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L’économie sociale et solidaire au service du développement durable

L’économie sociale et solidaire au service du développement durable, d’Arnaud Breuil – Édition Les petits matins / Collection Mondes en transitions, 9 octobre 2025 – 85 pages

Le livre d’Arnaud Breuil propose de montrer comment l’ESS peut répondre concrètement aux enjeux de développement durable, à partir d’exemples agricoles en Afrique. L’ouvrage arrive dans un contexte où l’ESS a été officiellement reconnue par l’ONU, en avril 2023, comme un levier du développement durable (résolution « Promouvoir l’économie sociale et solidaire pour un développement durable »). Cette résolution souligne la contribution de l’ESS au travail décent, à la réduction de la pauvreté et à l’inclusion sociale.

Le livre adopte une démarche très concrète : il repose sur les témoignages d’agriculteurs africains impliqués dans ces projets, afin de montrer comment l’ESS contribue réellement aux Objectifs de développement durable (ODD), par-delà les discours institutionnels.
Enfin, l’éditeur signale que l’auteur n’ignore pas les menaces actuelles : crises géopolitiques et économiques, fragilisation de la démocratie, réduction des budgets d’aide au développement en Europe et aux États-Unis, qui mettent sous pression ces initiatives de l’ESS partout dans le monde.

L’ESS comme réponse concrète à la sécurité alimentaire

L’un des fils directeurs du livre semble être l’idée que l’ESS n’est pas qu’un « beau concept » mais un outil très pragmatique pour répondre à un problème central en Afrique : l’alimentation et la sécurité alimentaire. En développant des coopératives d’utilisation de matériel agricole, les agriculteurs mutualisent des investissements lourds (tracteurs, moissonneuses, outils de culture, etc.), améliorent leur productivité et leur autonomie, et renforcent leur capacité à vivre de leur travail.

L’analyse qui se dessine est celle d’une économie de la coopération contre une économie fondée sur la concurrence pure : l’ESS permet de créer des communs productifs (le matériel, les infrastructures, parfois les circuits de transformation et de commercialisation) qui servent l’ensemble d’un territoire plutôt que seulement quelques exploitants.

Gouvernance démocratique et empowerment des agriculteurs

Autre axe central : ces coopératives ne sont pas seulement un outil technique, elles incarnent un mode de gouvernance démocratique : décisions prises collectivement, répartition transparente des coûts et des bénéfices, et implication des membres dans la gestion. Le livre met la gestion démocratique, la coopération et l’entraide au cœur des politiques de développement.
On peut y lire une critique implicite de modèles de développement plus classiques : projets pilotés « d’en haut » par des bailleurs, dépendance à des ONG ou à des programmes de court terme, faible appropriation par les populations locales.

À l’inverse, l’ESS est ici présentée comme un instrument d’« empowerment » des agriculteurs : ce sont eux qui deviennent acteurs des décisions, copropriétaires des outils, et non de simples « bénéficiaires » de l’aide.

Un ancrage africain et des coopérations Nord–Sud

Le choix de focaliser sur l’Afrique est important : il évite une vision trop euro centrée de l’ESS (souvent vue comme un phénomène français ou européen). Il montre que l’ESS est déjà très vivante dans des contextes où la question de la survie économique est centrale, et il permet d’interroger concrètement les rapports Nord — Sud dans les projets de développement.
Les coopérations entre agriculteurs européens et africains sont au cœur du propos. On peut y voir une forme de solidarité professionnelle : ce ne sont pas seulement des États ou des ONG qui coopèrent, mais des pairs (des agriculteurs) qui partagent des savoir-faire, des outils et des expériences organisationnelles (comme le modèle des CUMA en France).

Analytique­ment, cela pose des questions : Comment éviter que ces coopérations ne reproduisent des rapports de domination (experts européens vs « bénéficiaires » africains) ? Comment s’assurer que les modèles importés sont réellement adaptés aux contextes locaux ?
Le livre, via les témoignages, veut montrer précisément comment ces coopérations peuvent être coconstruites, à partir des besoins et des capacités locales, plutôt que simplement transférées.

