Faut-il lancer une innovation dès lors que l’on ne connaît pas exactement l’ensemble des impacts qu’elle peut générer ? Devons-nous élaborer une forme de principe de précaution spécifique à l’environnement économique ? Cela dans un contexte où la pression compétitive fait que seule l’innovation peut générer un avantage compétitif.
Rappelons ce qu’est le principe de précaution, dont l’existence est intimement liée à l’essor de la science. Ce principe et relativement récent puisqu’il est reconnu lors de la Conférence de Rio de Janeiro en 1992. Alors que, jusqu’à la fin du XXème siècle, la science fait autorité de savoir, d’incontestabilité, elle devient désormais incertaine, sujette à débats, controverses.
En conséquence, les autorités politiques, sanitaires, gouvernementales, sont confrontées à des questions et à des risques dont on ne sait avec certitude s’ils seront avérés. Ce principe de précaution concerne avant tout les risques environnementaux et sanitaires. Si ces risques ne sont pas clairement prouvés, ils doivent être argumentés de la façon la plus scientifique possible. Si, dans ce dernier cas, des limites persistent, alors les autorités politiques prennent la responsabilité des risques selon des objectifs énoncés. Ce principe a été introduit dans la Constitution française en 2004 dans la charte de l’environnement.
Il faut bien comprendre que le principe de précaution n’est pas à entendre comme un frein à l’innovation
Ce n’est pas renoncer aux investigations scientifiques. C’est au contraire multiplier les études scientifiques, évaluer les niveaux de risques, d’incertitudes pour accroître la connaissance dans un domaine et mieux cerner et comprendre les dangers possibles. Aucun développement scientifique ne peut être restreint sous prétexte du principe de précaution, car, au contraire, suele la recherche scientifique peut permettre une avancée pour l’évaluation des risques. Ainsi, appliquer le principe de précaution aux nanotechnologies, par exemple, c’est approfondir les recherches, multiplier les tests et études pour aboutir à un savoir commun, partagé et le plus sûr possible.
Le principe de précaution peut également être énoncé pour interdire une technologie si elle semble nuisible à la société. Il n’y a pas Le principe de précaution, mais Un principe de précaution qui est utilisé de façon différente au regard des différents stades de l’innovation. Son enjeu est donc de prendre des mesures de protection malgré la nature incertaine des risques ou de retarder l’éxécution de certains projets tant que les risques n’ont pas été clairement identifiés.
Le principe de précaution a ceci de commun avec l’innovation-responsable qu’il y a de l’incertitude
La dommage n’a pas été causé et il n’est même pas sûr que cela arrive. Ce qui d’ailleurs les différencie de l’action curative, qui répare. Mais ce qui différencie le principe de précaution de l’innovation-responsable, c’est que dans le premier cas l’action est retenue. Autrement dit, si le principe de précaution est avancé, l’innovation n’est pas lancée avec tout ce que cela comporte comme risques, cette fois, non pas environnementaux ou sanitaires, mais concurrentiels.
Que faire alors d’une innovation qui apporte un avantage concurrentiel, mais qui n’est pas totalement sous contrôle en termes de responsabilité ?
Il s’agirait donc de chercher à élaborer préférablement un principe de bienveillance où l’enjeu serait clairement de « faire attention », de « prendre soin » de ceux qui sont nos semblables. Ce principe ne limiterait pas l’innovation, mais l’encadrerait suffisamment aussi à son lancement dès lors qu’elle est susceptible de nuire. Car, à l’évidence, les scientifiques n’ont pas réponse à tout, les innovateurs d’entreprise non plus. Les investigations n’arrivent pas toujours à identifier les conséquences possibles et il faut en quelque sorte ne pas faire ou « faire avec ». Cela d’autant plus, que les évaluations scientifiques mais aussi marketing sont en majorité réalisées en loboratoire ou en test marché, ce qui ne correspond pas à la réalité des comportements des consommateurs.
Il ne peut être qu’envisagé un lancement avec un niveau de risque acceptable, compte-tenu des connaissances au moment de la mise sur le marché. D’autre part, cela impose la nécessité d’émission d’hypothèses :
– l’évaluation du risque. Quelles sont les propensions au dépassement des objectifs et les risques d’échecs ?
– la gestion du risque. Dès lors qu’une des hypothèses semble se révéler, comment agissons-nous ? Quels sont les cadres, les procédures qui doivent être mis en place pour permettre ces gestions ?
– la communication. Comment en interne, mais potentiellement à l’extérieur, nous communiquons sur les risques pris en connaissance de cause et tout à fait sous contrôle par l’application des procédures préventives ?
Dans la sphère économique, ce principe de bienveillance – ou « code d’innovation-responsable » pour conserver l’esprit volontaire d’innover – semble ainsi plus approprié que le principe de précaution.
Nul dirigeant d’entreprise n’arrêtera une innovation, si les risques sont peu élevés, sa propre pression économique ne le fera pas reculer.
Il faut encadrer les pratiques, non les dissuader, il faut prévenir, expliquer et non sanctionner. La sanction ou l’interdiction ont pour conséquence le détournement dans un autre espace, dans un autre temps. Au sein de l’innovation, le cadre d’un principe de bienveillance n’est pas si l’on fait ou non, mais comment on fait.
Cela permet également de se comprendre d’un point de vue international. Le principe de précaution de l’innovation n’est pas le même partout et son application est particulièrement hétérogène. Le principe de bienveillance, ce « code d’innovation-responsable », est quant à lui, par définition, international puisqu’il s’agit encore une fois de « fair », mais de faire sous certaines conditions. Le code d’innovation-responsable serait en cela un formidable outil d’innovation, alors que le mprincipe de précaution peut plutôt être vu comme un frein.
A propos de Xavier Pavie
Après avoir passé plus d’une quinzaine d’années en entreprise dans les directions marketing (Nestlé, Unilever, Club Méditerranée), Xavier Pavie enseigne à l’ESSEC Business School où il est également Directeur de l’Institut Service Innovation et Stratégie. Diplômé en science de gestion, il est aussi docteur en philosophie. Il est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages en management de l’innovation, en stratégie des services et en philosophie. Son dernier ouvrage :« L’innovation-responsable » aux Editions Eyrolles.
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