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médiation sociale

Libérer les médiateurs, ces humbles tisserands du lien social

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Face aux terribles événements que nous vivons, il convient de mettre à la disposition de nos sociétés les moyens de ne pas subir l’avenir mais de le créer. Il faut les mobiliser tous. Créer l’avenir en effet ne veut pas dire négliger les moyens classiques qui demeurent indispensables : l’arsenal juridique et judiciaire, les moyens stratégiques tels que le renseignement, la police, l’armée. Les missions de souveraineté trouvent tout leur sens, la réponse sociétale qu’est la médiation ne prétend pas supplanter les responsabilités que l’Etat de droit doit exercer pleinement. Cependant, l’union nationale est aussi l’affaire du peuple surtout quand celle des politiques vole en éclats électoraux.
 
Créer veut dire libérer la subversion positive dont la société civile se montre capable aux moments décisifs. C’est le moment de prendre conscience du potentiel civique de la médiation. On n’en n’a pas vraiment conscience car aujourd’hui le mot a été si galvaudé, ses contrefaçons ont même été labellisées par des textes français et européens qui sous l’emprise intellectuelle de l’Amérique du Nord l’ont limitée à un simple mode alternatif à la justice. Les textes l’ont enfermée dans un carcan et l’ont réduite à un produit « Destop » ou « Cilitbang » ces produits solvants à base d’acétylcystéine. La médiation ne se réduit pas à la formule chimique C5H10O3NS qui dissout rapidement les contentieux, les réclamations de masse, les plaintes de toutes sortes. Dans les politiques publiques la médiation est en effet, hélas, présentée comme un « mode de désengorgement » des tribunaux et des services réclamations. Les institutions ont injecté le mot dans la plupart des services publics, et récemment dans le domaine de la consommation.
 
Créer l’avenir c’est libérer la médiation et les humbles passeurs du dialogue que sont les médiateurs.
 
Le rouleau compresseur institutionnel en récupérant les initiatives civiques pionnières des années 80, en a tellement déformé le sens et l’image qu’il faut donc commencer cet article par un rappel de la généalogie de la médiation pour faire comprendre l’essence et par là même l’impérieuse nécessité de la médiation. Il est temps de proclamer l’ardente nécessité de la médiation pour prévenir l’aggravation de la fracture sociale et empêcher la remise en cause des valeurs de la République.
 
La médiation contemporaine a surgi de la société civile dans les années 80, comme une nouvelle liberté publique. Portée par des pionniers investis dans des associations telles que Droits de l’Homme et Solidarité (DHS) ou Femmes inter associations, Inter services Migrants (FIA-ISM) elle s’est répandue humblement dans nos cités. Les pionniers avaient l’ambition de faire brèche dans les murs d’incompréhension et d’établir passerelles entre les membres de la société. Très tôt nous avons pressenti qu’il fallait préparer une réponse de qualité à ce besoin abyssal qui nous apparaissait comme la grande aventure sociale de la fin du siècle. Très tôt les médiateurs pionniers se sont formés de manière longue et exigeante, ils se sont doté d’une déontologie spécifique . Aujourd’hui, la persistance du besoin conduit à appeler à la mobilisation celles et ceux qui se sont formés sérieusement et à l’engagement à le faire de celles et ceux qui ne voulant pas attendre dans la peur et la haine veulent créer l’avenir plutôt que le subir.
 
Dès les années 80, les pionnières et les pionniers ont, en combinant leur expérience de terrain et une exigence intellectuelle au service de l’action, doté la médiation d’une définition précise et opérationnelle. A ne pas définir on risque de ne pas savoir ce qu’on fait. Les dérives terminologiques des pouvoirs qui conduisent hélas à ce qu’aujourd’hui le mot ait acquis une réputation injustifiée de flou rendaient ce rappel indispensable.

Qu’est-ce que la médiation ?

La médiation est un processus de communication éthique qui repose sur la liberté et la responsabilité des personnes concernées.
 
