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Hors-sol et engagement

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Sans doute plusieurs d’entre vous ont-ils fait l’expérience de la versatilité des relations humaines et de la difficulté à tenir ses engagements. A cela plusieurs facteurs concomitants et une conséquence sur la transition que nous opérons.
 

Hors-sol symbolique

Nous vivons une période de notre humanité, l’anthropocène[1], qui se caractérise notamment par la notion de « hors-sol »[2] au sens d’être coupé du vivant en habitant dans les villes et ceci en nombre sans cesse croissant d’individus.
Ce qui signifie ne plus être en lien avec les cycles du vivant, les saisons, le cycle de la croissance des plantes, c’est-à-dire avec des moments d’accélération et d’autres d’apparents ralentissements où la croissance n’est pas toujours visible comme durant l’hiver. Pourtant le processus de transformation du vivant s’opère, pour une part de manière visible et pour une part de manière non visible.
 
A contrario, la vie urbaine, essentiellement asphaltée, ne permet plus ce contact avec les rythmes de la terre. Par ailleurs, en créant Internet et ses connexions via l’énergie électrique notamment, ces dernières nous conduisent à vivre un rythme continu, qui ne s’interrompt que lorsque les interrupteurs s’éteignent. L’information en mode BIT est continue, rapide et impose aux êtres humains de suivre une vitesse en constante accélération à la fois dans la quantité d’informations comme dans la vitesse de transmission. Deux composantes qui viennent percuter le biorythme humain et qui participent aux burn-out des personnes.
 

Fragilisation psychologique en lien avec le changement de paradigme

A ce dernier phénomène s’ajoute une fragilisation psychologique accrue des plus faibles d’entre nous. En effet, on constate une augmentation significative des profils borderline, bipolaires et schizophrènes, comme un écho à notre période trans-paradigmatique[3]. Dans une société qui se réinvente, les critères du modèle dominant se désagrègent et ceux du modèle en émergence ne sont pas encore fixés pour être structurants, puisqu’ils sont en co-élaboration.
Les transitions deviennent alors l’espace de tous les possibles comme de toutes les fragilités qui s’agrègent : fragilité spéciale, difficulté à s’insérer dans un système qui a perdu du sens et qui exclue, fragilité économique et fragilité psychologique. Chacune se renforçant bien évidemment.
Paradoxe qui s’accroît avec le fait que bien souvent ce sont ceux qui osent sortir du système qui sont les plus à même de concevoir des possibilités prospectives. Toutefois, ce ne sont pas les seuls et c’est la coopération de tous les acteurs qui œuvrent à concevoir demain qui façonnera notre futur, mais c’est un autre sujet.
 

Un modèle à réformer

Le paradigme moderne de notre société est indiscutablement revisité et en désagrégation progressive, ne serait-ce que parce qu’il s’appuie sur un usage illimité des ressources de la terre, qui, elles, sont évidemment limitées. Donc l’impasse n’est qu’une question de temps que certains nomment depuis quelques années Effondrement[4], Décroissance[5] ou Collapsologie[6] pour nous rendre attentifs aux conséquences de ces excès.
 
Perspective d’un futur anxiogène qui a pour conséquence d’un côté des replis et des conservatismes, de l’autre des tentatives de co-créer autrement demain et enfin des explosions régulières de fragilités qui ne trouvent plus de cadres pour les rassurer.
Alors face à un modèle excluant, le libéralisme libéral dérégulé favorisant partout les plus riches et participant à l’accroissement des inégalités et à la paupérisation d’un nombre accru de personnes, ceux qui avaient du mal avec un modèle économique exigeant se retrouvent encore davantage sur la touche et rêvent d’un futur soutenable.
 

Comprendre la complexité : une appréhension holistique

Comprendre la complexité nécessite une compréhension holistique de la réalité, ce qui consiste à s’intéresser à tous les champs du réel sans pour autant savoir les piloter ou accepter la sagesse du temps pour les embrasser.
Alors cette approche pluridisciplinaire ouvre une grande variété de champs dont certains n’ont pas les modes d’emplois pour les maîtriser – ceci nécessitant de longues années de recherche et de pratique -. Ceci participe alors au chaos global.
 

