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Et si nous traitions les avènements ?

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Aujourd’hui s’ouvre à Oran, le Congrès international féminin pour une culture de paix. Un mois après l’assassinat d’Hervé Gourdel, cet événement placé sous haute sécurité, entend témoigner qu’il y a d’autres nouvelles que la spirale de la peur. Organisée par la Fondation Djanatu Al-Arif (Le paradis du connaissant) et l’ONG internationale AISA portée par le Cheik soufi Khaled Bentounes, cette semaine d’échanges interculturels mise sur « l’énergie féminine (des femmes comme des hommes), porteuse de paix par essence. Cet engagement dans des cohabitations non plus subies mais fécondes pour soutenir un « mieux vivre ensemble » entend valoriser les initiatives multiples contre les replis identitaires.

Témoin et acteur de ce mouvement, Patrick Busquet est en poste à Kinshasa (République démocratique du Congo) pour la Fondation Hirondelle (www.hirondelle.org). Expert en mission auprès de l’ONU et ancien grand reporter, il exhorte à sortir de l’égocentrisme ambiant, d’un encodage des cerveaux à la violence, et propose de nous centrer sur les valeurs humaines partagées et les enjeux constructifs.

Pensez vous que les médias peuvent contribuer à une culture de paix ?

Patrick Busquet : Voici dix ans, alors que je dirigeais à Paris une équipe pour la création d’une agence d’information dédiée aux innovations sociales et sociétales, nous avions réalisé une étude afin d’évaluer la part positive des contenus diffusés par les médias français. Le résultat était inférieur à 1% !

Ce 1% englobait de la belle histoire individuelle sans intérêt collectif (par exemple : un parachutiste saute d’un avion en ayant oublié son parachute, un autre se précipite, le rattrape et lui permet de toucher terre sans dommage) ; des thèmes de développement personnel, dont beaucoup, bien qu’intéressants et utiles, sont plus égocentrés que d’intérêt général, et des informations constructives sur des sujets ayant un intérêt général, orientés vers l’amélioration de la vie (par exemple : Barefoot College, ce centre de formation créé par Bunker Roy en Inde, qui transforme des femmes analphabètes en ingénieures en énergie solaire).

99% des contenus produits, à l’époque par les médias français, étaient polarisés sur les catastrophes, les guerres, les tensions et les conflits de toutes sortes, le business, l’actualité événementielle, le divertissement et la distraction, le ragot, les stars, le débat et la polémique, le commentaire, le commentaire du commentaire, etc. Il s’agit là d’un encodage des cerveaux à la violence (y compris celle qui ne s’exprime pas par le conflit), la violence des tragédies mais aussi celle des réalités illusoires et artificielles. 

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Cet encodage agit par une parole à fragmentation (comme il existe des bombes à fragmentation) : les contenus fabriqués par cette parole, dans les médias ou dans nos échanges courants, réduisent la vie à une pulvérisation d’histoires. Cette narration du monde est loin, très loin de dire la vie, quoique en prétendent les médias, particulièrement ceux de masse.

Quelle forme donnons nous donc au monde ?  

PB : Par le biais des technologies, environ 4 milliards de personnes sont devenues… des médias puissants. Depuis 2012, nous produisons et diffusons plus de contenus que tous les médias du monde. Il s’agit, massivement, de contenus presque jamais vérifiés, souvent de rumeur, de fausseté, de futilité ; ces derniers expriment surtout des opinions, des expressions narcissiques dans une recherche de profits, de jouissance immédiate… Une minorité de ces contenus apporte des éclairages justes et originaux, partage des expériences utiles, est éclairée par le génie humain.

Ainsi, les médias et les publics, sont mus par de la négativité (esprit de division, de compétition et de conflits entre les personnes, entre les représentations culturelles, entre les organisations, entre les nations). Bien sûr, ils peuvent se mobiliser pour la beauté ou la générosité, mais ces logiques n’ont aujourd’hui qu’une place résiduelle.  

Ces regards négatifs n’ont pas été créés par les médias. Nous sommes leur origine. Nous les transmettons à nos enfants dès leur conception, dans le bassin des femmes, dans nos familles, dans nos milieux privés, dans les systèmes que nous créons. Ainsi nos messages, médiatiques ou de conversation, maintiennent le monde dans le pire (désenchantement, irresponsabilité, désespérance collective…).

