Les discrètes – Rêves de tortues marines, de David Grémillet – Préface d’Alice Ferney – Illustrations de Bénédicte Martin – Éditions Actes sud / Collection Mondes sauvages, 3 septembre 2025 – 272 pages
Ce dernier ouvrage de David Grémillet poursuit le travail de l’auteur-océanographe, déjà auteur des Manchots de Mandela (2021) et Dans les bras du poulpe (2024). Par une écriture à la fois scientifique et poétique, l’ouvrage entremêle enquête de terrain et réflexion sur la coexistence entre l’humain et les merveilles de l’océan. Un récit dense et sensible sur les tortues marines, témoins résilientes de l’histoire de la vie sur Terre.
« Observer est le commencement, connaître est l’ambition, soigner et protéger alors devient possible. »
Alice Ferney – Préface, p. 12
Depuis 252 millions d’années, les tortues marines ont traversé deux extinctions de masse ; elles en affrontent aujourd’hui une troisième. Si vulnérables en apparence, elles ont résisté aux dinosaures, aux requins et aux crocodiles marins. Survivront-elles aux humains ? Les navigateurs du passé les ont chargées par millions à bord de leurs vaisseaux, les temps modernes les ont transformées en soupes pour les gourmets. Aujourd’hui encore, des centaines de milliers d’entre elles se noient chaque année, prisonnières des engins de pêche.
Pourtant, les “discrètes” persistent et certaines de leurs populations récupèrent des carnages du passé. Quel est le secret de jouvence des tortues marines, alors que l’humanité semble s’autodétruire ?
Au fil d’une enquête planétaire, de l’équateur jusque dans les régions polaires, David Grémillet nous entraîne sur la trace des belles nageuses, et des hommes et des femmes qui les défendent pied à pied.
Nous découvrirons ainsi leur long passé sur terre, leurs incroyables performances physiques, leurs migrations transocéaniques, leurs histoires de vie centenaires – autant de rêves éveillés pour un éloge de la lenteur.
Ce passage, qui figure dans la 4ᵉ de couverture du livre, introduit brillamment les thèmes majeurs de l’ouvrage : longévité, résilience, impact humain et espoir à travers les actions de conservation.
Ce propos, déployé avec sobriété et passion, fait du lecteur non pas un simple observateur, mais un compagnon de route. L’alternance entre science rigoureuse et humanité engagée donne à ce livre une profondeur rare. Loin d’un pamphlet, Les discrètes est une méditation radicale sur la capacité de résilience de la nature — et de l’humain quand il choisit la coopération plutôt que la destruction.
Un éloge de la résilience face à l’anthropocène
Grémillet illustre comment les tortues marines ont survécu à d’anciennes crises planétaires, pour désormais faire face à une extinction d’origine humaine — pollution, pêches accessoires, exploitation historique, etc. Le texte originel met cette menace en exergue, et l’auteur y répond non pas par le fatalisme, mais par un éveil collectif : “elles persistent” et certaines populations se reconstituent.
Une écriture incarnée par l’enquête
Le récit se déploie comme une expédition globale — des tropiques aux pôles — à la rencontre des tortues et de leurs défenseurs. Ce voyage immersif permet une alternance de scènes concrètes et de réflexions universelles, donnant au lecteur la posture d’un compagnon de route.
Ambivalence entre lenteur et performance
Les tortues, symboles de lenteur, sont pourtant des migratrices ultra‑efficaces et centenaires. Grémillet en fait les héroïnes d’un récit qui célèbre la sobriété et la durabilité — une invitation à repenser notre rapport au temps et à l’action.
Conflit et espoir : du constat à l’action
L’auteur ne se limite pas à dresser un bilan alarmant : il met en lumière les personnes œuvrant à la protection des tortues — populations locales, scientifiques, ONG. Cet aspect humain donne au livre une tonalité optimiste et militante, sans naïveté.
Les tortues marines, porteuses d’une histoire évolutive de plusieurs centaines de millions d’années voguent ainsi vers un avenir incertain, qui dépendra beaucoup de celui des humains sur Terre. L’effondrement annoncé de notre société de consommation apportera-t-il répit aux belles nageuses, par un arrêt du trafic maritime et des activités de pêche hauturières ? Ou bien les dernières tortues vivantes sur Terre seront-elles dépecées et dévorées par une humanité aux abois ? Dans un environnement de plus en plus chaotique, toute prospective géopolitique et écologique devient hasardeuse et il est peut-être, somme toute, plus raisonnable de rêver. »
David Grémillet, p. 232/233
David Grémillet est océanographe et directeur de recherche au CNRS (Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, Montpellier). Il a déjà publié chez Actes Sud Les Manchots de Mandela (Collection “Mondes sauvages”, 2021) et Dans les bras du poulpe (“Les chroniques de Libération”, 2024). Il habite Montpellier et se déplace volontiers lorsque son agenda de chercheur le lui permet.



