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La virilité, entre fascination et répulsion

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Si la virilité comme modèle normatif nourrit certes un certain malaise et certaines interrogations, on peut aussi penser que dans une société obsédée par la performance, l’usage de la virilité ne cesse de se réinventer et de se transformer pour favoriser la légitimation d’une masculinité hégémonique sous des formes renouvelées.

Fin 2017, la philosophe Olivia Gazalé s’intéressait au mythe de la virilité dans un livre paru chez Robert Laffont. Elle y retrace de manière précise et détaillée les constructions sociales et culturelles liées aux injonctions qui pèsent sur les hommes, comme les historiens Alain Corbin, Jean‑Jacques Courtine et Georges Vigarelo s’y étaient intéressés en 2013 à travers les trois tomes de l’Histoire de la virilité. L’originalité du propos de la philosophe est de montrer que les hommes auraient tout à perdre de la domination masculine et tout à gagner de la déconstruction des assignations sexuées qui pèsent sur eux (comme sur les femmes). Si on peut se réjouir que paraisse cette stimulante réflexion sur le sujet, on sera plus circonspect sur la conclusion de la philosophe quant au déclin d’un « système viriarcal » qui serait pris à son propre piège. Si la virilité comme modèle normatif nourrit certes un certain malaise et certaines interrogations, on peut aussi penser que dans une société obsédée par la performance, l’usage de la virilité ne cesse de se réinventer et de se transformer pour favoriser la légitimation d’une masculinité hégémonique sous des formes renouvelées.

La virilité, entre fascination et répulsion

Partons d’une définition simple : la virilité est un idéal. Un idéal de perfection, de performance et de courage qui passe autant par des démonstrations corporelles que par des démonstrations verbales d’autorité et de pouvoir. La virilité est porteuse d’un imaginaire qui fascine par sa manière de pousser aux limites certaines qualités attendues d’un homme. Le cinéma et la littérature regorgent de l’exploitation de ces mythes virils (Indiana Jones, Rocky, Terminator), mais aussi de leur caricature, nous rappelant que les figures les plus viriles ne sont pas nécessairement les plus désirables.


Couverture de « Pascal Brutal 2 ». Riad Sattouf

En 2006, Riad Sattouf crée le désormais célèbre Pascal Brutal, « l’homme le plus viril du monde ». Le monde dans lequel vit ce héros est un univers imaginaire où Alain Madelin est président de la République, où le centre de Paris est interdit d’accès aux pauvres et où la Bretagne est indépendante.

À travers les cinq tomes de la série, on découvre un personnage sans cesse poussé par ses pulsions. Adidas Torsion 1992 visés aux pieds, gourmette en argent clinquante au poignet et petit bouc parfaitement taillé, Pascal Brutal est un fervent adepte de la baston et de la moto à grande vitesse. La musculation qu’il pratique assidûment lui offre un physique avantageux qui lui permet d’aligner les conquêtes féminines (et masculines). Pascal Brutal est particulièrement à l’aise dans un environnement populaire duquel il est issu (il est le fruit d’une union entre une ancienne teufeuse et un punk à chien) autant que dans les sphères dirigeantes à qui il arrive de prêter main-forte. Même s’il ne possède pas le QI d’un astronaute, Pascal Brutal sait s’imposer. Rien n’y personne ne lui résiste. « La virilité, c’est mon métier » déclare-t-il. Mais derrière les facéties surréalistes du héros, Riad Sattouf dessine l’époque d’un trait à la fois provocateur et malin, démontrant avec brio par l’absurde, démolissant par le ridicule et la démesure les codes sociaux d’une société ultra-libérale où seuls les plus forts s’imposent, un monde dans lequel l’intelligence ne paie plus et où l’image prime sur les idées.

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Si la caricature fonctionne ici si bien, c’est que les formes de virilisme incarnées par le héros ne correspondent plus à ce qui est attendu d’un comportement masculin dans le fonctionnement actuel de la société. La représentation culturelle et médiatique d’une virilité excessive sert souvent (et malheureusement de manière beaucoup plus sérieuse) la stigmatisation des classes populaires (les jeunes de banlieue, les rappeurs ou encore certains groupes ouvriers comme les dockers décrits par Michel Pigenet), tandis qu’au sein des classes supérieures, cette représentation prend généralement la forme d’une fascination teintée d’inquiétude (en particulier dans certaines professions comme chez les traders ou encore chez les leaders politiques). Donald Trump représente de manière exemplaire cette figure d’une masculinité ostentatoire, entre hétérosexualité conquérante et excès de violence.


Donald Trump, figure d’une masculinité de la performance

Le fait que les propos et les actes de l’actuel président des États-Unis apparaissent à ce point en décalage avec l’époque témoigne d’un fonctionnement que l’on pensait dépassé. Les soupçons récurrents sur la santé mentale de Donald Trump témoignent bien du fait que cette virilité est jugée comme extra-ordinaire et donc dangereuse, précisément parce qu’elle semble ne pas pouvoir être maîtrisée. À l’inverse, certains leaders politiques n’hésitent pas à revendiquer une masculinité plus « inclusive », compatible avec une exigence d’égalité entre les hommes et les femmes, la défense du droit des homosexuels, l’expression des émotions, etc.

