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Rougeole : l’épidémie de bêtise

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C’est une maladie extrêmement contagieuse que l’on croyait éradiquée grâce à la vaccination. Avant le vaccin, jusqu’à deux millions et demi de personnes mourraient chaque année de la rougeole. Grâce aux campagnes de vaccination, la maladie aurait dû complètement disparaître. Or aujourd’hui c’est l’alerte sanitaire un peu partout dans le monde. État d’urgence dans une banlieue new-yorkaise, flambée des cas en Ukraine, épidémie meurtrière à Madagascar… Pathologie évitable mais potentiellement mortelle, la rougeole resurgit à cause de la bêtise humaine : une défiance infondée envers les vaccins, alimentée à coups de rumeurs, fakes news et autres théories du complot répandues comme traînées de poudre dans les réseaux sociaux et les esprits fragiles.
 
C’est une maladie virale extrêmement contagieuse, plus qu’Ébola ou la grippe, et pour laquelle il n’existe pas de traitement curatif. Elle touche surtout les enfants, mais pas uniquement. Le virus, qui se propage quand les malades toussent ou éternuent, reste actif pendant deux heures. La maladie se manifeste par une forte fièvre puis une éruption de plaques. Elle est contagieuse quatre jours avant et après cette éruption. Souvent bénigne, elle peut toutefois entraîner des complications graves, respiratoires (infections pulmonaires) et neurologiques (encéphalites), en particulier chez les personnes fragiles.
 
Le seul moyen de s’en prémunir est le vaccin. Il existe depuis une cinquantaine d’années, il est peu coûteux, efficace, et a permis de réduire les 2.5 millions morts annuels que causait cette maladie à quelques rares cas. Durant la période 2000-2016, il est estimé que le vaccin a évité vingt millions de morts.
 

Flambée épidémique

Mais, après une forte régression jusqu’en 2016, la maladie est repartie de plus belle et la flambée semble s’amplifier. Les foyers infectieux se multiplient sur tous les continents et même en Europe où aucun pays n’est épargné, la palme revenant à l’Ukraine avec 35 000 cas déclarés l’année dernière. Dix pays dans le monde sont responsables des trois-quarts de l’augmentation totale. Dans cette liste noire on trouve la France, un pays pourtant vertueux en matière de vaccination, patrie de Pasteur, qui n’enregistrait auparavant que quelques cas par an, se comptant sur les doigts d’une main.
 
L’année 2018 a été l’année de l’explosion des cas déclarés. Entre 2017 et 2018, leur nombre a doublé sur l’ensemble de la planète. Un phénomène inquiétant qui a conduit l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Unicef à lancer un sérieux signal d’alarme. En cause, la baisse de la vaccination. Le taux recommandé par l’OMS de couverture vaccinale à l’échelle mondiale est de 95 %. En effet, compte-tenu du caractère hautement contagieux de cette maladie, le virus responsable nécessite une couverture vaccinale d’environ 95 % avec deux doses de vaccins. Le compte n’y est pas. Fin 2016, seulement 85 % des enfants avaient reçu une dose de vaccin et seulement 64 % ont bénéficié des deux doses nécessaires pour éradiquer le risque.
 
Comment en est-on arrivé à cette situation ? Deux mots forment la réponse à cette question : défiance et bêtise.
 
Tout a commencé en 1998 avec la publication dans la très sérieuse revue médicale The Lancet d’un article d’Andrew Wakefield. Ce médecin britannique y produisait une étude sur le vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole) qui concluait à un lien entre ce vaccin et des troubles autistiques. L’article produisit à l’époque un grand émoi dans la communauté médicale et fut rétracté de la revue scientifique en 2010. Il faudra attendre 2011 la démonstration officielle que les travaux de cet individu étaient frauduleux. Le British Medical Journal démontrait que le travail du Dr Wakefield était « un trucage élaboré ». Nous dirions aujourd’hui une fake-news dans toute sa splendeur. Le médecin mis en cause avait été tout simplement payé par des avocats qui menaient un procès contre le gouvernement britannique au sujet des vaccins. Il avait, contre rémunération, monté une fausse étude médicale de toute pièce.
Depuis cet épisode, de nombreuses études ont prouvé l’absence de lien entre l’autisme et la vaccination contre la rougeole, mais le mal était fait. D’autant que le Dr Wakefield, au lieu de disparaitre honteusement de la circulation – et malgré l’interdiction dont il fait l’objet d’exercer la médecine –, se répand encore aujourd’hui contre la vaccination et est un suppôt actif du mouvement « antivax ».
 

Le rouleau compresseur des antivax

Il ne fallait pas plus que cette information trompeuse pour lancer le rouleau compresseur de la rumeur. Les « antivax » sèment partout dans le monde rumeurs alarmantes et informations mensongères sur les réseaux sociaux. Les sociétés de crédulité dans lesquelles nous vivons font le reste.
 
