Nous nous y promenons, nous l’admirons et nous en émerveillons ; nous l’exploitons aussi, comme si elle était là pour toujours. Eh bien non. La forêt européenne en général et la forêt française en particulier, sont menacées d’extinction. Sécheresse aggravée par le réchauffement climatique, apparition de parasites fortifiés par la chaleur, conséquences d’une gestion productiviste insouciante du bois, plus de la moitié de nos forêts est en grand danger et risque de disparaître. Fait aggravant : les remèdes préconisés pour reforester comme l’importation d’espèces exotiques est une aberration écologique et politique dénoncée par plusieurs scientifiques, .
Formidables géants. Les milliers d’arbres qui composent une forêt forment une communauté d’organismes à nulle autre pareille. Ils sont capables de se nourrir, de respirer, de s’affronter ou de collaborer ; ils communiquent dans un langage inaudible pour nous, humains. Chaque arbre, du plus fragile au chêne multicentenaire, forme un monde abritant animaux, lichens, mousses, champignons, bactéries, à profusion.
Éternels géants
Certains de ces anciens indigènes existaient déjà ici avant la dernière période glaciaire. Les premières communautés forestières sont apparues il y a 360 millions d’années, une époque où les mammifères et l’homme étaient à peine ébauchés. Les arbres, dès leur apparition, ont façonné en alchimistes accomplis notre planète et notre atmosphère. « Ils ont transformé l’invisible en visible » écrit Francis Martin, transformant le soleil en sucres et combustibles organiques indispensables à toute vie sur Terre. Sans eux, pas d’oxygène, ce cadeau qu’ils offrent à la vie en faisant tourner leurs usines à photosynthèse.
Ces arbres autour de nous paraissent éternels et pourtant, ils sont fragiles. Ce ne sont pas, comme certains le croient, des objets inertes, réduits au bois qui les fait. Ce sont des organismes vivants dont nous sommes loin de connaître la complexité. Êtres vivants, ils sont sensibles et peuvent mourir.
L’homme contemporain a déclenché, par ses activités, la sixième extinction de masse. Nous croyions jusqu’à présent qu’elle ne touchait que les reptiles, les mammifères, oiseaux, abeilles et papillons. Mais comme si cette liste sinistre n’était pas suffisante, viennent de s’y rajouter, les forêts, les arbres. Les forêts d’Europe sont plus menacées d’extinction que toutes ces espèces animales réunies.
Sur la liste rouge des menaces
En fait, les arbres sont l’un des groupes les plus menacés jamais évalués pour la Liste rouge européenne de l’UICN. Le risque d’extinction pour ce groupe d’espèces n’est dépassé que par les mollusques d’eau douce et les plantes à feuilles. Dans un effort pour étudier certaines des espèces les plus négligées du monde, la Liste rouge des arbres de l’UICN, publiée en 2019, rend visible l’ampleur de notre destruction sans équivoque.
En évaluant les 454 espèces d’arbres propres au continent européen, les analystes ont constaté que 42 pour cent des espèces étaient menacées d’extinction à l’échelle régionale. Pour les arbres endémiques, qui n’existent qu’en Europe, plus de la moitié d’entre eux (58 %) étaient très menacés d’extinction, tandis que 15 pour cent étaient considérés comme gravement menacés – un pas de plus vers l’extinction.
Même parmi les arbres qui allaient bien, une douzaine d’espèces étaient sur le point d’être elles-mêmes menacées, et les auteurs de l’étude admettent que 13 pour cent n’avaient pas suffisamment de données pour leur attribuer un état de conservation.
« L’impact des activités menées par l’homme entraîne un déclin des populations et un risque accru d’extinction d’espèces importantes en Europe », déclare Luc Bas, directeur du Bureau européen de l’UICN. Ce rapport montre à quel point la situation est désastreuse pour de nombreuses espèces négligées et sous-estimées qui constituent l’épine dorsale des écosystèmes européens et contribuent à la santé de la planète.
