La municipalité de Rio de Janeiro en partenariat avec IBM dans le cadre de la démarche Smarter Cities, a inauguré en décembre 2010 le Centre d’Opérations de la ville de Rio. Ce centre de recherche technologique est conçu pour la prévision et le contrôle des catastrophes climatiques (pluies torrentielles, éboulements, etc.), ainsi que pour l’optimisation et l’efficacité opérationnelle dans la gestion des services de la ville : transports, police, hôpitaux, gestion de l’eau et de l’électricité… Il est un outil d’aide à l’action pour la ville et d’information pour les Cariocas. Ulisses Mello, directeur de recherche au Centre d’Opérations, a répondu aux questions de Chronos.
Chronos réagit dans un billet de blog sur la philosophie de ce modèle pour conclure qu’il y a sans doute une autre ville intelligente au-delà de la Smarter City.
Comment fonctionne le Centre d’Opérations de Rio de Janeiro ?
Concrètement, le Centre d’Opérations de la ville de Rio (COR) est constitué d’un tableau de bord qui représente l’état global des opérations de services publics de la ville. Cinquante écrans disposés dans un espace de 80 mètres carrés fonctionnent 24 heures sur 24 avec près de 400 professionnels. 300.000 mètres de fibre optique, 700 caméras, 40 salles de réunion et une salle de crises sont également nécessaires à son bon fonctionnement. Nous récupérons les données auprès de services de la ville via une plateforme en ligne et proposons un service mutualisé en temps réel qui interconnecte les objets, les services et les personnes. Des outils analytiques nous permettent de visualiser des informations prédictives avec 14 heures d’avance. La précision de ces informations est d’environ 80%. Avec le COR, nous remettons un rapport journalier des crises anticipées ou actuelles pour guider l’action publique au quotidien et informer les habitants via différents canaux (ordinateurs, smartphones, espaces publics dédiés).
Quels sont les objectifs du COR ?
Le COR participe de la durabilité de la ville de Rio dans la mesure où il favorise une consommation raisonnée des énergies et permet d’optimiser la gestion des services publics proposés aux habitants. Par ailleurs, nous nous inscrivons dans une dynamique de gestion des crises face au climat difficile de la Région et à l’instabilité économique et sociale (criminalité, trafics illégaux…). L’outil sert également pour organiser de grands événements. Il s’adresse à tous les habitants, quel que soit leur milieu social.
Pour ce faire, nous oeuvrons à :
Livrer une vision opérationnelle globale de l’état actuel de la ville à travers des indicateurs clés de performance et leur historique.
Favoriser la collaboration multi-domaines à travers la collaboration opérationnelle entre les services de la ville.
Faciliter la prise de décision grâce à la collecte et à l’exploitation des données à travers des techniques de visualisation, de simulation avancée et des outils d’analyse prédictive.
Comment adressez-vous la population ?
Nous essayons d’adresser toutes les couches sociales de la population en multipliant les canaux d’informations, des outils numériques aux médiateurs humains.
Du côté des outils numériques, nous proposons un site Internet sur lequel les gens peuvent accéder à l’ensemble des informations et données traitées. Ils peuvent choisir également de recevoir ces informations sur leur téléphone mobile, par SMS ou autres types d’alertes, selon la thématique de leur choix (climat, transport…). Les utilisateurs peuvent également visualiser nos modélisations.
Pour les individus qui ne possèdent pas de téléphone portable, nous utilisons les « squares du savoir » situés dans les favelas, lieux de proximité et de sociabilités mis en place sous l’impulsion du secrétaire des technologies de l’information. Ces lieux favorisent le regroupement de communautés voisines; ils favorisent la collecte et l’échange d’informations auprès des habitants, qui peuvent ainsi réagir aux alertes. Grâce à ces « squares du savoir », le non-accès à la technologie n’est pas un frein pour accéder aux informations.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez au sein de ce projet ?
Le COR mobilise un écosystème important d’acteurs. Même si les décisions concernant l’analyse et le traitement des données reviennent exclusivement à IBM, nous devons dialoguer avec les instances concernées. C’est pourquoi nous avons mis en place un accompagnement politique global du projet.
Par ailleurs, même si nous communiquons à travers les squares du savoir, nous avons encore du chemin à parcourir pour toucher la majeure partie de la population. Pour cela, nous devons adapter notre communication et nos solutions aux différentes cultures, à différents publics. Notre mission consiste donc également à comprendre quelles sont les meilleures façons de transmettre nos informations selon les cibles visées.
Plus spécifiquement, nous réfléchissons à développer de nouveaux process de communication à l’attention des favelas, quartiers particulièrement exposés aux risques. Il s’agit d’une part de faire savoir que les données existent et sont disponibles, et d’autre part de les acheminer vers les populations les plus fragiles. Avec la municipalité de Rio de Janeiro, nous souhaitons a minima leur indiquer rapidement où se trouvent les refuges en cas de catastrophe climatique et leur indiquer comment la ville peut leur venir en aide.
Le modèle du COR de Rio est-il réplicable ?
Il revient de distinguer ce qui relève de la singularité de la ville de Rio de Janeiro de ce qui est industrialisable dans le processus. Rio de Janeiro dispose d’une très forte ambition politique : s’afficher en tant que ville intelligente. De ce fait, elle est très en avance sur d’autres villes du monde en matière de circulation et de traitement des données urbaines. Déjà la ville a construit un système urbain de circulation de la donnée entre ses différentes agences. Différents centres de collecte de données ont été dissiminés dans la ville, qui produisent des cartographies à très haute résolution (précision au mètre carré). Les données disponibles, il nous restait à les acheminer vers une plateforme en ligne commune et à les croiser avec des données liées aux réseaux de transport en commun, au réseau routier, etc. Par ailleurs, la modélisation de nos données est complètement configurée pour la ville de Rio : les informations historiques et topographiques de la ville sont intégrés à nos modélisations. La scientificité de notre travail tient à la prise en compte du contexte local.
Néanmoins, le principe du COR peut être répliqué. Il est possible d’associer un grand nombre de services urbains par le cloud computing, d’opérer à des degrés élevés ou intermédiaires de services. Il est possible de trouver d’autres villes dans le monde où, dans un contexte singulier, la valeur créée par la technologie a été prouvée [on peut penser à SongDo dans la province d’Incheon près de Séoul en Corée du Sud]. Si l’on prend l’exemple des transports, l’optimisation et la prévision des flux peut être facilement exportable. Dans ce cadre, je pense que Rio de Janeiro est en avance sur l’ensemble de l’Amérique Latine. Déjà Sao Paulo a intégré certains éléments du modèle du COR, et d’autres villes s’intéressent de près à ce modèle.
(Article réalisé par François Vienne et Julie Rieg pour Chronos / Octobre 2012)
A propos de Chronos
Chronos est un cabinet d’études et de prospective dont les travaux s’articulent autour de quatre grands thèmes : les mobilités, la ville, le numérique et le quotidien.
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