Evolution de conscience et manque d’ancrage / principe de réalité

De la nécessité de se réinventer, au rêve d’un futur meilleur et soutenable pour tous, une partie de la population remplace les ancrages théoriques de Hobbes « l’homme est un loup pour l’homme » par ceux de Spinoza sur la joie et recherchent, dans la quête du bonheur pour tous, une perspective enthousiasmante et mobilisatrice face à un futur angoissant.
 
Nous avions montré dans L’imaginaire du 11 septembre[7] que, face aux enjeux de notre mondialisation, la complexité des paramètres est telle pour co-créer l’avenir que cela a condamné un bon nombre à l’impuissance. Ce qui a participé à ce que d’aucuns se recentrent sur eux-mêmes et explorent par le développement personnel, la thérapie et la quête spirituelle, à la fois des chemins qui font sens et aussi qui permettent un épanouissement personnel à défaut d’une réalisation professionnelle ou sociétale et surtout d’avoir une influence significative sur les changements majeurs de notre civilisation.
 
Dans cette quête de soi c’est alors aussi l’ouverture à la prise de conscience spirituelle et l’exploration, sans trop de guide, de champs « invisibles » des énergies, des pratiques ancestrales « chamaniques » avec l’engouement exotique pour ce qui est nouveau, inexploré et sans prendre la précaution d’en connaître les règles et les garde-fous.
Dans notre société privilégiant la rapidité, évidemment pour le changement personnel, il en est de même, rechercher en quelques jours un changement radical.
 
Si ces rôles – sages, sorciers, chamanes, gardiens des sagesses – au travers de toutes les sociétés et civilisations de l’humanité ont requis des années, voire des décennies d’apprentissages, c’est parce qu’aller aborder les champs du non visible requiert des clés délicates et longues à acquérir afin que les praticiens soient aussi bien en lien avec des compétences subtiles qu’ancrés dans le réel, d’une part pour éviter les dérives égotiques et de l’autre, celles de l’hors-sol.
 
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Prenons, une image celle des qualités de la terre et du ciel.
Les cycles de la terre, nous l’avons vu, sont longs et lorsqu’une graine d’arbre pousse et s’enracine, elle va devenir durable dans son « engagement » à faire un arbre, elle suit son programme génétique, s’adapte à son environnement et ne dévie pas de la promesse d’incarnation de ce qu’elle est. A contrario, dans le ciel, nous voyons combien le vent rend les mouvements des nuages labiles, il faut quelques minutes pour que des masses d’air soient déportées d’un espace vers un autre.
Ainsi, si lorsque nous nous ouvrons à des dimensions éthérées, volatiles, subtiles comme les énergies et ceci sans formation, guides et garde-fous, alors comme les nuages nous errons d’un coup de vent à un autre, et nos engagements relationnels comme ceux de nos actions subissent la même versatilité. Un soubresaut dans l’univers et nous changeons de cap radialement.
Phénomène accru par les effets du zapping que permettent les nouvelles technologies de la télévision avec la télécommande à Internet et aux réseaux sociaux.
Alors ajoutons les deux phénomènes et nous obtenons ce que dans le langage courant nous nommons des gens « perchés ».
Trois week-end de Reiki et vous soignez l’humanité et en plus vous êtes maîtres ! Cela ne remet pas en cause le contenu de la pratique mais bien plutôt les cursus de transmission.
 

Ancrage et engagements

Lorsque nous étions majoritairement dans un monde agricole, nous étions contraints aux engagements pérennes sous peine de ne rien voir pousser. Les transmissions agricoles s’étalent sur des années et des décennies. Tandis qu’aujourd’hui, changer de site Internet dans le cadre d’une vente d’entreprise, prend aujourd’hui quelques heures à quelques jours à peine.
 