ESS et Objectifs de développement durable : de la théorie à la pratique

Le texte insiste sur le lien entre les initiatives décrites et les Objectifs de développement durable reconnus par l’ONU. L’ESS y apparaît comme un levier qui agit simultanément sur plusieurs ODD :

  • ODD 1 & 2 : lutte contre la pauvreté et la faim, par l’amélioration des revenus et de la production alimentaire ;
  • ODD 8 : travail décent et croissance inclusive, via des organisations collectives plus protectrices ;
  • ODD 10 & 16 : réduction des inégalités et renforcement de l’inclusion démocratique, par la gouvernance coopérative ;
  • ODD 12 & 13 : production et consommation responsables, et lutte contre le changement climatique, lorsque les pratiques agricoles sont orientées vers l’agroécologie ou des modèles plus durables.

L’enjeu théorique est de faire le pont entre le niveau macro, celui des grandes résolutions internationales et le niveau micro, celui des pratiques quotidiennes des agriculteurs, des assemblées générales de coopérative, des décisions sur l’utilisation d’un tracteur ou le partage des récoltes. L’ouvrage montre ainsi que la reconnaissance onusienne de l’ESS n’est pas qu’un geste symbolique : elle s’appuie sur des expériences concrètes de terrain, comme celles décrites par Breuil.

Les menaces sur l’ESS : crises et baisse de l’aide

Dernier axe important : le livre ne verse pas dans une vision naïve ou « enchantée » de l’ESS. L’éditeur signale que l’auteur pointe plusieurs menaces :

  • Crises géopolitiques (conflits, instabilité internationale) qui perturbent les chaînes d’approvisionnement, renchérissent les intrants, détournent les financements vers d’autres priorités ;
  • Crises économiques (inflation, dettes, fragilisation des budgets publics) qui peuvent réduire les marges de manœuvre des États et des collectivités ;
  • Crises démocratiques (recul de l’État de droit, autoritarisme, corruption) qui rendent plus difficile l’émergence de structures réellement autonomes et démocratiques ;
  • Réduction des budgets de l’aide au développement, en Europe comme aux États-Unis, qui fragilise les programmes d’appui à l’ESS et à l’agriculture familiale.

L’analyse qui se dessine est celle d’une tension permanente : l’ESS apparaît comme un levier puissant de développement durable, mais elle reste vulnérable à des choix macro-économiques et politiques sur lesquels les coopératives ont peu de prise.

L’ouvrage offre une approche très concrète et incarnée. Le recours aux témoignages d’agriculteurs africains permet de sortir des discours abstraits sur l’ESS et le développement durable. On voit comment les principes (coopération, démocratie, solidarité) se traduisent dans la gestion d’une coopérative, l’achat d’un matériel, l’organisation du travail. En mettant l’Afrique au centre, l’ouvrage montre que l’ESS n’est pas une « invention du Nord », mais qu’elle se nourrit de pratiques situées, souvent anciennes, de solidarité et de coopération.
Il fait un lien clair entre pratiques de terrain et cadres internationaux (ONU, ODD). Le livre illustre aussi comment des politiques très globales (résolution de l’ONU) s’appuient sur des expériences très locales, et inversement comment ces expériences peuvent gagner en légitimité grâce à cette reconnaissance.

C’est aussi une réflexion sur les vulnérabilités de l’ESS, car, en insistant sur les crises et la baisse de l’aide, l’auteur rappelle que l’ESS ne vit pas hors sol : elle est prise dans des rapports de forces, des arbitrages budgétaires, des choix politiques.

Il met en avant les rapports de pouvoir Nord–Sud :  les coopérations entre agriculteurs européens et africains sont présentées comme positives et solidaires. Une lecture critique peut questionner : comment sont décidées les orientations des projets ? Comment sont repartis les savoirs, les responsabilités, les financements ? Comment éviter les asymétries ?

Les expériences décrites montrent des réussites locales. Alors, reste la question : comment changer d’échelle ? Peut-on passer de quelques dizaines/centaines de coopératives à un véritable modèle dominant de développement rural ? L’ouvrage donne des pistes, mais la question reste structurante pour toute réflexion sur l’ESS.

Arnaud Breuil est directeur des partenariats et de la coopération chez Upcoop. Il a également dirigé l’Institut de coopération sociale internationale (Icosi).

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