Peuple, pouvoir & profits – Le capitalisme à l’heure de l’exaspération sociale, de Joseph E. Stiglitz – Edition Les Liens qui Libèrent (LLL), 2020 – 416 Pages
Voici le grand réquisitoire du prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz contre la dialectique infernale du pouvoir et des profits, dont UP’ Magazine s’est déjà fait l’écho lors de sa sortie en septembre 2019. Après la crise sanitaire sanitaire du Covid, il est urgent de « mieux faire comprendre les sources réelles de la richesse d’un pays et les moyens que nous avons, quand nous développons l’économie, d’être certains que les fruits de sa croissance seront équitablement partagés« . Car les défis à venir « risquent fort d’être encore plus redoutables : l’inégalité actuelle est peut-être encore plus grande et, avec les récentes décisions de la Cour suprême [amériaine], l’argent a davantage de pouvoir en politique. Ajoutons que la technologie moderne est plus efficace pour traduire les écarts de ressources financières en écarts de pouvoir politique. »
« Aujourd’hui, le seul pouvoir compensateur est le pouvoir du peuple, le pouvoir des urnes.[…] C’est pourquoi œuvrer dans le sens de l’égalité n’est pas seulement une question de morale ou de bonne économie ; c’est une question de survie de notre démocratie.«
Depuis plusieurs décennies, Joseph E. Stiglitz développe une critique forte du néolibéralisme. Il dénonce la foi aveugle dans les marchés libres et sans entraves. Il fustige la mondialisation, qui étrangle les pays en développement. Il condamne la libre circulation des capitaux, qui aboutit à des crises financières. Il met en garde contre le creusement des inégalités.
Toutes ces évolutions sont voulues par les grandes entreprises : grâce à leur « pouvoir de marché », elles exploitent aussi bien leur personnel que leurs clients afin d’accroître leurs profits. Et ces profits leur permettent d' »acheter » le pouvoir politique afin qu’il légifère selon leurs désirs, et non dans l’intérêt du peuple. Mais ce dernier n’en peut plus. Il veut que cela change.
Entrent alors en scène des démagogues qui, pour exploiter la colère du peuple, développent une critique de la mondialisation superficielle, au plus loin de celle de Stiglitz. Faite d’hostilité à l’égard des migrants et de protectionnisme, elle leur assure un large soutien chez les victimes de la désindustrialisation. Mais ces nouveaux populistes ont également l’appui des grandes entreprises, et pour cause : ils travaillent pour elles, en leur prodiguant des réductions d’impôts massives et en déréglementant, par exemple.
Pour combien de temps ? Dans ce livre, Stiglitz ne se contente pas d’analyser avec finesse les grands problèmes actuels occidentaux (l’anémie de l’économie, le pouvoir des monopoles, la mauvaise gestion de la mondialisation, la financiarisation abusive, le changement technologique mal maîtrisé et le rôle de l’Etat). Après quoi il propose aussi un tournant radical, un programme économique et politique progressiste, « diamétralement opposé à celui de Reagan et à celui de Trump. »
Si une maison est divisée contre elle-même, cette maison ne pourra pas se maintenir.
Marc 3,5 ; Abraham Lincoln
Pour l’ancien Prix Nobel d’économie, « nous avons perdu notre route » : il faut rétablir la démocratie politique aux Etats-Unis et dans le monde, où « les droits de la majorité ne sont pas respectés » et instaurer une grande politique sociale autour d’une idée forte, « l’opinion publique ». Car c’est seulement en s’attaquant de front au pouvoir et aux profits des grandes compagnies que le peuple pourra enfin espérer vivre décemment.
Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, a été économiste en chef de la Banque mondiale. Il a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Le prix de l’inégalité ou Le triomphe de la cupidité (Les Liens qui libèrent).