Si donc nous cumulons les facteurs que nous avons cités : accélération des informations, zapping, effets labiles, aussi bien de l’économie que des transmissions d’informations, que des caractères des personnes, nous obtenons comme résultat un accroissement significatif de personnes qui ne parviennent plus à tenir leurs engagements car elles se font happer dans des dimensions éthérées non maîtrisées et n’ont pas les ressources pour gérer le volume d’informations défilant, notamment dans les réseaux sociaux. Tout disparaît à la vitesse des flux électriques. Ce qui conduit, dans un premier temps, à une certaine inertie de par le flux d’informations qui fait oublier le post de la veille.
 

Délicate transition[8]

Pourtant, notre transition de société nécessite de parvenir à un diagnostic assez stable afin de poser des actes durables pour opérer des tournants significatifs.
Si nous sommes sans cesse en train de changer d’avis et de remettre en cause les décisions prises, nous prenons un gros risque de ne pas parvenir à concrétiser les pistes alternatives au modèle dominant qui se désagrège. Et ce faisant, à poursuivre, tel le Titanic, sur les mêmes bases et d’entrer encore plus vite dans le mur des excès (prélèvement des ressources, pollution, détérioration de la biodiversité…).
 
Par conséquent, plus nous sommes instables et plus cela rend nos engagements plus versatiles et fragilise significativement la transition qui apparaît de fait encore plus inquiétante.
 
C’est la raison pour laquelle, face à ces incertitudes accumulées, certains préfèrent les replis conservateurs dans lesquels les valeurs sont davantage binaires, les oppositions claires, les moyens de contrôle suffisants pour contraindre les personnes et assurer la pérennité de systèmes qui souhaitent être durables, même s’ils portent des promesses de futur pour la terre et l’humanité qui sont sans doute peu enthousiasmantes[9].
 
Ainsi, si nous voulons porter la RenaiSens inéluctable – changement de paradigme en émergence – nous sommes amenés à nous réinventer, à tenir compte des nouvelles modalités d’interaction (digitales, Internet, connexion, …), à prendre conscience de nos mécanismes humains et de ceux du vivant et à aborder l’éco-modernité[10] à partir d’un point d’ancrage au réel qui permette de tenir ses engagements dans le moyen et long terme. Le terme « ancrage » est issu du champ du développement personnel, il s’agit plus que du pragmatisme, de la capacité à rester stable, quelques soient les turbulences économiques, psychologiques, numériques ou autres. Ce n’est pas un hasard si les GAFA, Google principalement, ont mis en place les programmes les plus sophistiqués de méditation, laïque, pour donner les ressources nécessaires afin d’être capables de faire développer nos capacités cognitives et notre « ancrage » et faire face aux plus importantes déstabilisations.
 
Une évolution vers une Humanité 3.0[11] : une nécessité de se réinventer face à l’Intelligence Artificielle et au transhumanisme comme futur qui sont pour le moment nos principales représentations de l’avenir.
 


[1]https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropocène: celle où les humains influent de manière déterminante sur la planète.

[2]Pierre Rabhi a mentionné cette notion dans plusieurs de ses ouvrages.

[3]Christine Marsan, Entrer dans un monde de coopération, Chronique Sociale, 2013.

[4]Jared Diamond, Effondrement, Folio Essais, 2009.

[5]Cédric Biagini, David Murray, Aux origines de la décroissance : Cinquante penseurs, L’Echappée, 2017.

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[6]Pablo Servigne Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Seuil, 2015.

[7]Christine Marsan, L’imaginaire du 11 septembre. Des cendres émerge un nouveau monde, Camion Noir, 2012.

[8]Pour plus de détails et de références, nous avons détaillé ce point dans Christine Marsan, Délicate Transition, Acatl, 2017.

[10]Notion portée par Eric Julien et Thierry Geffray de l’Ecole Pratique de la Nature et des Savoirs.

[11]Argument développé dans Christine Marsan Entrer dans un monde de coopération, Chronique Sociale, 2013.
 

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