Catastrophe sanitaire
Particulièrement touché, le genre Sorbus (sorbiers et alisiers), dont trois quarts des 170 espèces sont menacés. En grand danger aussi, les cèdres, les épicéas, les marronniers, les pins sylvestres ou les sapins de Sicile. Assoiffées par les sécheresses chroniques qui sévissent désormais chaque été, les forêts françaises sont également la proie des scolytes, des coléoptères qui, alléchés par les arbres asséchés, creusent des galeries sous l’écorce, empêchant la sève de circuler. La forêt française doit faire face à une « catastrophe sanitaire ».
« On est dans une catastrophe sanitaire de grande ampleur. Ça a commencé avec les épicéas, mais on a aussi les sapins qui, un an après, sèchent et on a maintenant du hêtre et même du chêne dépérissant, suite à la chaleur », explique à l’AFP Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du Bois (FNB).
Principales essences touchées par ce double fléau, le sapin et l’épicéa, essentiellement dans les régions Grand-Est et Bourgogne/Franche-Comté. Plus surprenant, le marronnier commun (Aesculus hippocastanum), qui abonde dans nos villes, est classé « vulnérable ». Originaire de Bulgarie, d’Albanie, de Macédoine et de Grèce continentale, cet arbre y est en effet décimé par la mineuse du marronnier (Cameraria ohridella), petite chenille qui dévore ses feuilles. Originaire des Balkans, cet insecte s’étend en Europe, apporté par les voyages et le commerce mondialisé.
Une étude a révélé que, depuis 1900, une moyenne de trois espèces végétales ont disparu chaque année. C’est un taux d’extinction au moins 500 fois plus rapide que ce à quoi on s’attend naturellement, et le double du nombre d’extinctions d’amphibiens, de mammifères et d’oiseaux réunis.
La prise de conscience du rôle crucial des plantes feuillues et ligneuses se développe lentement, de même que notre connaissance des principales menaces auxquelles elles sont confrontées. Cette menace a ensuite été suivie par la déforestation, la récolte du bois et le développement urbain, ainsi que par des questions telles que le changement climatique, l’élevage, la gestion des terres et les incendies.
Tim Rich, un taxonomiste qui a travaillé à l’étude de l’UICN, a confié au Guardian qu’il surveillait les frênes depuis cinq ans et qu’il avait été choqué par le déclin rapide des plantes pendant ce laps de temps. « L’année dernière, j’ai commencé à m’inquiéter. Cette année, d’immenses régions connaissent un dépérissement qui n’affecte pas seulement les jeunes arbres comme c’était le cas auparavant » , dit-il. « Maintenant, ce sont de grands arbres entiers. Je suis allé récemment dans certaines parties du Pembrokeshire et tous les cinq ou dix mètres il y avait un frêne mort ou mourant. C’est un problème majeur, bien pire que je ne l’imaginais.
Tragique de la situation
Depuis trois saisons, sous l’effet conjugué de plusieurs périodes de canicule, de sécheresse et d’attaques d’insectes, épicéas, sapins, hêtres, pins sylvestres d’un grand quart nord-est de la France dépérissent aussi. L’Office national des forêts, qui gère les forêts publiques, estime que 60 000 hectares sont sinistrés. A ce chiffre, il faut ajouter les forêts privées qui font monter l’addition à plus de 100 000 hectares. L’expert forestier Philippe Gourmain déclare dans une tribune publiée dans Le Monde : « Ce qui frappe dans cette crise, c’est sa durée interminable, son caractère global, qui touche autant les feuillus que les résineux, et sa dimension européenne, des Balkans à la Scandinavie. Les pertes cumulées en Europe dépassent largement les 100 millions de m³, correspondant approximativement à une année de croissance de l’ensemble de la forêt française. »
L’expert des forêts ajoute : « Il faut se rendre à l’évidence : la plupart de nos essences forestières ne sont plus adaptées au changement climatique. Comme l’annonçaient il y a plus de quinze ans les chercheurs de l’INRA, les aires de répartition d’essences comme le hêtre ou le chêne pédonculé vont se réduire, confinant les survivants en altitude dans des versants Nord ou dans des fonds de vallée très frais. »
Comme pour les humains, nous assisterons sans doute bientôt à une grande migration des arbres, chassés par le réchauffement climatique. Ce phénomène est connu mais il prend du temps. Les mécanismes naturels d’adaptation auront-ils le temps nécessaire pour fonctionner ?
