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urbanisme

Pourquoi la ville sera servicielle ?

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Le service urbain, c’est une rupture. La planification urbaine se réinvente à l’aune de cette révolution. Les injonctions du développement durable, la recherche de productivité des infrastructures existantes, le bouleversement du jeu des acteurs, l’irruption du numérique urbain, les modèles économiques et partenariaux, sont autant de raisons pour que l’architecture des services ne soit pas considérée comme une option ; autant de raisons aussi pour défricher des pistes innovantes et reconsidérer la ville, ses lieux et ses agencements.
 

La maîtrise des usages de la ville

 
La bascule de l’objet au service – qui se dessine par exemple dans l’automobile (autopartage, etc.) –, les réseaux intelligents (les « smart grids » pour une optimisation des productions-consommations d’énergie), les régulations de flux (congestion charge), le quotidien à distance (commerce, travail, formation, santé, etc.), etc. visent tous aujourd’hui une économie des ressources, un apaisement des mobilités. Ils imposent une dialectique entre les infrastructures existantes, l’aire numérique urbaine et les usages. Ce sont les services qui officient.
 
En alternative, en optimisation et en efficience des infrastructures physiques, les services deviennent des évidences qui s’imposent à la ville. Ces évolutions sont drainées par l’ambition – explicite ou sous-jacente – de « maîtrises des usages ». Elles appellent une réflexion qui dépasse l’invocation du « service » comme solution ou même l’identification des services comme pistes de réponses. C’est une philosophie de la ville qui se repense. D’où l’importance de revisiter la notion dans le contexte urbain actuel.
 
La dimension industrielle du service
 
L’intensification des usages de la ville et l’innervation considérable des « liens » qu’elle engendre (l’hypertexte de la ville), définissent un métabolisme urbain dominé par les services. Aussi immatériels soient-ils, ils résonnent avec les infrastructures urbaines classiques dont ils contribuent à modifier les mécanismes. Flux d’énergie ou de trafic motorisé sont déjà des secteurs où la démonstration de services urbains se fait laboratoire pour d’autres régulations urbaines.
 
A l’occasion, les services modifient la forme de la ville. Ainsi, les gares cessent de n’être que des marches vers un train pour devenir des lieux de vie adossés à des services, dérogeant à la mission d’origine du lieu. La gare comme lieu d’une mobilité paradoxale, parce qu’elle n’implique plus seulement le mouvement au long cours mais l’hébergement (de gens, de services, de commerces, d’urbanité). On bascule du voyage à l’escale. D’autres lieux sont concernés. A chaque fois, les services sont mobilisés.
 
Les services répondent à une logique de production-distribution concrète. Le service désormais se pense dans sa dimension « industrielle », avec ce que cela implique de transformation dans la planification urbaine : équipement, aménagement de l’espace, logistique, infrastructures numériques, mais aussi ressources humaines, gouvernance, modèle économique, et modèle d’administration entre l’autorité et les opérateurs de la ville (DSP, PPP et autres partenariat innovants) et entre les diverses échelles de territoire.
 
La dimension intelligente de la ville
 
Car ce faisant, les choix urbanistiques changent radicalement de politique dans un contexte d’intégration des « intelligences » et de transformation du jeu des acteurs. L’autonomisation des pratiques du citadin est supportée par la massification des pratiques numériques, tandis que la banalisation des capteurs et des supports de transmission ouvre des horizons inédits de régulation urbaine.
 
 
Donc d’un côté, le citadin s’implique plus et autrement dans la ville. Il en est l’usager et le client mais aussi le concepteur, le fournisseur et l’exploitant d’une matière première désormais incontournable, la donnée, base des services. 
De l’autre, des entreprises relient service et infrastructures dans une vision de productivité et de performance économique qui ne laisse pas les autorités urbaines indifférentes. « De fait, la fabrique de la ville, est devenue plus partenariale ». Isabelle Baraud-Serfaty dans la revue Esprit en conclut justement que certaines formes de privatisation des villes se mettent en place, non sans rappeler que cela s’accompagne de questions, de dérives et de risques inédits et que cela suppose de réfléchir à d’autres instruments de partenariat et de financiarisation de ces projets.
 
La dimension « structurante » du service
 
L’intuition du service urbain se fait pressante : « Nous voulons changer le statut de la ville pour qu’elle devienne une cité de services », martelait le commissaire de l’Exposition Universelle de Shanghai. Les infrastructures immatérielles deviennent les supports de la ville, prétendait le designer et urbaniste William Mitchell dans les publications issues des travaux du MIT. Plus proche de nous, Véronique Granger (AUC, Lyon) rappelle que « la notion de services est aussi structurante que la notion d’équipements. »
 
En fait, la conviction s’installe que cette notion de service dans la ville sera demain bien plus structurante que cela. Elle amène à repenser la notion d’équipement urbain pour en extraire le maximum de valeur et de bénéfices. Elle revisite dans le même temps la notion d’urbanité, car le jeu des hyperliens – entre les citadins et les objets urbains – est à la base du service.
 
