Cet article est une mise en bouche. Je lance une série sur l’écosystème des sociétés françaises de la TV connectée. Elle fait écho au livre blanc sur les opportunités de la TV numérique publié en mai 2009, à cette stratégie européenne de la TV connectée et à d’autres articles sur la TV connectée (sur Apple, sur Google, sur HbbTV) sans compter mes divers Rapports du CES.
Je vais me focaliser sur les startups et entreprises établies du secteur des TV connectées, que ce soit dans le développement d’applications pour les TV des constructeurs, pour les set-top-boxes des FAI en mode IPTV, voire pour celles qui ciblent les autres écrans et notamment les tablettes.
Pourquoi cette revue de détail ?
Le monde de la télévision est un secteur du numérique en plein bouleversement. Ce secteur est porteur d’enjeux non seulement technologiques, mais aussi politiques et de régulation. Au même titre que dans le cinéma ou la photo numérique, l’écosystème des startups des métiers de l’image est florissant et passionnant. Il n’y a pas que les réseaux sociaux, la mobilité et le e-commerce dans la vie ! Les 100 et quelques exposants français de l’IBC sont là pour en attester ! Et puis, c’est enfin l’un de mes centres d’intérêt et d’activité.
Je vais couvrir ces sociétés par une série d’une cinquantaine d’articles qui sera étalée sur plusieurs mois si ce n’est années. Une fois la série terminée, j’en produirai probablement un recueil. Il est probable que je découvrirai d’autres startups au fil de l’eau pendant la publication de cette série d’articles ! Vous êtes les bienvenus !
Catégories de sociétés étudiées
Dans cette série, nous traiterons des domaines suivants :
– Le développement d’applications multiécrans avec notamment WizTivi, Hubee, JoshFire et DotScreen. Ces sociétés ont connu un fort développement depuis trois ans avec l’apparition des TV connectées de grands constructeurs comme Samsung, LG Electronics, Sony et autres. Mais elles travaillent aussi pour les FAI et ciblent également les smartphones et tablettes devenus incontournables dans l’expérience télévisuelle.
– Le conseil, le service et l’ingénierie avec Altran, ATOS Worldline, C2M, Visiware, Mediatvcom, Pixagility et DVMR. Ils sont moins connus mais emploient des centaines de personnes et développent des applications et infrastructures clés comme nous l’avons vu dans le cas de MesServicesTV et de C’est dans l’Air.
– La déliéarisation, la relinéarisation de contenus et la VOD avec Cognik, PlayTV, Recatch, FairPlay TV, Spideo, Everdig, Plizy et DailyMotion. Au-delà des solutions de VOD se sont créées des sociétés qui relinéarisent de manière originale des contenus thématiques et font de la recommandation à la volée. S’y intègrent des solutions de recommandation de contenus.
– La social TV avec devantlatele.com, Telequid, Seentalk, WebTV Interactive, RendezVousTV, Parlons TV, Planning TV, WebCastStory avec divers moyens d’implication des téléspectateurs autour de la consommation de TV, le plus souvent à partir du « second écran ». Et aussi les moyens de mesure associés, comme ceux de Mesagraph.
– Le middleware avec Wyplay, Netgem, Vianeos, AWOX, SoftAtHome et Technicolor, qui sont des sociétés ciblant le marché des opérateurs télécom, notamment dans l’IPTV. Leur middleware devient multi-écrans, ils adoptent des architectures cloud, et encore plus que les autres, se développent à l’international.
– L’infrastructure avec notamment Ateme, Dalet, Egonocast, HTTV, Powedia, SGT, Sticky Ads TV, B-Stream, Advideum, Technicolor, Cedexis et Witbe. Elles sont moins visibles car elles opèrent dans les couches basses, dans la production, la diffusion des contenus, la gestion de la publicité ou la qualité de service mais elles jouent toutes un rôle intéressant dans l’alimentation des TV connectées et set-top-boxes des FAI.
– Le matériel avec Sagemcom, Netgem et AWOX qui nous ramènent comme le middleware au marché des FAI et/ou des solutions « over the top ».
Vous êtes un malheureux oublié de ce panorama ? Envoyez-moi un mail (olivier@oezratty.net) et je vous y intègrerai.
Organisation du marché de la TV connectée
Le marché de la TV est en pleine mutation. Les opportunités sont certaines mais pas évidentes à évaluer. Une grande incertitude persiste notamment au sujet de l’énorme fragmentation technologique du marché. C’est le propre d’un marché à même de générer des innovations de rupture. Un peu comme le PC avant l’arrivée de l’IBM PC 1981 (sans rapport avec l’élection de François Mitterrand).
