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Cartographia – Comment les géographes (re)dessinent le Monde

Cartographia – Comment les géographes (re)dessinent le Monde, de Françoise Bahoken et Nicolas Lambert – Éditions Armand Colin, 10 septembre 2025 – 192 pages

Cartographia se présente d’abord comme une épopée : celle de la cartographie, depuis ses commencements — les représentations anciennes du monde — jusqu’aux défis et aux usages très actuels de la carte. Les auteurs, l’une géographe et l’autre ingénieur cartographe, combinent leurs expertises pour offrir au lecteur non seulement une histoire, mais une réflexion critique : comment les cartes façonnent notre regard sur le monde, comment elles incarnent des choix scientifiques, techniques, esthétiques, et aussi politiques.

Un des grands mérites du livre est de rendre accessible ce que beaucoup tiennent pour abstrait : les systèmes de projection, la mesure des hauteurs, les coordonnées, la façon dont on choisit de représenter une montagne, le niveau de la mer, ou encore l’orientation des cartes (et pourquoi le nord est presque toujours en haut). Ces sujets, potentiellement arides, sont abordés avec des anecdotes, des récits d’aventuriers, de scientifiques pionniers — ce qui rend la lecture à la fois agréable et formatrice. On apprend par exemple à quel point les erreurs ou les approximations dans la géométrie de la Terre ont influencé la cartographie, ou comment des femmes comme Marie Tharp ont contribué à redessiner la compréhension des fonds océaniques, souvent dans l’ombre.

Un autre apport fort du livre est le regard critique porté sur le pouvoir des cartes. Les auteurs insistent sur le fait que les cartes ne sont pas neutres : derrière le tracé, la projection, le choix des frontières ou des altitudes, il y a toujours un regard, une culture, des intérêts. La carte peut servir l’émancipation, mais aussi la domination ; elle peut invisibiliser certains territoires tout autant qu’elle peut les mettre en lumière. Le livre montre comment, de tout temps, ceux qui contrôlent les cartes contrôlent les récits possibles du monde — les représentations, les imaginaires, les politiques.

Les choix de structure de l’ouvrage sont bien pensés : chaque chapitre se concentre sur une question centrale (la forme de la Terre, les coordonnées, l’altitude, la projection, l’orientation, la vérité et le mensonge visuel, ou encore le pouvoir que portent les cartes). Cela permet au lecteur de progresser pas à pas, sans avoir besoin d’un bagage mathématique ou technique très approfondi, mais avec suffisamment de rigueur pour ne pas rester dans la superficialité.

Parmi les limites, on peut noter que malgré la richesse visuelle et historique, certains passages auraient pu aller plus loin dans l’analyse contemporaine, par exemple dans la façon dont les cartes numériques, les géo-applications, les technologies de l’IA ou les plateformes de mapping participatif bouleversent les usages et les pouvoirs. Le livre évoque bien les « mensonges visuels » ou les « trahisons des images », mais le lien avec les transformations récentes dans l’économie des données (big data, données de localisation, surveillance, données privées) pourrait être développé davantage.

Une autre limite, commune à beaucoup de livres de ce genre, est celle du choix des exemples. Ils sont nombreux et variés, mais certains lecteurs pourraient souhaiter une plus grande diversité géographique : des cas hors Europe ou Amérique du Nord plus détaillés, ou des cartes de territoires marginalisés, ou encore des traditions cartographiques différentes (dans des mondes non-occidentaux) plus profondément explorées. Cela dit, l’ouvrage ne prétend pas être une encyclopédie globale, mais plutôt une synthèse critique et pédagogique.

En termes d’impact, Cartographia remplit pleinement sa mission de culture générale spécialisée : il ouvre les yeux du lecteur sur le fait que les cartes sont davantage que des outils d’orientation ou de géographie, ce sont des objets de science, de technique, d’esthétique, mais aussi de pouvoir. Il incite à regarder autrement les atlas, les applications de cartographie sur téléphone, les cartes sur les journaux : à toujours se demander qui les ont faites, à quels choix de projection, à quelles données, et dans quel but.

À la lecture de Cartographia, on ressort avec plusieurs idées bien ancrées : d’abord, que la carte est un compromis permanent : entre vraisemblance et simplification, entre visibilité et omission. Chaque carte, chaque projection, chaque orientation est le fruit d’une décision technique, mais aussi culturelle et politique ;  ensuite, que notre relation aux cartes change avec les technologies : ce qui était réservé aux spécialistes (calculs de latitude/longitude, mesures de la Terre), se trouve aujourd’hui parfois dans nos poches. Mais cela ne rend pas pour autant automatique la conscience des biais ou des choix implicites. Et, enfin, que la cartographie peut devenir un terrain de lutte, de contestation ou d’affirmation d’identités. Montrer un territoire, en faire apparaître certaines frontières ou invisibiliser d’autres, choisir le nord en haut ou non, tout cela n’est pas innocent.

Lire un extrait du livre

Francoise Bahoken est chercheuse en géographie et en cartographie à l’Université Gustave Eiffel, et chargée de cours à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Associée au laboratoire Géographie-cités (CNRS) et à la Fondation Paul Ango Ela pour la géopolitique en Afrique centrale, elle est membre du Comité français de cartographie et du groupe Cartographie de Migreurop pour lequel elle participa aux Atlas des migrants dans le monde et Atlas des migrations en Europe (2012, 2017, 2022). Ses travaux portent en particulier sur la cartographie des mobilités spatiales par des flux et des mouvements, qu’elle met en œuvre dans le cadre d’une approche théorique et méthodologique formelle articulant les aspects statistiques, géographiques et sémantiques.

Nicolas Lambert, est ingénieur de recherche CNRS au Centre pour l’analyse spatiale et la géovisualisation (RIATE). Il enseigne la cartographie à l’université Paris Cité, anime le carnet de recherche neocarto.hypotheses.org et la rubrique « le regard du cartographe » dans le journal l’Humanité.

Ensemble, ils ont également contribué aux Atlas des migrants dans le monde et Atlas des migrations en Europe (2012, 2017, 2022).

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