Delphine Peras pour L’express.fr Culture fait là un papier très sympa sur l’hésitation et le doute que Twitter met dans la « plume » des écrivains : entre séduction et détestation pour une querelle revisitée des Anciens et des Modernes ! Si certains écrivains gazouillent gaiement sur le réseau social, d’autres refusent absolument de se prêter au jeu.
« Tweeter ou ne pas tweeter, telle est la question » : ce commentaire de David Foenkinos, posté le 3 juillet, résume le dilemme de l’écrivain français tenté à son tour de « gazouiller » sur le réseau de micro-blogging aux 383 millions d’utilisateurs, dont 5,7 millions en France, créé en 2006 à San Francisco.
D’emblée pris d’assaut par les auteurs étrangers les plus célèbres (Patricia Cornwell, Salman Rushdie, Gabriel Garcia Marquez, Tracy Chevalier, Margaret Atwood, Haruki Murakami, Bret Easton Ellis, Paulo Coelho, etc.), avec plus ou moins de bonheur, Twitter semble encore rebuter nos « gensdelettres ». Comme s’ils craignaient d’y laisser leur plume. Comme s’ils flairaient quelque danger à s’exhiber dans cette vitrine, ô combien tentante, pour flatter facilement n’importe quel ego : annoncer la sortie de son prochain livre, la parution d’un article louangeur sur le précédent, un passage à la télévision, sa présence dans une librairie, une séance de dédicace…Bref, la moindre actualité du « moi ».
C’est, du reste, l’usage limité qu’en font aussi bien Marc Levy, plus porté à poster des photos via Instagram que Bernard-Henri Lévy, qui n’a jamais tweeté mais dont le compte (comme le blog) est tenu à jour par la très dévouée Liliane Lazar, une de ses anciennes élèves. Plus étonnant, les jeunes écrivains Maxime Chattam ou Henri Loevenbruck, auteurs à succès de polars tendance « geek », sont peu présents sur Twitter. David Foenkinos, qui y fait ses premiers pas, se défend, quant à lui, de l’utiliser « comme un outil promotionnel » et ne jure que par les échanges avec ses followers. Tout au plus signalera-t-il, le 20 juin : « Très belle couverture de La Délicatesse au Japon. »
L’insoutenable légèreté du tweet…
Tatiana de Rosnay, 20 000 tweets au compteur :
La pionnière Tatiana de Rosnay, « connectée » dès 2009, est sur le même registre : « Twitter est une fenêtre sur le monde. Il faut juste savoir ce que l’on veut regarder et ce que l’on veut donner à voir de soi. » L’auteur du best-seller mondial Elle s’appelait Sarah, suivie par 7 000 followers, a signé à ce jour quelque 20 000 tweets. Son père, le célèbre scientifique Joël de Rosnay – qui vient d’ailleurs de publier « Surfer la vie. Comment sur-vivre dans la société fluide » – la surnomme « Miss Tweet » !
@tatianaderosnay Boutique?#sncf? « Oh! C’est vous, l’ecrivain, non ? Mais que faites vous là ? » Reponse : « Les écrivains prennent aussi le train. »
« Ces 140 signes impartis par Twitter sont du sur-mesure pour un écrivain, un exercice de style merveilleux. Nous, les Anglo-Saxons, y sommes plus à l’aise. » Britannique par sa mère, cette « Franglaise », comme elle s’est baptisée, argue précisément de sa double culture pour justifier sa pratique décomplexée et dépassionnée de Twitter : s’informer, réagir, tisser un lien avec ses lecteurs.
Avec quelque 60 000 fidèles, Bernard Pivot, 77 ans, l’inoubliable animateur d’Apostrophes, est devenu la star française du réseau, témoignant d’un art de la conversation qui vaut à ses commentaires d’être régulièrement « retweetés », c’est-à-dire retransmis en l’état par ses abonnés. A commencer par le désormais fameux : « Les tweets sont des télégrammes décachetés. » Bernard Pivot goûte « la concision et la brièveté exigées par ce média », nous confie-t-il ; elles lui rappellent ses premiers pas dans le journalisme.
A ses yeux, Twitter offre trois avantages. Il lui permet de s’exprimer – en mettant un point d’honneur à ne jamais écrire en abréviations – sur ses sujets de prédilection : le football, la gastronomie, le vin, la grammaire, les livres bien sûr. De se tenir informé de la vie de l’édition via des comptes spécialisés. De discuter avec des « twitteurs » et des « twitteuses » – Pivot préférant ce terme à celui de « twittos », retenu par l’édition 2012 du Larousse. Et, aussi, malgré tout, à faire un peu de « promo », ne serait-ce que pour annoncer le thème de sa chronique à paraître dans Le Journal du dimanche.
@bernardpivot1 Les tweets sont des fleurs de cerisier (un abonné), des cailloux du Petit Poucet (un autre), des papillons, des bulles, de charmants riens.
