LIRE DANS UP : CRISPR-Cas9 pourrait-il devenir une arme de destruction massive ?
Pendant la guerre froide, ce que l’on craignait par-dessus tout c’était qu’une bombe atomique ne nous tombe sur la tête. L’équilibre de la terreur était maintenu entre les grandes puissances détentrices de l’arme nucléaire. Chacun se tenait par la barbichette et tout, finalement, allait très bien. Une nouvelle guerre froide est en train de se profiler à notre proche horizon. Il ne s’agit pas ici de bombe atomique mais de bombe génétique. Les progrès technologiques que nous observons chaque jour – avec notamment le CRSPR-Cas 9 – vont, selon certains observateurs, scinder le monde en deux camps opposés. Ceux qui refuseront toute manipulation sur l’humain au nom de principes éthiques ; et ceux qui y verront l’occasion de créer de toute pièce une humanité augmentée, améliorée, invincible. Le théâtre des opérations serait en train de se former sous nos yeux, en ce moment.
Nous parlons souvent de CRISPR dans nos colonnes. Nous suivons ses évolutions, ses expérimentations, nous alertons sur ses enjeux et ses risques. Mais comme une image vaut mieux que mille mots, nous vous recommandons de regarder cette vidéo relayée par le site Science-post. Elle est pédagogique, relativement complète mais nul doute, qu’après son visionnage, un goût amer s’installera dans votre bouche. Une étrange inquiétude.
Oui, les outils de manipulations génétiques dont nous disposons aujourd’hui et encore plus ceux qui se profilent dans les laboratoires pour demain matin seront bel et bien en mesure de modifier l’espèce humaine. Face à cette issue, deux possibilités s’offrent à nous : soit réguler, soit récupérer. Réguler cela signifie laisser aux États, aux organisme internationaux, le soin de décréter ce qui est bien et mal dans ces recherches, ce qu’il faut brider ou cesser immédiatement au nom du bonum humanum comme le disait Hans Jonas. Principe responsabilité oblige. Mais cette position soulève, aussitôt qu’on l’évoque, des questions sur le droit d’interrompre la science, de brider le progrès. Cette interrogation est d’autant plus justifiée que CRISPR est une technologie duale qui est en capacité de résoudre la plupart des maladies dont l’humanité est hantée et peut-être même aussi la vieillesse.
L’autre possibilité est de récupérer ces technologies pour asseoir son pouvoir ou sa puissance. Nous avons récemment évoqué le risque de dissémination de ces outils dans les univers terroristes. Mais au niveau des États aussi, les tentations peuvent être grandes d’améliorer physiquement sa population, son armée, pour prendre des avantages décisifs sur le reste du monde.
Le futurologue d’obédience transhumaniste, Zoltan Istvan, s’est livré au jeu des scénarios dans un article publié dans Motherboard. Il déclare d’emblée « La technologie d’édition génétique n’a pas d’effets dangereux immédiats. Pourtant, elle promet de créer autant de dissensions au sein de l’humanité que 70 ans de prolifération nucléaire ». Selon lui, deux camps vont s’opposer. D’un côté, la Chine et ses armées de scientifiques qui ont emprunté, bride abattue, le cheval de bataille de la révolution génétique et font fi des susceptibilités éthiques des occidentaux. Ils ont été les premiers à expérimenter CRISPR sur des embryons humains. De l’autre côté, les États-Unis, dirigés dès le 20 janvier prochain par des conservateurs chrétiens qui affirment que l’Homme doit demeurer tel que Dieu l’a créé.
Pour Zoltan Istvan, nul doute que c’est dans cette opposition que germeront « les graines d’un grand conflit futur, qui se traduira à coup sûr par des manifestations de masse, des émeutes, et même une guerre civile ». Si, d’un côté, la Chine décidait d’accroître la force et l’intelligence de ses enfants grâce à des manipulations génétiques (ce qui sera du domaine du possible dans moins de dix ans) et si d’un autre côté, les américains décidaient de rester naturels et de bannir toute intervention génétique destinée à modifier l’humain, pour se mettre en accord avec la volonté supposée de Dieu, alors « un conflit majeur à l’échelle de l’espèce humaine éclatera rapidement ».
Le monde se divisera en deux populations : ceux qui seront « augmentés » et les autres. Fermera-t-on les frontières à ces nouveaux humains ? Les enfermera-t-on dans des camps ? Les exterminerons-nous ? Et vice-versa, les nouveaux humains accepteront-ils la présence de vestiges d’une espèce ancienne à leurs côtés ? Ce scénario laisse libre cours à toutes les paranoïas…
Il n’en demeure pas moins que réguler ou pas, mettre en place des moratoires sur les recherches génétiques ou tâcher de contrôler ce qui se passe dans les laboratoires semble vain. CRISPR-Cas 9 s’achète aujourd’hui en kit pour moins de 100 $ sur Internet. Partout dans les laboratoires du monde, des apprentis sorciers s’exercent à ces manipulations. Le mouvement est lancé. Le danger ne viendra pas forcément des États, mais des zones obscures de la société.
Alors faut-il prôner, comme le propose Istvan, une autre voie, celle de la libéralisation de la recherche partout, aux États-Unis comme en Chine et ailleurs ? Une « bonne vieille compétition scientifique » dit-il et « voyons quel pays est capable de proposer les meilleures améliorations à ces citoyens, et partageons ensuite ce que nous aurons créé de mieux pour faire en sorte que les peuples soient aussi égaux que possibles ». Ce vœu pieux appelant à concilier la paix et le progrès scientifique est-il viable ? Ou seulement possible ? Sommes-nous condamnés à entrer dans une nouvelle guerre froide avec comme enjeu décisif, l’espèce humaine elle-même ? La question reste entière et mérite d’autant plus d’être posée dans nos sociétés atteintes par le doute, l’inquiétude et le rétrécissement de leur horizon prédictif.
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