Aberration écologique et politique
Face à cette situation tragique, toutes les régions de France se sont dotées d’un Programme régional de la forêt et du bois. Le « Plan national de relance » mobilisera 200 millions d’euros sur deux ans pour reboiser 45 000 hectares. L’Etat et les collectivités subventionnent la plantation d’arbres sur la base de listes régionales. Mais si le reboisement par des essences plus résistantes à la chaleur et à la sécheresse est pertinent, l’utilisation d’espèces exotiques, ne poussant pas naturellement sur notre sous-continent, pose problème. C’est ce que pensent des scientifiques, responsables de la Société botanique de France, Guillaume Decocq, Elisabeth Dodinet et Pierre-Henri Gouyon signataires d’une tribune publiée ce 24 avril dans le journal Le Monde.
L’introduction d’espèces exotiques qui n’ont jamais co-évolué avec celles de nos écosystèmes, pour compenser les pertes de la forêt endémique est, selon eux, une « aberration écologique et politique ». « Un tel choix revient à oublier que la forêt est un écosystème complexe et non un simple groupe d’arbres. Lorsqu’il migre spontanément, un arbre ne se déplace jamais seul, mais avec un cortège d’organismes qui facilite son adaptation locale et limite son extension : champignons, acariens, insectes, etc. » En leur absence, l’introduction d’un arbre exotique peut échouer faute d’adaptation, ou mener à un succès excessif si le nouveau venu, délivré des parasites de sa zone d’origine, devient envahissant et entrave la régénération forestière.
Phénomène aggravant, il arrive que « l’espèce exotique soit introduite avec un parasite auquel elle est adaptée, mais face auquel nos essences locales ne sont pas « immunisées » : l’introduction en Europe de frênes de Mandchourie est à l’origine de l’actuelle épidémie de chalarose qui décime le frêne européen, tout comme nos ormes l’avaient été par la graphiose américaine dans les années 1970. » font-ils valoir.
Les scientifiques signataires de la tribune alertent : « Adapter la forêt aux changements climatiques est une nécessité. Mais mal l’adapter peut accélérer son déclin ».
Le tragique de la situation est que les forêts décimées notamment par le changement climatique sont pourtant une partie de la solution au changement climatique. Elles stockent le CO2 présent dans l’atmosphère et sont à ce titre porteuses d’espoir. Si elles existent encore. Il est temps de s’apercevoir que les forêts ne sont pas seulement des usines à bois mais aussi des refuges de biodiversité, jouant un rôle majeur dans les cycles de l’eau et la protection des sols. Tout ce dont nous avons cruellement besoin.
Les articles d’UP mag décrivent une succession de calamités dues à la malgouvernance. Qui sont les incompétents? Pourquoi sont-ils en place? Par qui les remplacer? Comment inverser ce cycle de fatalités? A un moment donné, compte tenu de l’immensité des problèmes, c’est la seule question qu’il faut se poser.
Au début était l’arbre, c’est la clé de voute de l’écosystème, comme les mangroves et le plancton. Si on perd ces fondations, la raclée va être violente. Mais on l’a bien cherché. Ca fait 70 ans, que certains prèchent dans le désert et qu’on se moquent d’eux. On est gouverné par des gens qui n’ont pas changé de siècle. L’élite refuse de voir le problème : pourquoi? Parce qu’il s ne sont pas personnellement concernés. Ce sont des personnes qui sont conditionnés pour être de superbes individualistes bien cyniques. Ils pensent qu’avec leur argent, la technologie, ils vont pouvoir tirer… Lire la suite »