Côté applications, le marché pâtit du manque de standards de développement logiciel. Les plateformes sont très fragmentées. Pour les TV connectées, on développe selon les cas avec le webkit, en Javascript et CE HTML, avec HbbTV et ses évolutions à venir voire en Java. Les TV n’ont pas toutes un navigateur web en local et lorsqu’elles en ont un, le niveau d’interactivité et de performance est très variable. Qui plus est, les plateformes des box des FAI son toutes propriétaires. Conséquence, le marché de la TV connectée est pour l’instant très local et composé de petits acteurs. Le plus gros acteur spécialisé fait moins de 100 personnes (WizTivi) à comparer au leader mondial du logiciel de la pay-TV, NDS (acquis par Cisco), et ses 4500 collaborateurs dont environ 350 en France.
Le business model des sociétés du secteur oscille entre création de plateforme et service outillé, même si dans ce dernier cas, certains arrivent à bâtir des sources de revenus récurrentes. On trouve cependant quelques plateformes intéressantes et prometteuses qui ont un potentiel de développement hors de France. Malgré tout, la différentiation et les barrières à l’entrée ne sont pas toujours évidentes dans la mesure où un grand nombre de composants logiciels relèvent de la commodité. Par ailleurs, la plupart des sociétés technologiques françaises du secteur ont des concurrents internationaux en nombre, chacun étant bien implanté dans son marché d’origine. Cela rappelle que dans le numérique, le marché se globalise par les technologies de plateformes, et pas par les services.
L’impératif stratégique de ces sociétés est très souvent de commencer par réussir sur le marché français. L’international vient ensuite, mais malheureusement pas assez souvent, faute d’un décollage suffisant en France. Ceux qui décollent à l’international ont une approche « produit et plateforme ». Les approches de service outillé ne sont en effet pas scalable. Les grands clients ont tendance à tirer leurs fournisseurs vers ce statut de société de service. Soit parce qu’ils souhaitent maitriser eux-mêmes les technologies clés de leurs offres, soit parce qu’ils consomment une grande partie de la bande passante de ces startups, au détriment de la création d’une offre produit solide. Je ne donne pas de noms mais ils se reconnaitront. Dans le secteur florissant du multi-écrans, les clients ont des budgets assez limités car les audiences ne sont pas toujours au rendez-vous. Les solutions de TV connectées relèvent en effet encore d’une approche encore expérimentale car les usages et le marché est encore en devenir.
Ce marché fragmenté est probablement destiné à se consolider. C’en est même un impératif pour la survie de certains de ses acteurs. Sans atteindre celle du leader NDS, récemment acquis par Cisco, une taille critique est nécessaire pour que les acteurs français apportent des solutions assez complètes à leurs clients, disposent de ressources pour financer leur R&D « produit » et enfin, surtout, pour leur permettre d’investir dans le développement commercial à l’international. Qui peut faire du Meccano dans ce secteur ? L’Etat ? Pas évident, même s’il dispose du FSI pour éventuellement mettre sa patte dans la structure industrielle du marché. Des fonds d’investissement privés ? Oui, pourquoi pas. Dernier scénario viable : les entreprises du secteur elles-mêmes, qui lanceraient d’abord des alliances, puis des offres conjointes, pour aboutir enfin à des fusions/acquisitions. Eventuellement aidés par les précédents en cas de besoin de recapitalisation.
L’autre caractéristique de ce marché concerne l’emploi. Le développement logiciel dans l’univers des TV connecté est encore plus spécialisé que le développement sur mobiles ou tablettes, même s’il s’appuie majoritairement sur des technologies de type web. Il est assez difficile de trouver des développeurs pointus. Ce qui donne de belles opportunités pour les développeurs intéressés par l’univers de la vidéo et de la télévision !
La période du quinquennat de Nicolas Sarkozy a été marquée par l’émergence à grande échelle des réseaux sociaux (Facebook, Twitter), des smartphones (iPhone lancé en 2007) puis des tablettes (iPad lancé en 2010). On a été pendant ce temps été bien distraits par la loi HADOPI. Certes, la période a aussi vu le déploiement et la généralisation de la TNT (démarrée en 2005, passée en HD en 2009, fin de l’analogique en 2011). Mais la télévision connectée et sa fusion avec Internet n’en est qu’à ses débuts. Le secteur de la TV est probablement celui qui subira le plus de soubresauts pendant le quinquennat de François Hollande. Les bouleversements d’une industrie sont comme d’habitude l’occasion pour certains de lever des barrières, de se protéger, et pour d’autres d’innover et de prospérer. Espérons que cette révolution permettra à quelques acteurs français d’émerger, et peut-être sont-ils dans ce panorama que nous allons partager !
Et maintenant…
Il ne s’agissait ici que de l’apéro avant un long parcours. Les premiers articles de cette série concerneront les startups du développement multi-écrans. Puis, les autres arriveront un peu dans le désordre au gré de mes différentes rencontres. Un vaste puzzle en perspective !
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