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Gilets jaunes Facebook

Quand les réseaux sociaux s’invitent dans la démocratie

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La crise des Gilets jaunes a révélé le rôle des réseaux sociaux comme moteur et catalyseur du mouvement. Comment gouverner à l’heure de Facebook ?

 
Alors que le président Macron s’efforce, en parlant solennellement aux français, d’apporter des solutions à la crise des Gilets jaunes, un profond fossé semble s’être établi entre le peuple et ses dirigeants. Les rouages institutionnels classiques de la vie politique semblent démonétisés au profit de moteurs d’expression, de revendication et de prise de parole parfois violente, d’une nature nouvelle. Les réseaux sociaux bousculent les logiques de fonctionnement de l’espace public. Ils en sont les amplificateurs mais aussi les terrains fertiles de paroles pas toujours bien intentionnées.
 
En février 2017, Mark Zuckerberg, le mythique fondateur de Facebook, affirmait que son réseau social a pour vocation de permettre « d’établir un nouveau processus pour que les citoyens du monde entier participent à des prises de décision collective ». De la parole aux actes, il a procédé à un changement majeur de l’algorithme de Facebook : désormais, sur leur fil d’actualité, les utilisateurs voient en priorité les éléments partagés par leurs amis, et notamment par les groupes du réseau social, plutôt que par les entreprises, marques ou médias. Un changement qui est la clé de voûte de l’essor d’un mouvement comme celui des Gilets jaunes. En effet, la modification de l’algorithme de Facebook dégrade la visibilité des pages, et donc des contenus publiés par les médias traditionnels, tandis qu’il privilégie ce qui est partagé par les groupes, les profils, et l’information locale.
 

Individualisme

Les Gilets jaunes est un mouvement protéiforme qui intrigue les observateurs par une de ses qualités : l’hétérogénéité de ses revendications combinée à l’absence, voire le refus de toute représentation collective. Né dans les réseaux sociaux, le mouvement en porte la trace congénitale. En effet, dès son origine, le réseau social est un espace qui favorise l’individualité. Chacun y raconte sa vie, y partage des images et des messages souvent lapidaires, immédiats et sans réflexion approfondie.
Le réseau social permet ainsi de s’organiser, de voir que d’autres personnes ont les mêmes avis, mais pour le chercheur au CNRS Thierry Vedel, spécialisé dans les relations entre Internet et politique, le géant des réseaux sociaux « ne contribue pas à la prise de décision, à la fabrique de consensus, de revendication commune ».
 
« Facebook est l’espace idéal de floraison pour ce type de mouvement (…) déstructuré, atomisé et sans véritable représentant », explique à l’AFP Tristan Mendès France, enseignant en cultures numériques à l’Université Paris-Diderot. « Comme eux, Facebook n’a pas de centre, il repose sur des communautés ».
La diversité des groupes présents sur Facebook est à l’image d’un mouvement dont les membres ont des profils aussi variés que leurs revendications.
 
Pour Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur en sciences de l’information à l’université de Nantes, « Si Facebook n’était pas là (…) cette détresse sociale incontestable n’aurait jamais pu atteindre la proportion qu’elle a atteint en termes de visibilité ». Il précise en effet que « Facebook n’est pas simplement une caisse de résonance qui permet d’amplifier le bruit, c’est un mode de propagation de la mobilisation qui est basé sur de l’instantané, de l’émotionnel, et qui survalorise des sentiments d’injustice. »
 

Colère

Les émotions liées à la colère sont celles qui se propagent le mieux sur la plateforme. Facebook offre une architecture technique de circulation de l’information qui est parfaitement adaptée à un mouvement construit sur de l’indignation. Et la plateforme en bénéficie aussi, puisqu’elle se nourrit des interactions, et ces contenus viraux en génèrent beaucoup.
Il ne faut pas oublier que Facebook fonctionne sur le principe de viralité, c’est ce qui en fait son moteur. Alors, le réseau n’a de cesse de souffler sur les braises en remettant en avant une revendication oubliée par tous sauf par l’algorithme qui avait noté que celle-ci avait fait l’objet de nombreux « like ». L’algorithme de Facebook est calculé pour attirer l’attention des utilisateurs sur les sujets mobilisateurs et engageants.
 
Pour Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, les réseaux sociaux favorisent un discours de protestation et de révolte. Il affirme : « Chacun a pu s’en apercevoir : il est presque impossible d’y entamer un dialogue serein et argumenté. Facebook ou Twitter, c’est émotion contre émotion, colère contre colère, indignation contre indignation, outrance contre outrance. Il s’ensuit, soit un dialogue de sourds entre des gens peu capables d’écoute, sans cesse aiguillonnés par des trolls ; soit la constitution de sphères qui s’autonomisent, peuplées de gens qui partagent les mêmes convictions, ici des citoyens qui pensent que le gouvernement fait une politique pour le seul bénéfice des banquiers, là d’autres qui estiment que les gilets-jaunes sont tous des ahuris. »
 

Fake news

Les publications foisonnent, les groupes se multiplient, des « leaders » émergent çà et là sur Facebook. Les dix principaux groupes Facebook du mouvement ont généré plus de 1,3 million d’interactions (commentaires, partages…) sur la seule journée du 8 décembre, selon des données fournies par l’entreprise Crowdtangle. Le réseau social suscite les liens et partage les informations, mais aussi le stress et les fake news. D’autant que, sur les groupes Facebook, les membres se méfient moins des informations publiées par des membres eux-mêmes que par les médias traditionnels, observe de son côté M. Mendès France.
 