Ce processus assume quatre fonctions des fonctions préventives et des fonctions curatives :
·         créer le lien social
·         le recréer
·         se faisant prévenir les conflits
·         et seulement en quatrième position régler les conflits mais alors d’une manière spécifique qui ne s’assimile ni à la Justice, ni à la conciliation, ni là l’arbitrage, ni à la négociation, ni à la psychothérapie.
Le processus de la médiation s’assimile à la maÏeutique, la science de l’accouchement. L’accouchement de soi et de son dialogue avec l’autre. Le processus constitue le premier critère de définition de la médiation.
 
Le médiateur constitue le deuxième critère : Le médiateur est un tiers, c’est à dire un élément totalement extérieur au système que forment, volontairement ou involontairement, les participants.
 
Afin de rester tiers : Il doit garantir son impartialité et être vécu comme impartial. L’impartialité est une attitude du médiateur à l’égard des personnes. Il ne leur témoigne ni sympathie, ni antipathie. Il alterne au fil de l’écoute les empathies successives. Grâce aux mots de chacun, il voit le monde avec les yeux de l’autre et donne à voir aux participants.
 
Il doit garantir son indépendance tant à l’égard des participants qu’à l’égard des pressions privées ou publiques extérieures.
De plus, il doit savoir rester neutre, c’est à dire exempt de tout pouvoir, direct ou induit. La neutralité est une attitude du médiateur à l’égard des résultats. Il facilite par le processus de communication éthique l’émergence de la solution des partenaires, il la respecte il ne suggère pas la sienne, ni celles de pouvoirs extérieurs.
 
La médiation opère son travail très en amont des conflits. En créant ou recréant le lien social elle les prévient souvent. Qu’elle soit médiation de différends ou médiation de différences elle est une pédagogie de la relation à l’autre. C’est pourquoi nous avons besoin d’elle.

L’impérieuse nécessité de la médiation s’impose d’urgence

Il nous revient de renouer avec le sens premier de la médiation. Nous sommes tous concernés par la dégradation du tissu social ; nous sommes donc tous concernés par sa réparation. Le vivre ensemble se tisse et se dé-tisse d’abord entre individus.
L’unité nationale ne se décrète pas elle se tisse humblement quotidiennement, patiemment, continûment, horizontalement.
 
Il nous revient de devenir les humbles tisserands de l’inter-compréhension qui est son essence pour éviter que l’aggravation de la fracture sociale ne bascule dans la guerre civile et pour défendre les valeurs de la République que nos ennemis voudraient nous voir abandonner sous la pression de leurs coups.
 
Nous ne pouvons pas subir le déferlement d’angoisses sans nous donner les moyens d’agir. Un peuple a moins peur s’il trouve en lui le moyen d’agir, sans attendre les réponses que les pouvoirs publics ne peuvent d’ailleurs pas apporter, même avec leur légitimité, leur compétence et leur bonne volonté. La médiation est à placer au centre du dispositif de RESILIENCE inter individuelle et collective que notre pays ne doit plus tarder à mettre en place.
 
Il serait bien arrogant de présenter la médiation comme LA solution, permettant à coup sûr de nous prémunir des passages à l’acte d’Erostrate instrumentalisés, ou dégoupillés, mais qu’il soit permis d’inciter nos contemporains à y réfléchir comme une voie de construction de la paix. 
 
Le tueur de Nice en fonçant dans le tas, sans distinction d’opinion de « race » ou de religion a unis les victimes et leurs proches dans un destin tragique. A la communauté de destin, subie, dessinée par la violence d’un soir il faut répondre en forgeant par le dialogue, une volonté consciente durable et continue d’appartenance à un destin commun :
 
Nous membres de la société civile devons répondre à l’ardente nécessité de la médiation :
 
Pour éviter l’aggravation de la fracture sociale
Je témoigne de la vigueur de l’intelligence sociale et de la générosité qui gît dans ce pays pour peu qu’on redonne à la médiation sa nature première et qu’on mène à son propos une démarche-qualité sans laquelle notre société perdra une chance irremplaçable de vie commune et pour commencer de VIE.
La médiation dans sa fonction préventive, la médiation dans sa fonction curative permet d’affronter pied à pied pied les conflits sous jacents aggravés par des disparités sociales de plus en plus choquantes.
 
