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Terrain n° 83 – « Animal culte »

Revue Terrain n°83 Automne 2025, « Animal culte », 19 septembre 2025

Des cochons d’Inde, des perruches, des chiens, des chats, assistent ensemble, presque paisiblement, à une messe à Rome ; ailleurs des pratiques de sépultures et de funérailles animales se développent, et des cérémonies de mariages entre animaux domestiques sont célébrées. Alors que certains cherchent à rentrer en dialogue avec leurs compagnons animaux défunts, d’autres militent pour faire reconnaitre leur place dans la Résurrection finale. Dans le même temps, des boutiques spécialisées proposent de la bière, des gâteaux et des cadeaux permettant de fêter des anniversaires aux espèces compagnes. Au-delà de l’Occident, de nouvelles formes de rituels articulent également des pratiques anciennes aux préoccupations nouvelles soucieuses du bien-être animal. Tel milliardaire chinois va acheter un abattoir pour en libérer les porcs et s’assurer ainsi des mérites pour sa prochaine réincarnation (pratique du fangsheng), quand Hideo Hawasaki, professeur de biologie à l’Université de Tokyo organise tous les ans des cérémonies shintô d’hommage aux cellules sacrifiées sur l’autel de la science.

La revue Terrain éclaire les aspects les plus variés et parfois les moins connus des sociétés d’hier et d’aujourd’hui. Elle privilégie la description ethnographique et l’étude des cas étonnants, dérangeants parfois, et donc à même de décaler le regard. Cette attention au particulier permet, autour d’un même thème, de rendre visibles les distances, les contrastes et les proximités que les anthropologues observent entre les sociétés, les cultures, les époques et les contextes.

Ce numéro 83, intitulé « Animal culte » et coordonné par Pierre-Olivier Dittmar et Vanessa Manceron, s’intéresse aux formes contemporaines et anciennes de ritualité autour des animaux. Il ne se limite pas à la question classique du sacrifice, mais explore la manière dont les animaux deviennent destinataires, acteurs ou bénéficiaires d’actions collectives à dimension religieuse ou symbolique. Ces phénomènes sont formidablement variés dans leurs formes et leur histoire, et il n’est pas sûr que l’on puisse les rassembler sous une même catégorie. Mais il se peut aussi que l’on assiste à un bouleversement profond au sein des sociétés mondialisées, où se construisent sous nos yeux des rapports nouveaux entre les humains et les autres animaux. Bien qu’elles puissent paraitre marginales, touchantes ou ridicules, ces pratiques opèrent une rupture dont on ne saurait minimiser l’importance au regard de la longue durée.

Longtemps la place de l’animal dans le rituel fut pensée par les anthropologues et les historiens via le prisme du sacrifice, où les animaux servent de médiateurs avec des entités invisibles. L’importance de ces pratiques, que cela soit dans les sociétés antiques ou de nombreux terrains décrits par les ethnologues, a suscité une abondante et passionnante littérature. Néanmoins, elle a sans doute également contribué à occulter d’autres pratiques, où les animaux n’étaient pas le moyen, mais les acteurs ou les bénéficiaires des actions rituelles.

Dans ce vaste panorama, les sociétés monothéistes se singularisent par un indéniable anthropocentrisme qui éloigne les animaux du culte, lui accordant une place souvent métaphorique (comme l’est l’Agneau de Dieu). Plus encore, comme l’a bien montré François Sigaut (« Le monothéisme et les animaux », 1995), le christianisme se singularise au sein des religions du Livre par une exclusion radicale de l’animal hors de la sphère rituelle : en abandonnant le sacrifice sanglant et l’abattage rituel, la liturgie chrétienne éloigne l’animal du culte et des pratiques normatives, contribuant à en faire une chose, purement profane.

Pourtant, même dans ces contextes peu favorables en raison de ces positionnements théoriques, de nombreuses pratiques, fêtes locales, cultes privés ou collectifs sont repérables, impliquant et intriquant humains et autres animaux dans des contextes rituels.

Ce dossier se distingue par son originalité et son ouverture disciplinaire puisqu’il mobilise anthropologie, histoire, sociologie et histoire de l’art pour analyser ces phénomènes dans une perspective comparatiste. Sa force réside dans la volonté de dépasser le prisme exclusif du sacrifice pour montrer que la ritualité animale se décline aussi dans des formes festives, commémoratives ou compassionnelles, et qu’elle contribue à brouiller les frontières entre profane et sacré, humain et non-humain.

Toutefois, le projet soulève plusieurs défis : le risque de réduire ces pratiques à des curiosités folkloriques, la difficulté de définir clairement ce qui constitue un rituel ou un culte animal, la nécessité d’équilibrer l’approche historique et contemporaine et de tenir compte des tensions religieuses ou institutionnelles, en particulier dans les monothéismes. Les implications éthiques sont également fortes, car ces rituels posent la question du statut de l’animal, de ses droits et de son bien-être. En ce sens, ce numéro ne se contente pas de documenter des pratiques, il invite à repenser en profondeur la place de l’animal dans la ritualité et, plus largement, dans la culture et la société, ouvrant de nouvelles pistes pour les sciences sociales et pour les débats contemporains autour de l’animal.

Les perspectives de recherche que ce dossier pourrait inspirer sont nombreuses : l’étude comparée des rituels animaux dans les grandes traditions religieuses et dans des mouvements spirituels émergents, l’analyse des transformations historiques des pratiques liées aux animaux dans les sociétés occidentales ou non occidentales, l’examen de la place de l’animal dans les funérailles, commémorations et rituels de deuil, la manière dont ces rituels influencent les débats contemporains sur le bien-être animal et les droits des animaux, l’exploration des liens entre ritualité animale et économie marchande à travers l’essor des services et produits cultuels pour animaux de compagnie, ou encore l’étude des représentations artistiques, médiatiques et numériques qui donnent une visibilité à ces cultes. Ce numéro pourrait aussi encourager des recherches sur les zones de tension entre pratiques rituelles et institutions religieuses ou juridiques, en mettant en lumière la manière dont les sociétés négocient la légitimité et les limites du culte rendu aux animaux.

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