Une société de services. Une cité servicielle
 
D’une manière générale, la société est entrée inexorablement dans un modèle de services. Les services dans l’économie ont supplanté les productions agricoles et industrielles. Les services, ce sont quelques 65% des budgets des ménages, quelques 75% des emplois, quelques 80% du PIB, quelques 85% de la croissance, en France aujourd’hui. Dans ce modèle de service, l’homme et ses « intelligences » prévalent.
 
Si le modèle de l’infrastructure perdure, on ne voit pas pourquoi la ville échapperait à cette lame de fond. Il faut se mettre en posture de réfléchir à la cité servicielle. Trois raisons au moins militent pour cette rupture de paradigme :
 
1) Les limites atteintes des croissances « physiques » (extensions urbaines, écartèlement croissant domicile-travail, etc.), les limites budgétaires, les crispations environnementales…, encouragent la mutation servicielle et sont autant d’incitations au changement. Les solutions sont ailleurs et en plus du classique aménagement urbain.
2) Nous sommes passés d’un paradigme de l’offre à celui de la demande, sans en mesurer les conséquences. Au schéma descendant et univoque – l’administration savait ce qui était bon pour l’usager – s’ajoute une voie montant des usagers eux-mêmes. On leur demande d’être autonome, il faut leur donner les outils d’empowerment (maîtrise par soi-même) qui vont avec.
3) La maturité de l’aire numérique urbaine (terminaux, capteurs, réseaux, applications sont en place) et des usages, assure les fondements des services et le cadre du changement. Reste à développer le carburant de ces services, la « donnée » ; sans laquelle rien d’important ne peut s’envisager dans les services urbains.
 
Les mobilités façonnent un « urbanisme intensif »
 
Le point focal de la réflexion sur les services urbains se trouve dans les mobilités. D’abord, en travaillant les infrastructures dans une dimension servicielle. Ainsi, de la voiture dont on améliore le taux d’occupation avec le covoiturage, le taux d’usage avec l’autopartage ou le taux d’utilisation en articulant la voiture avec les autres modes (l’intermodalité vise à améliorer le parcours dans une construction complexe et rationnalise les usages des divers modes). Le résultat, dans tous les cas, c’est plus ou autant avec moins.
 
© Eric Rhinn – Projet de cabine du téléphérique de Brest dessiné par Eric Rhinn
 
Mais encore, il faut entendre les mobilités au-delà du déplacement et des transports, comme d’autres formes d’accès aux ressources de la ville (travailler au bureau, mais aussi de chez soi, de la gare, du télécentre, du café…; idem pour les sociabilités à distance, les achats et demain pour la vidéoformation, la télésanté, etc.). Donc à la mobilité physique s’ajoute une mobilité numérique, aux déplacements s’ajoute le « à distance », et les modes de transports se voient proposer des alternatives et des compléments avec les outils du numériques.
 
Dès lors, la mobilité actuelle découvre un « urbanisme intensif » pour le meilleur et le pire, avec ses bénéfices, ses dérives et ses excès. Cette mobilité – plus dense, plus active, plus dispersée dans l’espace et le temps – conduit à d’autres rapports à la ville. Elle « fabrique » d’autres attentes à transformer en usages et façonne des passages et des continuités qui s’imposent à la ville. La préoccupation du citadin va être de trouver la solution la plus pertinente, en fonction de sa situation de mobilité, de l’organisation du quotidien, des opportunités, etc. C’est cela qui se travaille d’ores et déjà avec une multiplicité d’outils logiciels animés par les usagers eux-mêmes (Open Street Map, Walkscore, Foursquare, etc.) qui apparaissent spontanément dans la ville 2.0, comme ils étaient apparus – pour les mêmes raisons, et dans les mêmes conditions – sur le net avec le Web 2.0.
 

Mobilités. Dérives et pistes de réponse

 
Henri Lefebvre parlait de « faillite de l’urbanisme » à propos des cloisonnements urbains et des espaces spécialisés (« l’espace spécialisé est un espace mort », disait-il à propos des bureaux). Une autre urbaniste, Jane Jacobs pour sa part pestait autant contre le fonctionnalisme que contre une gouvernance verticale et univoque. Les mobilités ont contribué à accentuer ces constats et à souligner combien les flexibilités sont des gisements de transformation de la ville et des sources de productivités. Les services sont là pour optimiser les flux mais ils sont aussi largement là pour réaménager l’espace et le temps des villes et refonder leurs urbanités.
 
Les extensions du domaine des mobilités
 
Paradoxe, la mobilité trouve ses limites dans les transports eux-mêmes : des déplacements trop motorisés, trop longs, trop chers, trop chronophages, trop envahissants de l’espace public, trop polluants… ne sont plus la solution aux mobilités, en tout cas plus la seule.
 
