20 ans pour changer le monde », par Hélène Médigue qui a suivi dans son combat Maxime de Rostolan. Objectif : montrer que l’agroécologie est plus rentable que l’agriculture conventionnelle :

 
Pour aller plus loin :
 
– « Regards croisés sur l’agro-écologie » de Maxime de Rostolan – Edition Rustica
– « Le génie du sol vivant » de Bernard Bertrand
– « Le vivant comme modèle » de Gauthier Chapelle – Edition Albin Michel
– « Biodiversité, quand les politiques européennes menacent le vivant » de Inès Trépant – Préface de Olivier de Shutter – Edition Yves Michel
« Les moissons du futur – Comment l’agro-économie peut nourrir le monde » de Marie-Monique Robin – Editions La Découverte
– « L’agro-écologie, une éthique de vie » de Pierre Rahbi – Entretiens avec Jacques Caplat – Edition Actes Sud
 

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