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OpenAI débranche la logique du profit : l’éthique peut-elle encore rivaliser ?

Quand la prudence défie la puissance

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Coup de tonnerre dans la Silicon Valley. OpenAI, pionnière de l’intelligence artificielle, annonce son retour à une gouvernance entièrement non lucrative, rompant avec le statut hybride qui lui permettait jusqu’ici de courtiser les investisseurs tout en affichant des valeurs d’intérêt général. En pleine fébrilité autour de l’intelligence artificielle générale (AGI), ce revirement pose une question brute : peut-on encore rester compétitif en refusant de jouer selon les règles du capitalisme technologique ? Ce que fait OpenAI, c’est refuser la fuite en avant. C’est tenter, peut-être pour la dernière fois, de montrer que d’autres chemins sont possibles. Mais ce choix, aussi noble soit-il, se fait en pleine tempête. Et il ne va pas sans sacrifices.

Le mirage de la structure « capped-profit »

Revenons un instant en arrière. OpenAI n’est pas née comme un acteur classique. Sa fondation en 2015 répondait à une ambition : développer une IA bénéfique pour l’humanité, sans la soumettre à la logique de profit. Mais cette ambition se heurte vite à la réalité : pour construire des modèles de plus en plus puissants, il faut des moyens, beaucoup de moyens. En 2019, l’organisation invente alors une structure hybride, inédite : le « capped-profit ».
Ce modèle permet d’attirer des investisseurs tout en limitant les retours financiers à un certain plafond (100 fois la mise initiale). Sur le papier, un compromis équilibré entre mission désintéressée et nécessité financière. Dans les faits, une source de tension permanente.

Car le diable est dans les détails : qui fixe les plafonds ? Qui garantit l’indépendance du conseil d’administration face aux poids-lourd du capital ? Et surtout, que se passe-t-il quand les intérêts éthiques de long terme entrent en collision avec les logiques de rendement ? La crise de gouvernance de novembre 2023 répondra brutalement à ces questions.

Novembre 2023 : le moment de bascule

Sam Altman, PDG emblématique d’OpenAI, est brusquement écarté par le conseil d’administration. Officiellement pour des divergences sur la stratégie à adopter vis-à-vis de l’AGI. En coulisses, une fracture entre deux visions du futur : celle d’un développement encadré, piloté par la prudence et la régulation, et celle d’une croissance rapide, soutenue par des milliards et guidée par l’efficacité marchande.

Le retournement est spectaculaire. En quelques jours, Altman revient, adoubé par les salariés et par Microsoft, partenaire industriel et financier majeur. Mais l’épisode laisse des traces. Il révèle une vérité simple et brutale : même les structures les mieux intentionnées plient sous le poids de l’argent.
C’est dans ce contexte que survient la décision d’abandonner le modèle « capped-profit ». Comme un aveu d’échec. Ou plutôt, comme un sursaut de cohérence.

AGI : une révolution sous haute tension

Car l’enjeu dépasse la gouvernance. Il touche au cœur de ce qu’est l’AGI. Une intelligence artificielle générale, capable de surpasser les humains dans l’ensemble des activités intellectuelles, ne serait pas un outil parmi d’autres. Ce serait un pouvoir systémique. Une infrastructure du savoir, de la décision, et in fine de la domination.

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Qui conçoit l’AGI ? Avec quels biais culturels, quels modèles politiques, quels intérêts commerciaux ? Faut-il confier ce chantier à des multinationales dont la priorité est la croissance ? OpenAI, en renouant avec une structure à but non lucratif, tente de dire : non. Elle affirme que certaines technologies sont trop sensibles pour être développées selon les logiques de la Bourse. Qu’il existe encore des limites, des garde-fous.

Géopolitique de l’intelligence

Mais cet idéalisme peut-il tenir face au monde réel ? Car pendant qu’OpenAI se pose des questions existentielles, la Chine investit massivement, les États-Unis mobilisent la DARPA, l’Europe peine à suivre, et des startups surdopées de cash comme xAI ou Mistral poussent l’accélérateur sans regarder dans le rétroviseur.
L’AGI n’est pas qu’une avancée technique. C’est un outil de souveraineté. Celui qui maîtrisera les IA les plus puissantes imposera ses normes, son langage, ses filtres de vérité. C’est la bataille de l’infrastructure cognitive du XXIe siècle. Dans cette course, ralentir peut être noble… ou fatal.

La « public-benefit corporation » : entre vertu et vernis

Nombre d’acteurs prétendent aujourd’hui allier profit et mission d’intérêt général via le statut de « public-benefit corporation » (PBC). Sur le papier, une idée généreuse : concilier objectifs sociétaux et intérêt des actionnaires. Dans les faits, un compromis flou, souvent cosmétique. Les PBC peuvent lever des fonds, distribuer des dividendes, conclure des contrats avec les armées ou les grandes plateformes, tout en proclamant leur responsabilité sociale. Une éthique de convenance.

En refusant d’emprunter cette voie, OpenAI prend le contrepied de ses concurrents. Elle se met hors du jeu financier classique. Mais aussi, peut-être, hors du jeu tout court.

Une tentative, pas un salut

OpenAI parie sur la confiance, sur le temps long, sur la coopération internationale. C’est un pari audacieux, presque romantique. Il mérite d’être salué. Mais il ne suffira pas. Car le monde de l’IA, lui, ne ralentit pas. Il court, il investit, il déploie. Et ceux qui développent aujourd’hui les intelligences de demain n’attendront pas que les bonnes intentions se transforment en réalité.
Il ne s’agit pas de blâmer OpenAI pour son idéalisme. Mais de rappeler que l’éthique, pour peser face au marché, doit s’accompagner de stratégie, de coalition, et de puissance publique. Ce n’est qu’à cette condition que le pari d’une AGI alignée avec l’humanité pourra être gagné. Sinon, il ne restera qu’un manifeste de plus, égaré dans les archives d’une industrie qui aura choisi la vitesse à la sagesse.

Photo d’en-tête : Sam Altman ©Shuttershock

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