Une étude internationale impliquant des chercheurs du CNRS et du CEA révèle des centaines de fuites majeures de méthane liées à l’exploitation mondiale du pétrole et du gaz. Le méthane, au pouvoir réchauffant cent fois supérieur au CO2 est un danger pour le climat. Ces fuites sont ainsi une hérésie climatique puisqu’elles ont un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an. Mais elles sont aussi une hérésie économique : les scientifiques montrent en effet que leur atténuation entraînerait des bénéfices climatiques et économiques se chiffrant en milliards de dollars. Ces travaux sont publiés le 4 février 2022 dans la revue Science.
Contributeur majeur au changement climatique, le méthane (CH4) a un pouvoir de réchauffement sur 100 ans environ 30 fois supérieur à celui du CO2. Un quart des émissions anthropiques de ce gaz à effet de serre provient de l’exploitation mondiale du charbon, du pétrole et du gaz naturel, dont le CH4 est le principal composant. En 2018, une étude avait déjà exposé, à partir du cas des États-Unis, la vaste sous-estimation dans les inventaires officiels des émissions liées à l’extraction et à la distribution du pétrole et du gaz. Un écart qui s’expliquerait par des rejets sporadiques non déclarés de grandes quantités de méthane par les exploitants de la filière.
Analyse de milliers d’images satellite
Pour la première fois, une équipe de recherche internationale, pilotée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS/CEA/UVSQ) associé à la société Kayrros, a quantifié mondialement les plus abondantes des émissions de méthane libérées dans l’atmosphère par le secteur des hydrocarbures. Il peut s’agir de rejets accidentels ou liés à des opérations de maintenance, qui conduisent à des fuites très importantes. Les chercheurs ont pour cela analysé de façon systématique des milliers d’images produites quotidiennement pendant deux ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Ils ont ainsi cartographié 1 800 panaches de méthane à travers le globe, dont 1 200 ont été attribués à l’exploitation d’hydrocarbures. Ils estiment que ces « fuites » ont un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an.Selon Philippe Ciais, co-auteur de l’étude, directeur de recherche au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement interrogé par Radio-classique : « les fuites sont d’une taille qui est gigantesque puisque l’on parle de taux d’émission de 20 à 25 tonnes de méthane par heure au minimum. Cela représente des panaches de méthane qui s’étalent parfois sur une distance de 300 ou 400 km ».
Une partie visible de l’iceberg
Correspondant à 10 % des émissions estimées du secteur, ces observations ne sont que la partie visible de l’iceberg, car le satellite n’est capable de détecter de manière systématique que les panaches les plus massifs, qui sont aussi les plus intermittents (plus de 25 tonnes de CH4 par heure). Les chercheurs expliquent en outre qu’ils sont limités dans les mesures prises par le satellite sous les hautes latitudes : les gisements du Canada ou de Sibérie échappent ainsi à l’analyse.
L’étude montre que ces rejets massifs ne sont pas aléatoires et chaotiques, mais détectés systématiquement au-dessus de certains sites d’extraction du pétrole et du gaz. Bien souvent ce ne sont pas des fuites accidentelles pendant le transport du gaz par exemple, mais bien des fuites intentionnelles selon Thomas Lauvaux : « les équipes techniques qui sont au sol et qui doivent procéder à la réparation d’un compresseur par exemple, doivent ouvrir les vannes. Cela paraît naturel puisqu’il en va de la sécurité des agents au sol. Mais on tombe dans le domaine de la maintenance et non pas dans la fuite accidentelle de gaz ».
On pourrait éviter cet écocide
Les solutions existent, elles sont déjà disponibles pour éviter ou colmater ces fuites. Les opérateurs pourraient mettre en place des dérivations pour que le gaz passe en dehors d’une conduite pendant les réparations. Ces pratiques sont déjà mises en place puisque dans certains pays comme l’Arabie Saoudite ou le Koweït dont les fuites sont minimes comparées à celles des Etats-Unis, de la Russie ou de l’Algérie.
Ces rejets dépendent donc bien des protocoles suivis lors d’opérations de maintenance et de la réactivité face aux fuites accidentelles. Ces pratiques écocides montrent combien les régulations mises en place par les États et les entreprises ont un rôle majeur.
Mais colmater ces « fuites » serait-il donc si coûteux pour les exploitants au point de justifier de telles pratiques ? En prenant en compte les coûts sociétaux sous-jacents aux impacts sur le climat et la qualité de l’air ainsi que le prix du gaz perdu, l’étude montre au contraire que les limiter serait synonyme de milliards de dollars d’économies nettes pour les pays qui en sont responsables. Alors pourquoi attendre ? Les alertes répétées et insistantes sur l’urgence climatique semblent ne pas atteindre les producteurs d’énergie fossiles.
Les travaux de ces chercheurs insistent ainsi sur la nécessité d’introduire un système de surveillance atmosphérique fiable qui permettrait à la fois de suivre les émissions de façon systématique et d’estimer l’impact de mesures locales visant à les réduire.
Oui, pourquoi attendre? Qu’en pense le ministère de la Transition écologique? Il devrait se prononcer quasiment sur chaque sujet développé dans les colonnes d’UP Mag.