Pour éviter la surinfection de la haine
Qui forgent d’autres haines homicides. Et quand les dégâts de cette haine homicide nous meurtrissent aider nos contemporains à ne pas souffrir encore plus, en s’enfermant dans la haine qui fait trop d’honneur aux assassins et sert in fine le dessin de ceux qui veulent nous détruire.
 
Pour contribuer à faire vivre les valeurs de la République
La médiation est en totale adéquation avec les valeurs de la République.
 
Liberté : l’ardente nécessité de la médiation n’implique nullement de la rendre obligatoire au contraire. Une médiation ne réussit que si ses participants y viennent librement. Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté enseignait Alain dans ses « Propos sur le bonheur ». La médiation aussi est de volonté On débute volontairement dans une médiation pour en sortir plus libre, libéré des nœuds d’incompréhension. La médiation est une maïeutique qui dans un premier accouchement libère de tout ce qu’on a à dire à l’autre même avec véhémence et, dans un deuxième temps accouche d’une solution élaborée avec lui, accompagnés par un médiateur. Par la seule pertinence de ses questions le médiateur libère les partenaires des incompréhensions qui les ligotaient, entravait la confiance et la créativité. Dans ce deuxième temps par la même maïeutique il libère leur faculté de proposer leurs solutions.
 
Egalité : Le processus fonctionne de manière totalement horizontale. Ce qui fait la puissance de la médiation c’est l’absence de pouvoir du médiateur. Il ne donne ni conseil, ni avis, ni ne rend de décision. Il est formé à respecter la liberté des participants, il les grandit, ce qui est la définition de l’autorité. Le médiateur ne se réclame pas d’un pouvoir qu’il tiendrait d’une autorité publique ou privée tutélaire. Il ne tient son autorité que de la reconnaissance des participants à la médiation, qui vont, le temps de la médiation se fier à lui pour vivre ensemble le processus et chercher ensemble une issue par le haut.
 
Fraternité : l’altérité a constitué le moteur des pionniers. « La Charte de l’Autre » élaborée par Jean-François SIX inspire durablement l’action des médiateurs. Elle demeure au cœur de ce qui peut nous sauver face aux projets de guerre civile que nourrissent ceux qui veulent la déclencher et l’entretenir par leurs attentats sanglants.
 
Le processus de médiation permet d’accompagner chacun de nous dans la difficile ascèse de la découverte de notre commune humanité. N’oublions jamais que le préambule de la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 fait de la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine le fondement de leurs droits égaux et inaliénables, de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Il faut que les médiateurs se lèvent en masse, mais pas dans l’impréparation. Ce n’est pas parce que les pouvoirs publics ont fait perdre du temps à la médiation qu’il faut maintenant se lancer dans une mobilisation vibrionnaire.

Mobilisation générale

Le « Vivre ensemble » ne peut être une injonction du sommet il doit être une expérience de vie. Il doit résulter de ce que la société vous veut comme membre, qui que vous soyez, et vous le manifeste tout au long de votre parcours de vie. Il faut pour commencer ne pas perdre un seul de ses membres, ne pas le laisser se perdre dans un parcours de désintégration sociale. C’est l’affaire de chacun et de tous. Les objurgations des pouvoirs sont inaudibles pour des individus qui de décrochages en démaillages se sentent hors de ce qui fait nation. Si les pouvoirs publics veulent vraiment le vivre ensemble il faut qu’ils soient capables de soutenir une démarche-qualité qui ne mine pas la médiation telle que ses pionniers l’ont forgée
 
Le peuple de France doit se mobiliser pour faire vivre la médiation qui a surgi de sa base. Elle est à notre portée, et ne nécessite pas un appareil règlementaire. La médiation est une subversion positive, subversive car bousculant les institutions en allant là où elles ne peuvent aller, positive car les épaulant. Nous n’avons pas besoins d’homme ou de femme providentiels. Nous avons un pays peuplé d’individus en quête de lien, et parmi ce peuple un vivier d’humbles tisserands du lien social : les médiateurs prêts à y répondre. La France est peuplée d’individus assoiffés de lien social, prêts à en attraper les fils pour peu qu’on les leur tendent pour nouer le dialogue.
 
