Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, vient de lancer, ce 10 septembre, un cri d’alarme sous forme de compte à rebours : il reste deux ans pour agir contre le dérèglement climatique sous peine de « conséquences désastreuses ». En dressant un tableau noir des menaces pesant sur la chaîne alimentaire et l’accès à l’eau, Antonio Guterres a martelé que le monde faisait « face à une menace existentielle directe » et au « plus grand défi » de l’époque. « Le changement climatique va plus vite que nous », relève le dirigeant de l’ONU. Face à cette menace, deux attitudes s’opposent : celle de l’atténuation et celle de l’adaptation. Faut-il choisir entre les deux ?
Cette question est revenue au premier plan après un été particulièrement désastreux sur le plan climatique dans plusieurs pays de l’hémisphère nord ; et plus généralement au regard des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés depuis 2015 par l’Accord de Paris.
Ce choix n’en est cependant pas un, les deux approches étant également nécessaires. Sans efforts d’atténuation – à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre – rapides et intenses, l’adaptation pourrait devenir de plus en plus difficile dans de nombreux endroits du globe, et pour longtemps. Mais la variabilité et les normes climatiques qui se modifient sur la planète année après année démontrent, par ailleurs, le caractère indispensable de l’adaptation.
Paradoxalement, alors que les mesures d’adaptation au changement climatique ont un impact très concret et rapide sur la vie quotidienne, elles sont toutefois moins bien connues aujourd’hui que celles relatives à l’atténuation.
De multiples formes d’adaptation
Si l’objectif de l’atténuation est bien connu et mesurable, les critères d’une adaptation réussie le sont moins.
Dans certains cas, une adaptation « incrémentale » ne changera pas fondamentalement les systèmes et les approches, comme lorsqu’il s’agit d’avancer la date des des vendanges dans l’année par exemple.
Dans d’autres cas, des adaptations « transformationnelles » impliqueront des modifications importantes d’activités ou la réaffectation de zones entières. Si ces dernières mesures sont plus ardues à établir, les premières ne sont pas nécessairement spontanées. Les formes d’adaptation sont diverses, de même que les événements qui les suscitent.
Face à ces phénomènes, la recherche académique s’est mobilisée : des réseaux internationaux prônent des échanges de connaissances, soulignant la nécessité de faire collaborer scientifiques et acteurs de terrain pour observer sur place les comportements et réactions face aux situations concrètes.
Des acteurs différents
Adaptation et atténuation se distinguent également au niveau des domaines de recherche et des professions impliquées.
Pour réduire les émissions, les procédés techniques sont centraux, même s’ils restent insuffisants sans incitations économiques et politiques, et sans changements de comportement des consommateurs. En matière d’adaptation, l’organisation de l’action sur le plan territorial, sectoriel ou sanitaire a la plus grande importance, soutenue par l’apport de modifications techniques (comme des normes de construction), de même que des incitations économiques et réglementaires.
S’il peut être nécessaire de construire des digues face à la montée des eaux, l’adaptation consistera aussi à modifier les critères d’habitat, anticiper les canicules et inondations dans des zones urbaines, envisager des changements dans l’agriculture et la foresterie en tenant compte des délais naturels de mise en œuvre (la croissance des arbres par exemple), travailler sur les assurances, s’accorder sur des règles pour des déplacements de personnes et les impacts sur les biens.
Des apprentissages sont possibles, comme le montre la diminution relative du nombre de victimes liées à des événements extrêmes dans le monde. Toutefois, le nombre de personnes affectées et les dommages matériels sont en croissance, et les prévisions ne sont pas bonnes.
C’est que, tant pour l’adaptation que pour l’atténuation, il est difficile d’agir aujourd’hui en prévision d’impacts futurs. D’où la nécessaire mise en évidence des bénéfices attendus pour des actions d’atténuation et d’adaptation. Ces bénéfices différant dans les deux domaines.