Yann Moix dénonce du « vent commenté »
Mais s’exposer, c’est aussi offrir une cible. Nul n’est épargné, pas même l’ancien Monsieur Loyal des élégances littéraires, visé par le tweet d’un certain Dr Trollamoure : « Prendre Bernard Pivot pour une référence littéraire c’est comme penser qu’Alain Gillot-Pétré décide du temps qu’il fera demain. » Telle est la nouvelle règle du jeu, sans pitié. Certains la refusent. L’écrivain et chroniqueur au Figaro littéraire Yann Moix a fini par fermer son compte. « Twitter ? Du vent commenté. Une manière d’être présent au monde sans y participer et d’entériner une société du caquetage, du commérage », fulmine-t-il.
Frédéric Beigbeder est plus radical. Pas question de céder aux sirènes gazouilleuses. Alexandre Jardin, qui a cessé de tweeter quelques mois, le temps d’écrire un nouveau roman, est partisan de la voie médiane : « Twitter est un flux : cela n’a rien à voir avec l’écriture qui engage l’être. Mais c’est délicieux. » Tatiana de Rosnay abonde dans ce sens. Positive, elle voit même dans certains tweets de « véritables haïkus ».
Régis Jauffret excelle dans l’exercice et s’en joue, pas dupe.
@regisjauffret Si la nuit était une fleur, chaque matin il y aurait des pétales autour du lit.
Ce n’est pas pour rien que Félix Fénéon (1861-1944), journaliste français et directeur de revues, fait figure de référence, lui qui n’a « jamais été très prodigue de sa prose », selon la formule de Guillaume Apollinaire, mais qui, en cela, est justement devenu un modèle. D’où ce compte Twitter ouvert à son nom, reprenant moult de ses aphorismes…
Le romancier Fabrice Colin, bien vivant lui, fait aussi le bonheur de ses followers avec ses « Microfictions ». Extraits : « Parmi toutes les interprétations concernant l’origine du Cri de Munch, celle de l’orteil cogné contre le pied du lit est fort mésestimée »… (Blog de Fabrice Colin.)
Comme le montre l’initiative de l’Américain Bret Easton Ellis enjoignant ses abonnés d’imaginer une suite à son sulfureux roman American Psycho, Twitter peut se révéler comme un formidable « laboratoire littéraire ».
C’est la thèse de Yann Leroux, docteur en psychologie, auteur du blog Psy et geek : « Voilà un espace à même de stimuler la fibre expérimentale des artistes. Je ne doute pas que les écrivains vont mélanger les codes théoriques de l’écriture et les codes numériques. »
C’est précisément le credo de François Bon, écrivain très actif sur Twitter depuis quatre ans. Sur son formidable blog (www.tierslivre.net), il confie sa vision et cite en exemple l’expérience de l’écrivain Thierry Crouzet, autre pionnier français du réseau, qui a posté son roman « Croisade » à raison de 5 200 tweets entre décembre 2008 et avril 2010…
Alors, progrès ou régression ? Twitter ne serait-il pas, à l’inverse, « un mode d’expression déculturé, sommaire, créant une classe moyenne universelle », comme l’affirme Marc Lambron ? Dans le landerneau littéraire, les positions sont tranchées. Radicales. Seule certitude : la nouvelle bataille d’Hernani passe par la technologie.
Frédéric Beigbeder, bel indifférent
« Twitter permet de rendre publics des SMS bâclés, rédigés à la va-vite, ou des réactions émotives, parfois des injures qu’aucun magazine n’aurait le droit de publier. Lorsque j’écris un article de journal, j’ai le temps de le mûrir, de le corriger. J’écris seul mais je ne travaille pas seul : j’ai un rédacteur en chef, et même plusieurs ! Presque toutes les semaines, je rappelle le Figaro Magazine pour corriger un mot trop méchant, une phrase excessive. Il est normal de regretter un propos écrit à chaud, il est nécessaire qu’une publication ne soit jamais instantanée. « Tout ce qui est excessif est insignifiant », disait Talleyrand. C’est le bon adjectif pour décrire Twitter : insignifiant. Je pense que le mieux à faire avec ces nouveaux médias est de les snober. Si tout le monde m’imitait, Twitter cesserait d’exister en deux heures. Cela nous laisserait du temps pour lire des textes profonds. »
Régis Jauffret, joueur sceptique
« Twitter m’amuse. J’aime y poster des pensées du jour, des aphorismes, des plaisanteries. C’est gratuit, c’est rapide, ça s’envole. Je m’interdis l’autopromotion, d’ailleurs peu efficace… Mais je trouve angoissant de ne pas pouvoir effacer un tweet. Je relis donc toujours scrupuleusement les miens avant de les poster. Facebook n’est plus très moderne. Twitter est une invention autrement géniale, même si, dans peu de temps, celle-ci sera, elle aussi, dépassée. Internet vieillit plus que la télévision, qui elle-même n’a pas supplanté le cinéma, lequel n’a pas détrôné la littérature… »
Article publié par Delphine Peras (L’Express), le 18/07/2012
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