Mobilisation car la médiation n’est ni laxiste ni angélique, elle demande un effort lucide.
Le médiateur ne délivre pas de brevets de gentillesse. C’est un réaliste, il a la responsabilité du cadre de la médiation. Il n’appartient pas à la galaxie des « Bisounours » Nous ne croyons pas que « Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil » (comédie satirique de Jean Yanne 1972).Grâce à la solidité du cadre qu’il a appris à garantir du début à la fin, le médiateur permet aux participants d’exprimer les griefs et faire surgir le bon. Oui le bon. Devons-nous renoncer à faire surgir le bon qui est en chacun de nous et qui peut rapidement s’enfouir dans un bloc de haine meurtrière ?
 
Le pessimisme se donne trop facilement le masque du réalisme. Oh ! comme ils sont touchants et naïfs ceux qui se croient réalistes ! Mais comme ils sont dangereux aussi car ils ratifient sans la passer à la preuve du dialogue , la croyance en la médiocrité et la noirceur humaine. Faute de dialogue ils contribuent à les faire advenir.
 
La médiation est mobilisation car c’est agir pour ne pas subir. Se tourner vers la médiation c’est décider de ne pas se laisser envahir par la haine, ou la peur diffuse. La peur de l’autre, l’autre qu’on renonce à connaître et pour commencer en ne dialoguant pas avec lui. Le médiateur va y inviter et poser le cadre du dialogue.
 
Générale.  Générale car elle n’est qu’un élément qui ne dispense pas de mobiliser TOUS les autres moyens judiciaires policiers, tous ceux de l’Etat de droit, tous ceux de l’indispensable puissance régalienne. Les autres éléments doivent se mobiliser avec elle comme elle se mobilise avec eux : tous car chacun son métier.
Générale car elle concerne tout peuple de France et non pas uniquement le peuple français. On remarquera que les premières « Femmes-relais étaient des femmes fraîchement immigrées qui pour la plupart n’avaient pas la nationalité française. Elles ont pourtant posé des actes majeurs de citoyenneté : faire société dans les lieux de diversité et de conflits interculturels.

Les conditions

Nous les médiateurs, nous devons les poser et les faire respecter : L’impérieuse nécessité de la médiation mérite qu’une démarche-qualité soit enfin respectée.
 
Bien nommer pour bien faire : On l’a vu elle bénéficie d’une définition rigoureuse qui contraste avec le flou terminologique ravageur et désinvolte des politiques publiques. L’efficacité pratique de la médiation requiert de respecter son ADN. Que peut-on attendre de lois reposant sur l’affirmation désinvolte que la médiation n’est qu’une variété de la conciliation ou qu’elle est une négociation assistée.
 
Lui assurer un régime juridique correspondant à sa nature : Les responsables économiques, politiques, nationaux, locaux et européens doivent libérer la médiation. Ils doivent cesser de pondre des textes qui confondent, médiation, conciliation et arbitrage. Ils doivent cesser de ligoter la médiation par un régime juridique inadapté qui place les médiateurs dans l’incapacité de mettre en œuvre l’authentique processus de médiation dont nous avons besoin
 
S’appuyer sur Formation, préalable spécifique et continue : les pionnier(e)s de la médiation avaient perçu, l’importance primordiale de la formation. Primordiale, aux deux sens du terme, de première importance et qui doit venir en premier chronologiquement. Elle constitue la première marche de la garantie. La médiation est un art difficile qu’on ne peut exercer ou enseigner sans formation solide.
 
J’en appelle à la mobilisation civique.
 
J’en appelle aux pouvoirs publics pour qu’ils libèrent la médiation, qu’ils cessent de la récupérer et de la dénaturer, pour qu’ils procèdent d’urgence à un moratoire législatif. Car quand ils auront tué la médiation nos sociétés n’auront pas de deuxième chance.
 
Michèle Guillaume-Hofnung, Professeure des facultés de droit, Directrice du Master Diplomatie et négociations stratégiques de Paris-Sud, Directrice de l’Institut de Médiation Guillaume-Hofnung (IMGH)
 
 

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