Réduire les émissions, c’est notamment améliorer la santé en diminuant la pollution de l’air ou encore augmenter l’indépendance énergétique par l’utilisation d’énergie renouvelable. Préparer l’adaptation, c’est souvent augmenter la résilience face à des impacts qui se produisent déjà, voire profiter de certains avantages d’un climat qui se modifie. Beaucoup de grandes entreprises l’ont d’ailleurs compris et font réaliser des études sur leur vulnérabilité climatique par des cabinets spécialisés.
Face aux inégalités
Tant dans le domaine de l’atténuation que de l’adaptation, le manque de connaissances et l’inertie des comportements représentent des freins importants.
Il est vrai que le changement climatique impose des changements structurels dans les sociétés, et rebat en partie les cartes en termes d’avantages et de désavantages. Dans le cas de l’atténuation, la dépendance fondamentale au secteur des énergies fossiles s’est avérée constituer un frein massif aux transformations. Dans celui de l’adaptation, les résistances sont plus diversifiées au vu des différents phénomènes impliqués, mais apparaissent également.
On peut remarquer à ce sujet que les relations de ces deux domaines aux inégalités économiques et sociales sont pour ainsi dire inverses.
Les émissions sont causées de façon disproportionnée par les plus riches, tant au niveau international que national. L’atténuation doit donc concerner en priorité ces acteurs. En revanche, face aux impacts, la richesse permet souvent de diminuer la vulnérabilité, que ce soit par l’instauration de protections ou en se déplaçant vers des zones aux conditions plus favorables. Différentes sortes de pauvreté et de vulnérabilité (âge ou état de santé notamment) influent défavorablement sur la capacité à réagir face à des stress climatiques.
Au niveau international, les pays tropicaux sont plus sujets à des impacts forts, du fait de leur situation géographique et de leur dépendance plus grande aux systèmes naturels. Ils ont pourtant des émissions par habitant assez faibles et portent, pour la plupart d’entre eux, une responsabilité historique limitée dans le problème du changement climatique.
Des oppositions
Des oppositions peuvent aussi exister entre adaptation et atténuation.
Le recours croissant à la climatisation (pour s’adapter aux températures élevées) génère par exemple des consommations d’énergie (défavorables à l’atténuation). Sachant que le bénéfice du conditionnement d’air est privatif tandis que de la chaleur est généralement rejetée dans l’atmosphère. Mais de tels cas restent marginaux et ces différences d’approche entre adaptation et atténuation rendent tout à fait possible – et nécessaire – de les mener de front.
Il importe de sortir d’une stérile opposition entre ces orientations, comme d’une superficielle juxtaposition de plans qui évoquent les deux domaines, sans mise en œuvre à un niveau assez concret depuis le « bas vers le haut ». Il faut notamment donner toute son ampleur à l’adaptation, qui pourrait bien à l’avenir s’autonomiser davantage de l’atténuation en étant conduite par des responsables et des acteurs spécifiques.
Ces deux aspects de la réponse au changement climatique resteront liés de plusieurs façons, ne serait-ce que parce que les impacts éprouvés peuvent cruellement stimuler la nécessité d’accroître les efforts d’atténuation.
Des plans d’adaptation existent à différents niveaux, y compris pour la France, en mettant à profit l’avantage sur l’atténuation de ne pas nécessiter d’accord mondial sur les efforts à consentir. Il importe d’en prendre connaissance et de multiplier les observations à la fois d’impacts et des réactions à ces impacts, pour les intégrer du mieux possible au présent et à l’avenir de nos société.
Edwin Zaccai et Romain Weikmans sont co-auteurs avec Valentine van Gameren de « L’adaptation au changement climatique », aux éditions La Découverte (2014).
Edwin Zaccai, Professeur, directeur du Centre d’études du développement durable (CEDD), Université Libre de Bruxelles et Romain Weikmans, Chargé de recherches du Fonds de la recherche scientifique (F.R.S.-FNRS) au Centre d’Études du Développement Durable, Université Libre de Bruxelles
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine
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