« Chers amis, ce n’est pas nous, c’est vous. le problème vient de vous. Vous avez cessé de partager tous les détails intimes de votre vie et nous ne pouvons plus vous monétiser comme nous le souhaitons. C’est pourquoi nous avons décidé de changer notre mode de relation. Nous voulons vous convaincre de partager plus, afin de vous montrer plus de publicités. »
Ceci n’est évidemment pas une citation exacte de Mark Zuckerberg, mais une traduction approximative de ce que signifient vraiment ses derniers propos. Dans une déclaration publiée le 12 janvier, le fondateur de la société a en effet annoncé de nouveaux changements sur le fil d’actualités de sa plateforme, qui donnera désormais la priorité aux messages des amis et de la famille plutôt qu’au contenu posté par les organes de presse et les entreprises.
Les informations diffusées par les médias, ainsi que d’autres contenus du même type apparaîtront moins dans les fils d’actualité, à moins qu’ils ne soient partagés par les utilisateurs et largement commentés. L’entreprise a également déclaré qu’elle modifierait son « ranking » (système de classement des informations qui apparaissent sur le fil) afin de privilégier des « informations de qualité », sans toutefois préciser de quoi il s’agissait. La publicité, elle, ne sera pas affectée par ces changements – vous serez toujours bombardé de publicités, que vous le vouliez ou non – et qu’elles soient pertinentes pour vous ou non.
Zuckerberg a déclaré que ces changements ont été pensés pour améliorer la plateforme. « Nous souhaitons rapprocher les gens – que ce soit de leur famille ou de leurs amis, ou les rassembler autour de moments importants dans le monde – nous voulons aider à faire en sorte que le temps passé sur Facebook soit bien utilisé », a-t-il déclaré dans un message sur le site Facebook.
Mais soyons clairs, ce dernier changement d’ algorithme visant à encourager des interactions plus personnelles n’a rien à voir avec vous – il est en rapport avec le chiffre d’affaires de Facebook.
Facebook s’inquiète depuis des mois du « context collapse » ou « effondrement contextuel ». En clair, les utilisateurs sont devenus beaucoup plus réticents à publier des données personnelles en ligne et, à mesure que les flux d’actualités des internautes se remplissent de contenus produits par des médias et autres influenceurs, les audiences sont devenues plus passives que partageuses.
Une étude menée aux États-Unis démontre que les adultes passent environ 50 minutes par jour sur le géant des réseaux sociaux – bien que ce temps ait tendance à diminuer. Les utilisateurs de Facebook vieillissent, aussi – depuis un certain temps déjà – et les jeunes utilisateurs se tournent vers des réseaux concurrents comme Snapchat pour partager leurs faits et gestes.
Monétiser l’audience
Le modèle économique de Facebook repose sur la vente de nos données aux annonceurs, données qui ne sont rien d’autre que des représentations hautement sophistiquées de notre identité numérique et de nos émotions. Mais, de plus en plus, les utilisateurs de Facebook affichent des liens vers des sites web tiers sur leurs murs (information, divertissement), partageant moins au sujet de leur vie personnelle.
L’entreprise s’efforce pourtant d’encourager le partage d’informations personnelles. La fonction « Ce jour-là », par exemple, a été créée pour pousser les utilisateurs à partager des informations qui concernent leur vie privée. Avec maladresse, cependant, car « Ce jour-là », vous avez peut-être perdu un être cher ou été viré.
C’est ainsi qu’ont fleuri sur nos murs Facebook des rappels d’invitations (anniversaires ou autres événements), et de petits messages nous incitant à partager notre vie sur le réseau. En accédant au contenu de nos téléphones, Facebook a également essayé de nous convaincre de partager davantage sur notre mur. Les photos prises avec votre téléphone sont directement incluses dans les messages suggérés, par exemple. De même, le dispositif Facebook Live a été fortement promu, là encore dans le but d’encourager le partage d’informations personnelles.
Du côté des médias, c’est la panique. Beaucoup s’inquiètent de voir leur trafic chuter soudainement dans les semaines à venir, quand Facebook fermera le robinet et commencera à supprimer leurs contenus des fils d’actualité.
Capter l’attention
Il y a bien quelques sites d’information spécialisés qui passent par un système payant (ou paywall) et qui, par conséquent, sont restés assez indépendants de l’influence des médias sociaux. Leur contenu peut être partagé sur les réseaux sociaux, certains articles sont en libres accès, mais ils dépendent moins que les autres des revenus publicitaires générés par le trafic obtenu via les médias sociaux.
Malheureusement, la plupart des autres médias d’information ont investi massivement dans leur présence sur Facebook – investissant aussi dans les équipes et la technologie qui leur permettent de soutenir cette stratégie sociale. Certains rédacteurs en chef ont pourchassé l’audience via les médias sociaux, rassurés de voir que les millions de visites obtenues par ce biais seraient transformés, à un moment ou à un autre, en modèle économique viable. Ce qui n’a pas été le cas.
Au contraire, ce système a renforcé la position de « gardien de l’information » de Facebook, tout en améliorant considérablement les résultats du géant de la technologie. Facebook, avec Google, jouit d’une position quasi monopolistique dans la sphère numérique ; les deux sociétés ont empoché environ 84 % du total des dépenses publicitaires en ligne en 2017.
Facebook agit en toute impunité, protégeant jalousement les secrets de son algorithme de classement (ranking). La plateforme est devenue le plus grand site de partage d’informations au monde, et contrôle au niveau individuel ce que deux milliards de personnes voient quotidiennement sur leurs fils d’actualités.
Déficit démocratique
Ces changements soulèvent une préoccupation démocratique de premier ordre : Facebook a effectivement le pouvoir de cacher les informations qu’il n’aime pas. Rien n’indique qu’il le fait, mais nous devrions tous être effarés qu’une entreprise si puissante atteigne ce niveau de contrôle de l’information.
Les derniers revirements de Facebook signifient effectivement que si les éditeurs veulent que leur contenu soit vu par le public, ils devront payer Facebook par la publicité ou négocier de nouvelles ententes qui mineront davantage leur indépendance éditoriale et renforceront la domination de Facebook sur le marché.
Ce changement n’affecte en rien la propagation de ce qu’on appelle les « fake news » et contribue même à aggraver le problème. Bien qu’il n’ y ait pas de remède miracle contre les fake news, les efforts de Facebook pour les combattre, jusqu’ici ont été peu concluants. Et il y a un risque réel que les derniers aménagements du « ranking » exacerbent ce problème.
En effet, le contenu à haut potentiel de viralité, celui qui suscite beaucoup de débats et de commentaires – le genre de contenus que Facebook veut encourager – peut tout à fait être inexact et non vérifié.
C’est là un territoire dangereux pour médias : le phénomène de la « bulle de filtre », qui consiste à ne voir, indéfiniment, que du contenu correspondant à ses préférences, va s’amplifier.
Pire encore, les controverses et les débats importants – ce qui fait toute la saveur et tout l’intérêt de la diversité médiatique – pourraient bien disparaître à jamais dans le nouveau monde que nous concoctent les médias sociaux.
Tom Felle, Senior Lecturer in News and Digital Journalism, City, University of London
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, partenaire éditorial de UP’
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