Les mobilités sont inflationnistes (le Grand Lyon planifie un doublement du trafic d’ici 2025) en même temps que s’éparpillent nos azimuts du quotidien, avec leur lot de conséquences pour le citadin. A partir de ces constats, et considérant que les mobilités restent le socle de la vie urbaine, on peut imaginer travailler sur plusieurs registres :
–    Comment fluidifier les déplacements ? c’est-à-dire agir sur les congestions et sur les correspondances
–    Comment les relier aux ressources de la ville ? c’est-à-dire inscrire les ressources sur le parcours naturel des citadins, sur les nouvelles attractions (gares, stations de mobilité… et nouveaux hubs à imaginer)
–    Comment réduire en amont la demande ? voir ci-dessous le « quotidien à distance »
–    Comment transformer la qualité des mobilités ? c’est-à-dire réduire les mobilités subies (les deux heures de commuting quotidien pour beaucoup) pour consolider en revanche les mobilités choisies (les déplacements de loisir, de sociabilité, de détente).
 
Mobilité choisie versus mobilité subie
 
En effet, la mobilité a cru trouver sa réponse dans l’extension et l’intégration de l’offre de transport. On savait déjà que l’artificialisation du territoire se faisait au rythme d’un département tous les sept ans, mais cette inflation du macadam et du béton produit une curiosité que l’Insee livre ces jours derniers. Au-delà de l’urbanisation accélérée du territoire, la densité de population diminue depuis la fin des années 1960. On comptait 600 hab/km2 jusqu’en 1962. Elle était de 400h/m² en moyenne dans l’espace urbain en 1999. Et sans doute encore moins aujourd’hui, douze ans après puisque rien n’a été fait au niveau institutionnel pour casser cette logique centrifuge perverse. Moralité, La France continue de s’urbaniser à grande vitesse, mais elle le fait en se dédensifiant de manière accélérée et en accélérant la croissance des trafics au-delà de la croissance démographique.
 
Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’étalement urbain est le moteur de plus de déplacements motorisés et d’une difficulté accrue d’administrer les flux.
 
Mobilité désirable et ville vivable
 
Trop de déplacements tue la mobilité et appelle d’autres équilibres : une ville marchable, une ville cyclable, une ville des courtes distances, une ville des proximités, bref une ville vivable et ce faisant durable. La ville mobile multiplie les choix (par le truchement des applications numériques), s’ouvre à des solutions de partage (partage de la voiture, des vélos, des taxis, mais aussi partage des réseaux wifi, voire encore d’autres communalités), à des hubs inédits (des tiers-lieux qui hébergent transport, correspondances, consignes de commande à distance, espaces éphémères de travail, lieux de sociabilité, etc.). C’est une ville apaisée car elle favorise les proximités, les lenteurs, donc les rencontres, bref une nouvelle urbanité.
 
« Mobilité désirable », « ville vivable », ce n’est pas loin non plus des écoquartiers. Cette sémantique assez heureuse n’aurait-elle pas un arrière-goût d’angélique ? Mais le goût d’angélique peut aussi franchement disparaître quand on voit les audaces de certains. A New York City, Janette Sadi-Khan est transportation commissioner, c’est-à-dire en quelque sorte la ministre des transports de Monsieur Bloomberg. A la barbe des automobilistes, et même des taxis, elle a matérialisé sur l’axe de Broadway en moins de trois ans le concept de livable city : plus de marcheurs et plus de place marchable et plus de marchabilité et idem pour le vélo avec des pistes cyclables protégés qui font le fureur des automobilistes. Et c’est spectaculaire dans la transformation de la ville.
 
Epouser les nouvelles mobilités
 
Autre réponse. L’offre urbaine s’est complexifiée pour s’adapter : aux configurations spatiales (le mode pertinent dans le territoire – ex. l’auto ou le covoiturage là où le transport public ne sait répondre), temporelles (la nuit, les week-end, les fréquences, les horaires et les correspondances mais aussi les friches temporelles comme Paris Plage ou les voies sur berges sans voiture le dimanche, etc.), et logistiques (hubs et réseaux).
 
 
Ce faisant, plus de choix, plus de ressources, dans des combinaisons les plus improbables, c’est du service, mais c’est aussi plus de complexité ! Il faut que ces palettes de réponses soient identifiées et connues par les usagers, qu’elles soient circonstanciées, enrichies, actualisées en continu. Comment faire en sorte que ces ressources soient reliées entre elles au moment des correspondances (multimodalité, intermodalité) et soient facilitées lors des transactions (des tarifications intégrées, des supports monétiques sans contact, des passes de ville ?).
 
 
Bruno Marzloff, Sociologue – Sept. 2011
Publié pour Millénaire 3 / Groupe Chronos 
 
 

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