Ainsi, nous construisons la vision par laquelle nos enfants donneront, à leur tour, forme au monde. Mais, sommes-nous obligés de parler à nos enfants comme les médias nous parlent ? Pourquoi ne pas faire l’effort de chercher, sous les couches des apparences, les jeunes pousses de véritable libération ? Pourquoi ne pas ouvrir une conversation avec les médias ?

La responsabilité des médias et des individus est intimement fusionnée. Les médias ne sont critiquables que dans la limite de notre influence sur eux. Parce qu’ils ne diffusent que les contenus que nous validons. Par les médias, nous imposons les formes de société que nous désirons. Autrement dit, les 99% de contenus négatifs que j’évoquais, sont en rapport avec notre part d’ombre. Donc, la situation actuelle, catastrophique pour la santé psychique de l’humanité, peut changer, par l’œuvre d’un choix qui dépend… de nous.

La parole est-elle devenue toxique ?

PB : Et si l’humain ne savait pas parler ? Et si la guerre était née de l’aphasie humaine ? Pour sortir de sa guerre civile, l’humain ne doit-il pas donner un langage commun à la diversité de sa famille ?

Vous savez la Fondation Hirondelle, a été créée par des journalistes suisses, à la suite des massacres entre Hutus et Tutsis, du côté du Rwanda et du Congo. Depuis 20 ans, elle installe des médias dans des zones de crises. Elle installe prioritairement des radios qui sont les média les moins intrusifs. La voix accompagne, tandis que la lecture oblige à se mobiliser et que l’image détourne, souvent, son sujet au profit d’elle-même.

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En République démocratique du Congo, la Fondation Hirondelle travaille avec 90 radios communautaires, sur 400 qu’en compte le pays. Elle a créé aussi, voici 13 ans, Radio Okapi pour la Mission de paix de l’ONU, la Monusco. C’est la radio la plus importante du pays. Quand interviennent des actes tragiques, les auditeurs et les auditrices dénoncent les crimes auprès de Radio Okapi, bien avant se tourner vers les autorités de police ou de justice.

Certains journalistes, telle Caddy Adzuba, ré­compensée la semaine dernière par le prix Concorde de la Fondation Prince des Asturies, à Oviedo (Espagne), pour son action de lutte pacifique contre la violence faite aux femmes (il y a en moyenne 36 viols par jour en RDC), contre la pauvreté et la discrimination, sont des héroïnes et des héros aussi admirables qu’ordinaires.

Vous pronez un changement d’attention…

PB : Nous savons être magnifiques dans le malheur et l’urgence. Nous pouvons le devenir dans le quotidien. Nous pouvons traiter notre intoxication négative, gravement avancée, en accordant moins d’espace mental aux événements, en repositionnant nos regards sur les avènements, c’est-à-dire sur les enjeux de la construction du futur et les réponses proposées. Cela veut dire encourager une nouvelle architecture de la parole agissante qui cerne un enjeu, un contexte, une réponse, un effet et qui met en conversation nos expériences, pour les mutualiser. Pour en sublimer aussi les difficultés, et ainsi entrer dans une conversation non plus des seules idées, mais des actes : cette conversation des expériences installera peu à peu notre universalité, elle nous hissera dans cette humanité dont nous portons la promesse, tout en la détruisant par la négativité que nous avons accumulée au fil des générations et des enfermements comportementaux. La conversation des expériences équilibrera la conversation des idées qui, souvent, nous emporte vers les idéologies et la guerre.   

La culture de paix s’installera dans le monde, si nous jardinons les initiatives en ce sens, et si développons un « Langage des expériences ». Pour faciliter la transformation du monde, nous devons modifier nos représentations. Pensez-vous que nous aiderons à l’émergence d’une culture de paix si nous continuons à confondre, par nos médias et par nos conversations les mondes islamo/persan/arabe/tchétchène/afghan/asiatiques ou banlieusards des pays riches, etc. avec les organisations violentes qui prennent l’Islam en otage ?  De même, nous mélangeons souvent les croyances religieuses avec les dictatures morales et sociales, qu’elles soient sexuelles,  vestimentaires, coutumières, etc. ?

Si nous faisions l’effort de parler davantage des villages judéo-palestiniens vivant en paix, éduquant à la paix, des expériences hospitalières ou éducationnelles de même esprit, pensez-vous que ces paroles ne produiraient pas d’effet positif ? Pensez-vous qu’une parole apaisée des femmes, entre elles, avec leurs conjoints, avec leurs enfants, avec leur environnement, n’assècherait pas les barbaries, peu à peu ?

Propos recueillis par Dorothée Browaeys, Rédactrice en chef adjointe UP’ Magazine

 

 

 

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