« Les politiques sont faux, les médias sont faux », peut-on lire dans la description du groupe « Les citoyens en colère », qui compte près de 16.000 membres. Cette méfiance participe à la propagation de « Fake news » : depuis le début du mouvement, de fausses informations ont été partagées à une vitesse folle. Dernières en date, des publications présentant le pacte de l’ONU sur les migrations, qui a été adopté lundi au Maroc, comme une attaque contre la « souveraineté de la France ». Celles-ci ont été vues et partagées des centaines de milliers de fois.
 
« On aura rarement vu autant d’affirmations péremptoires et d’informations farfelues alimenter un mouvement social » écrit Olivier Costa. Il ajoute : « Il est quasiment impossible d’endiguer ce flot, en raison du caractère émotionnel de la mobilisation, de l’hermétisme des sphères des réseaux sociaux qui ne diffusent que des informations conformes à la pensée qui y domine, et du temps nécessaire à la dénonciation d’une fake news. » Un rapport élastique à la vérité s’est instauré et se diffuse à grande vitesse y compris parmi des citoyens a priori accessibles à la raison.
 
Dès lors, les réseaux sociaux deviennent des terrains de jeu si ce n’est des champs de batailles pour toutes les organisations qui souhaitent manipuler l’opinion. Et leur tâche est des plus aisées tant les réseaux sociaux favorisent structurellement les effets de contamination et de surenchère.
 

Manipulation

On a beaucoup parlé du rôle qu’ont joué des organisations et officines spécialistes de la contamination des réseaux sociaux dans l’élection de Donald Trump ou la victoire du Brexit. Il n’est donc pas surprenant que celles-ci se mobilisent à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes. L’occasion est trop belle pour elles de contribuer à la déstabilisation d’un pays comme la France. Selon le journal Le Monde, le Secrétariat général de la défense nationale (SGDSN), clé de voûte de l’appareil sécuritaire français, coordonne une opération de vérification de certaines activités sur les réseaux sociaux. Les autorités s’intéressent particulièrement « à des comptes ouverts il y a deux semaines qui envoient cent messages par jour ». Des chercheurs ont remarqué des comportements suspects sur les réseaux et notamment Twitter avec des comptes relayant massivement des informations fausses ou tronquées dans le but de dépeindre un pays ravagé par une quasi-guerre civile.
 
Toujours selon Le Monde, l’entreprise américaine de sécurité informatique New Knowledge a affirmé au quotidien britannique The Times que l’appareil de propagande du Kremlin s’était investi dans le débat numérique autour des Gilets jaunes. Selon cette société, environ 2 000 comptes, ayant posté environ 20 000 contenus sur divers réseaux sociaux et sites Internet, seraient concernés.
 

Étape démocratique

Pour le chercheur Olivier Ertzscheid, « il est très facile pour des partis politiques ou des lobbys d’instrumentaliser cette colère, et de la retourner contre les gens qui l’ont exprimée. Il y a très clairement un risque. » L’universitaire note que Facebook a été un « ascenseur de la colère sociale ». C’est un premier stade qui a permis au mouvement d’atteindre une visibilité qu’il n’aurait jamais pu avoir.
Mais il est maintenant nécessaire de passer à une autre étape : celle de la construction d’un espace public de débat qui déclenche l’action politique. Il en va du fonctionnement même de la démocratie que nous connaissons. Pour Olivier Costa, une fois la fièvre retombée, les Gilets jaunes devraient tôt ou tard être confrontés aux difficultés bien concrètes de l’art de gouverner et de faire des arbitrages. Mais il note que cet optimisme fait oublier que, « dans un système où priment émotions, impressions et semi-vérités, il est facile de renvoyer la responsabilité de ses échecs sur d’autres ».
 
Bien qu’individualisée, l’expression politique sur Facebook permet de faire émerger des idées : les Gilets jaunes n’ont pas abandonné l’idée d’élire des représentants en contournant les canaux traditionnels, et en s’inspirant d’outils de « démocratie liquide » qui permette une représentation au plus près des citoyens. Car sur le fond comme sur la forme, le mouvement des Gilets jaunes est le symptôme d’une crise de la représentation démocratique.  Elle met en plein jour la faille béante qui se creuse entre les décisions prises et appliquées par les dirigeants politiques d’une part, et leur perception à travers la réalité technologique des réseaux sociaux d’autre part.
 
Cette nouvelle contrainte du politique jette les gouvernants en pâture aux citoyens, non plus conçus comme une masse informe mais comme une addition d’individus dont chacun peut porter la parole si ce n’est le coup fatal. Cette fracture oblige à repenser la manière de faire de la politique. Se dispenser de cet effort amène aux autoritarismes et autres totalitarismes. Pour que la démocratie vive, elle est mise en demeure de se réinventer.  
 
 
Sources : AFP, EuropActiv
 

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