Que nous réserve le futur ? « 2012 – 2030, ligne de mire », tel était le thème du remarquable cycle de conférences du Tedx Paris de 2012, organisé de main de maître par Michel Lévy Provençal, avec dix sept intervenants de très haut niveau. « Ligne de mire » étant un titre particulièrement bien choisi, sous forme de métaphore guerrière, il préfigurait une bataille entre scientisme et humanisme, remarquablement résumée à la fin de la présentation par le blogueur/comédien Vinvin. En sera-t-il de même en dehors de la scène de l’Olympia, sur le terrain qui nous mène à 2030, et dont nous sommes séparés d’à peine 18 ans ? ! C’est peut-être oublier « ô combien compliquée et imprévisible est la mécanique de la vie ». Kurt Vonnegut, s’il n’était décédé, aurait dû être invité lui aussi.
[note: invité en tant que représentant d’Orange et partenaire de Tedx, ce compte-rendu est néanmoins un rapport personnel et non officiel – la version originale de ce billet a été écrit pour live.orange.com]
Tedx Paris avait élu domicile à l’Olympia en octobre 2012.
« « Everything must have a purpose? » asked God.
« Certainly, » said man.
« Then I leave it to you to think of one for all this, » said God.
And He went away. »
― Kurt Vonnegut, Cat’s Cradle »
Imaginer le futur n’est pas chose facile. Beaucoup s’y sont essayés, peu ont réussi. Mais il y a des exemples marquants d’hommes et de femmes qui ont imaginé des choses impossibles et que les humains ont réussi à réaliser quand même : Jules Verne et son Nautilus a préfiguré les sous-marins, Hergé a inventé l’exploration lunaire alors qu’elle était impossible et semble avoir été copié par la NASA un peu plus de dix ans plus tard…
Le caractère auto prophétique de l’innovation
Ce sont ces rêves devenus réalités qu’a décrit Thomas Pesquet, astronaute à l’ESA, qui nous prédit un voyage habité sur Mars dès 2035. Je n’en serai pas. Ouf ! Trois ans de voyage en conserve, ce n’est pas pour moi. En substance, il nous a expliqué qu’on ne savait pas comment faire pour y arriver aujourd’hui, mais qu’on finirait bien par trouver des solutions.
C’est aussi ce qu’ont annoncé Ariel Fuchs, autoproclamé « mérien » (et non terrien), qui lance avec l’architecte français Jacques Rougerie, l’océanographe Jacques Piccard et le spationaute Jean-Loup Chrétien un projet nommé Sea Orbiter, un vaisseau vertical de 50 m, dont 29 au-dessous de l’eau, qui va « dériver sur l’océan » afin d’implanter une station de recherche sous-marine ; celle-ci permettra de « découvrir de nouvelles espèces et de faire des avancées technologiques dans les domaines de la pharmacologie, de la santé, de l’alimentation, des ressources minérales » etc. etc. C’est « 20 000 lieues sous les mers » devenues réalité.
Ce caractère itératif et auto prophétique de la recherche et de l’innovation a été confirmé par un remarquable présentateur franco-japonais résidant aux Pays Bas : César Harada. Mu par le désir de nettoyer les océans, il conçoit avec ses équipes des bateaux révolutionnaires dont les améliorations techniques pourraient aller bien au-delà de son projet initial. Ces bateaux « mous » qui résistent aux vents les plus défavorables évitent les obstacles plus tardifs pourraient vous donner aussi le mal de mer…
Le côté obscur de la force : vivre jusque 1000 ans ! ?
Cependant, ce côté auto prophétique peut parfois laisser la place à une autre vision du monde, bien différente de ces présentations d’ingénieurs enthousiastes. C’est quand cette vision d’un futur change le vivant, et vise « l’immortalité ». C’est le sentiment que j’ai eu en écoutant bon nombre de scientifiques présents lors de ce Tedx Paris et notamment Fabrice Chrétien, chercheur à l’institut Pasteur, spécialiste de la cellule souche, et Laurent Alexandre, chirurgien. Certes, comme tout le monde, je souhaite que la santé de tous s’améliore, notamment celle des gens frappés de maladies aujourd’hui incurables. Mais où est la limite ? Certes, le cancer est une calamité, personne n’est à l’abri, moi comme vous, mais où s’arrête la vie et comment la mort pourrait-elle disparaître ?
Les deux scientifiques se sont livrés à une surenchère scientiste qui nous a décrit un monde où il n’y a plus de limites : « ma conviction personnelle est que certains d’entre vous (en s’adressant à la salle) vivront jusque 1000 ans ! » A dit Laurent Alexandre. J’ai senti comme un frisson d’épouvante traverser la salle … Et pourquoi pas 2000 ans ?
Sans oublier les délires d’hommes bioniques décrits par Fabrice Chrétien, où les cellules s’auto réparent et où on fabrique des « morceaux d’hommes ». Effrayant, même si je ne comprends pas tout. Qui en outre, aura droit à ces « traitements de faveur » ? Les riches, les dictateurs ?
Cette description d’un monde où la science, technicisée à l’extrême, devient un moyen de repousser toute limite, me fait froid dans le dos. « C’est le mythe de la tour de Babel » a fustigé Miguel Benasayag, philosophe argentin, ex-opposant au régime des militaires et « Guévariste ». Sans partager ses idées révolutionnaires, ni son admiration pour cette idole, il nous a remis les pieds sur terre, en nous rappelant que c’était la limite qui créait la liberté : « Si tout est possible, rien n’est réel » a-t-il ajouté !
C’est pour moi la leçon de cet après-midi passé à rêver l’avenir : rêves d’amour, avec Yann Dall’aglio, qui place la tendresse comme futur de l’homme et du couple ; rêves de fermes urbaines d’Augustin Rosenthiel, improbables mais ô combien poétiques ; rêves de justice et d’humanité de Céline Bardet (« nous avons tous une graine d’humanité » en parlant d’un bourreau de la guerre de Bosnie) ; rêves d’amour, de courage et de pédagogie de Lydie Laurent, mère d’un enfant autiste qui a réussi à le faire parler et à le scolariser malgré un lourd handicap (séquence émouvante lorsque l’enfant est monté sur la scène) ; et enfin rêves d’optimismes d’Anjuli Pandit, cette jeune indienne à la conquête du monde qui nous incite à en faire autant.
Icare se brûlant les ailes …
Plus que jamais, l’avenir se jouera entre ces deux tendances, humaniste et scientiste, où l’homme sera soit mis soumis à une technique toute-puissante, où les médecins « ne toucheront même plus leurs patients » soit, il sera capable de guérir et de faire progresser par l’humain.
Vous avez compris dans quel camp je me range, Icare en volant trop près du soleil a vu fondre ses ailes de cire ! Merci à TedX de nous avoir rappelé cette leçon issue de l’Antiquité.
(Article écrit par Yann Gourvennec / http://visionary.wordpress.com)
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