La fausse idée d’un lien entre vaccin contre la rougeole et autisme persiste. Les « antivax » fondent leur stratégie de communication sur la peur : sites internet, journaux dédiés, films, la désinformation s’étale sur tous supports. Très engagés, et pour la plupart parents d’enfants malades ou handicapés, les militants occupent le terrain sur les réseaux sociaux, et se relaient aussi pour faire entendre leur voix dans les institutions locales.
 
À la rumeur, s’ajoutent les théories complotistes les plus échevelées. Certaines soutiennent ainsi que les autorités de santé savent la dangerosité des vaccins mais sont de collusion avec l’industrie pharmaceutique et cachent la vérité pour des raisons de gros sous. Même l’OMS est suspectée d’entretenir des liens secrets avec l’industrie pour promouvoir la vaccination.  D’autres théories vont encore plus loin dans le délire et affirment que le vaccin contient un micro-transmetteur afin de pouvoir contrôler les déplacements de tous ceux qui se font vacciner. Paranoïa classique digne d’un mauvais film de science-fiction.
 
La défiance peut aussi avoir des motifs religieux. Frappé par une épidémie de rougeole, un comté au nord de New York a décidé cette semaine de déclarer l’état d’urgence et de bannir de ses lieux publics tout mineur non vacciné. Les quartiers les plus touchés sont ceux à forte population ultra-orthodoxe juive. « Ça me met en colère de voir que dans le cas de la rougeole, on a les outils pour prévenir mais qu’ils ne sont pas assez utilisés », déclare à l’AFP Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008 pour la codécouverte du virus du sida.
 

Déchéance de rationalité

Dans tous les cas, ceux qui sont soumis à ces vagues de désinformation laissent la peur remplacer la logique. Dans son dernier livre, le philosophe Gérald Bronner parle de « déchéance de rationalité » (1). Les réseaux sociaux et Internet ont offert un terrain de jeu d’une formidable puissance à tous ceux qui veulent propager leurs idées. Qu’elles soient vraies ou fausses, les réseaux ne font pas de distinction. Tout part dans l’immense maelström et à chacun de trier le bon grain de l’ivraie.
Or c’est là que le bât blesse. Quand une idée, au départ marginale ou minoritaire, parle haut et fort, elle domine toutes les autres. Internet peut vite devenir le lieu de la tyrannie des minorités. En convoquant la puissance des réseaux numériques, un faible nombre de personnes peuvent influencer l’opinion. Leur voix laisse plus de traces que les autres, elle crée un fond sonore qui occulte tous les autres discours. Les rumeurs, les fakes news, les théories du complot… Les mouvements antivax procèdent ainsi. Par l’occupation massive du terrain numérique. Ils ne sont qu’une poignée de militant hyperactifs mais ils fédèrent des communautés énormes sur Internet, Facebook ou Twitter.
 
Leurs messages éclipsent tous les autres discours, y compris les messages officiels. Chaque jour, des dizaines d’articles alarmistes et de témoignages mettant en cause l’utilité ou l’innocuité des vaccins inondent les réseaux sociaux. Souvent anxiogènes, ces discours n’ont strictement aucun fondement scientifique et continuent, contre toute rationalité, de colporter des idées invalidées par les médecins et experts de la santé publique. C’est ainsi que les thèses de l’ex-Dr Wakefield continuent de se propager sur Internet. En France, l’une des figures du mouvement antivax est un chirurgien à la retraite, le Dr Henri Joyeux. Il propage allègrement rumeurs et fausses informations à travers un groupe Facebook qui compte plus de 150 000 adhérents.
 
La masse de ces messages contre les vaccins entretient une confusion entre la visibilité de l’information et sa représentativité. « Une déferlante de crédulité » dit Gérald Bronner, qui gagne la bataille de l’attention au détriment de celle de la vérité. Une bataille menée dans un marché dérégulé de l’information où celle-ci est offerte à « des avares cognitifs » qui préfèrent accepter le vraisemblable surtout s’il est bruyant, plutôt que le vrai, plus coûteux en termes de vérification des données.
 
Ces campagnes entretiennent les fausses idées et conduisent à des pratiques parfaitement irrationnelles comme celles de refuser les vaccins et laisser se propager une épidémie de rougeole. Le seul moyen de répondre à ces fausses informations qui se répandent grâce à leur submersion du terrain informationnel, est de s’attacher à réoccuper les espaces perdus. Gérald Bronner parle de « forme de militance citoyenne » qui résisterait à la pression des fausses informations, par de l’information. John Stuart Mill écrivait au milieu du XIXe siècle : « Le mal n’a besoin de rien d’autre pour parvenir à ses fins que l’inaction des gens de bien ». Si chacun de nous acceptait de prendre quelques minutes de son temps quotidien pour répondre sur les réseaux, les forums, les sites internet, aux âneries qui se répandent, les épidémies de bêtise – et la question de la rougeole n’est pas exclusive en la matière – pourraient peut-être un jour s’éteindre.
 
 
 
(1) Gérald Bronner, Déchéance de rationalité, Grasset, février 2019, 259 pages
 

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