On pense aux larmes de Justin Trudeau lors de son discours d’excuse envers la communauté homosexuelle ou encore à l’attention portée aux droits des femmes par Barack Obama, à contre-courant de la masculinité des angry white men décrit par le sociologue Michael Kimmel, qui ont conduit aux portes de la Maison Blanche un président à leur image.

Dans ce sens, il ne faut pas sous-estimer la résistance des groupes conservateurs menacés par cette « dévirilisation » de la société et/ou le regret qu’expriment certains (ou certaines) d’une disparition de la figure virile comme Emmanuel Macron a pu en faire l’objet durant la campagne présidentielle (soupçon quant à sa capacité à diriger l’armée faute de service militaire réalisé ou rumeurs relatives à son orientation sexuelle). Pour autant, l’élection de l’actuel Président français ne doit pas nous leurrer et cette apparente « neutralisation » ne signifie pas qu’hommes et femmes occupent des places égales, ni que la virilité ait perdu de sa valeur symbolique dans les coulisses du pouvoir.

« Les habits neuf de la domination masculine »


Couverture de Management en septembre 2017

Quand bien même la masculinité hégémonique se serait elle débarrassée de ses oripeaux les plus visibles, l’obsession pour la preuve virile n’a pas disparue. Dans une société « féminisée » où la virilité, tenue pour suspecte, aurait disparu et empêcherait les hommes d’« oser l’autorité », l’injonction du magazine Nouveau Management nous donne les clés pour être « un chef assumé », un vrai : « fermeté, écoute et empathie ».

Comme l’analyse Serge Rabier en s’intéressant à la figure d’Emmanuel Macron, son leadership tiendrait dans son « audace stratégique, un sens aigu des opportunités, un courage affirmé dans la prise de risque, une ardeur et une ténacité sans failles, une croyance insolente en son destin, une combinaison entre la fougue de jeunesse et une maturité sage… toutes qualités mobilisées vers un seul objectif : la conquête et la pratique volontaire du pouvoir ».

À des formes plus traditionnelles de commandement succède donc l’autorité conquise dans l’aptitude à se contrôler, à surmonter les épreuves, à faire preuve de tempérance et d’endurance, à être maître de soi-même et de son destin. Comme le souligne le sociologue Alain Ehrenberg, les individus évoluant dans une société « où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline mais sur la responsabilité et l’initiative individuelle » autrement dit, dans une société où chacun est amené à devenir entrepreneur de soi, assurer son leadership ne passe plus par les voies traditionnelle de la virilité – le corps masculin dont elle a été si souvent l’emblème – mais par un usage toujours plus fin de l’autorité et du pouvoir, dans un savant mélange de savoir-faire et de savoir-être.

C’est notamment un des résultats de la passionnante enquête de l’anthropologue Mélanie Gourarier sur la communauté des séducteurs de rue où l’on comprend que l’idéal viril qui gouverne les hommes ne se définit pas seulement dans la démonstration de sa puissance que par la hantise de l’impuissance. Dans cette virilité « en creux », « l’idée est de se gouverner soi-même pour mieux gouverner les autres » précise-t-elle.

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C’est donc dans une forme plus individuelle de disqualification du féminin et d’autres formes de masculinités (des masculinités jugées trop viriles ou trop efféminées) que la masculinité hégémonique se renouvelle. Dans les positions socialement valorisées (chez les cadres par exemple), cette masculinité se construit en effet par le biais d’une désolidarisation de groupes masculins dont les pratiques virilistes apparaissent comme démodées. En 1993, le sociologue François de Singly soulignait déjà dans un article paru dans la revue Esprit que l’apparente « neutralisation » de la société s’était « opérée sur le dos des milieux populaires » dont la masculinité est régulièrement dévaluée et stigmatisée.

Dans ce sens, on peut penser qu’aujourd’hui, ce ne sont pas les injonctions qui pèsent sur ces « leaders » qui diffèrent (quête d’excellence et de performance) mais la manière dont les hommes se distinguent au sein de cette compétition. En effet, on en attend pas moins des hommes dans l’exercice du pouvoir, on en attend différemment. La référence identitaire à la virilité dans l’accession au pouvoir n’a donc pas disparu, elle s’est modifiée. Aussi ne faut-il pas se réjouir trop vite des transformations du masculin mais s’intéresser aux conditions dans lesquelles les hommes (et les femmes) répondent aux injonctions sexuées et sociales. Si la figure du pouvoir change de forme en s’incarnant dans une masculinité plus « inclusive », elle n’implique pas nécessairement plus d’égalité. Ainsi, plutôt que de se focaliser sur les pratiques virilistes dont les médias sont si friands, on aurait tout intérêt à détourner le regard vers les nouvelles formes de domination, plus pernicieuses à détecter.

Haude Rivoal, Doctorante en sociologie, Université Paris VIII, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine

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