Dix ans après l’Accord de Paris, la COP30 s’est achevée à Belém sur un sentiment d’inachevé. Si certaines avancées ont été obtenues sur le financement climatique, l’adaptation et la protection des forêts, l’absence d’une feuille de route pour la sortie des combustibles fossiles a profondément déçu les scientifiques et de nombreux pays, laissant l’impression d’un sommet « à bout de souffle » sans réellement infléchir la trajectoire climatique mondiale.L’heure est au bilan.
Une COP marquée par des négociations ardues et un contexte géopolitique fragile
Comme souvent, les discussions ont été longues, tendues et parfois chaotiques, perturbées par la chaleur extrême, des manifestations – notamment autochtones – et même un incendie sur le site. L’absence de délégation américaine et la réticence de la Chine à jouer un rôle moteur ont contribué à affaiblir la dynamique diplomatique. Malgré cela, plusieurs responsables se sont félicités que le multilatéralisme ait résisté dans un contexte international fragmenté. Il n’est pas rare que les conférences des Nations Unies sur le climat soient marquées par d’épuisantes et âpres négociations. Mais la fin de la COP30 a plus que jamais ressemblé à une lutte pour la survie, avec des résultats mitigés.
Financement de la lutte contre le changement climatique
L’une des principales controverses du sommet a porté sur la question de savoir qui devrait financer la lutte contre le changement climatique et aider les pays en développement à se préparer et à s’adapter aux conséquences inévitables du réchauffement climatique. Des progrès ont été réalisés : les pays riches se sont engagés à tripler le montant des aides financières accordées aux pays à faible revenu pour lutter contre le réchauffement climatique, pour atteindre 300 milliards de dollars par an d’ici à 2035. L’accord prévoit également un objectif plus large, à savoir porter le montant total à 1 300 milliards de dollars par an, toutes sources confondues, y compris les investissements privés.
Mais des questions subsistent quant au financement de ces mesures. Les accords précédents sur l’action climatique ont été entachés par des retards dans la réalisation des objectifs financiers ainsi que par des désaccords sur la part des fonds publics à allouer, par opposition aux prêts et aux investissements privés.
L’accord final conclu lors de la COP30 définit un processus visant à clarifier ces questions au cours des deux prochaines années. « Il s’agit d’une avancée pour garantir que les pays riches assument leurs responsabilités en matière de financement climatique envers les pays qui en ont besoin, explique Jodi-Ann Wang, qui mène des recherches sur l’équité et le financement climatique à la London School of Economics and Political Science. »
Selon Wang, les questions financières pèsent sur l’ensemble du processus. Par exemple, les négociateurs ont progressé dans l’élaboration d’un nouveau mécanisme de transition juste, conçu pour garantir que les intérêts des personnes et des communautés vulnérables soient pris en compte à mesure que le monde s’éloigne des combustibles fossiles. « Même si les pays riches ne l’admettront peut-être jamais pleinement, la COP30 a clairement mis en évidence une vérité : l’action climatique dépend du financement », déclare Wang. « On ne peut pas demander à ceux qui n’ont pas mangé à table de payer l’addition. »
Energies fossiles : une omission majeure qui entache le bilan
Le manque le plus criant de la COP30 concerne l’absence d’accord sur une feuille de route mondiale de sortie des combustibles fossiles. Environ 80 pays n’ont présenté aucun engagement climatique pour 2035, et les autres ont fourni des contributions très insuffisantes. Le texte final n’inclut qu’une référence indirecte à la COP28, pourtant première à mentionner explicitement les fossiles. Ces 80 pays se sont joints à l’appel lancé par le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva en faveur de la création d’une feuille de route pour l’élimination progressive des combustibles fossiles, mais la proposition a finalement échoué après l’opposition ferme déclarée de pays producteurs de pétrole, dont l’Arabie saoudite et d’autres États pétroliers.
Les Etats-Unis, absents, ne montrent pas l’exemple. Les dernières décisions de l’administration Trump viennent de planifier une expansion massive du forage d’hydrocarbures offshore en rouvrant l’Alaska au forage et à l’exploitation minière. Elle a également dévoilé un plan pour autoriser le forage de pétrole et de gaz sur des millions de kilomètres carrés dans les eaux côtières américaines du golfe du Mexique, une démarche qui pourrait aboutir à une expansion massive de l’extraction d’énergies fossiles. Au total, plus de 500 millions d’hectares seraient accessibles à l’industrie pétrolière et gazière sur cette zone qui n’a jamais été forée avant, soit une surface équivalente à celle de l’Amazonie.
Mais l’idée de sortir du fossile n’est pas encore abandonnée. Le Brésil a promis de la faire avancer indépendamment du processus de la COP, tandis que les gouvernements colombien et néerlandais ont annoncé qu’ils accueilleraient la première conférence mondiale sur la transition juste vers l’abandon des combustibles fossiles en avril prochain. Et, pendant que les États tentent de trouver un accord, les citoyens semblent avoir déjà pris de l’avance. Les nouvelles données publiées par Green-Got montrent que la finance individuelle progresse aujourd’hui plus vite que la finance institutionnelle.
Depuis 2016, les 65 plus grandes banques internationales ont injecté 7 900 milliards de dollars dans les projets fossiles. Dans la zone euro 11 grandes banques détiennent encore 530 milliards d’euros d’actifs liés au fossile ce qui représente 95% de leurs fonds propres.
Pour Maud Caillaux, cofondatrice de Green Got souligne “ Les chiffres sont sans équivoque. Pendant que les États négocient à Belém, les citoyens agissent déjà. Les Français ne veulent plus que leur argent finance la crise climatique, ils choisissent de soutenir des solutions concrètes. Dans un système bancaire encore très exposé au fossile, l’action citoyenne devient déterminante.”
En conséquence, les scientifiques du consortium Climate Action Tracker prévoient toujours que le monde est en passe d’atteindre un réchauffement de plus de 2,6 °C d’ici 2100.
« Les nouveaux engagements ne changent rien », déclare Niklas Höhne, chercheur en politique climatique au NewClimate Institute, un groupe de réflexion sur l’environnement basé à Berlin. « Cela montre clairement que les pays sont peu enclins à soutenir des mesures plus ambitieuses en matière de climat. »
Pendant que les États hésitent, des gouvernements comme la Colombie et les Pays-Bas ont annoncé l’organisation d’une première conférence mondiale sur la transition juste hors COP, prévue pour avril 2026.
Forêts et déforestation : entre initiatives brésiliennes et contradictions internationales
Le Brésil, hôte de la COP, a tenté d’imposer la question des forêts au cœur des négociations, avec le lancement du Tropical Forest Forever Facility, un fonds de plusieurs milliards de dollars destiné à rémunérer les pays qui préservent leurs forêts ; et l’engagement d’organiser des discussions parallèles sur l’arrêt de la déforestation. Le pays contribuera également à organiser des discussions en marge de la COP afin d’élaborer des feuilles de route pour mettre fin à la déforestation et abandonner progressivement les énergies fossiles. Mais le texte final n’a pas retenu de plan global pour protéger les puits de carbone forestiers, malgré leur rôle crucial dans la lutte climatique.
Par ailleurs, l’actualité extra-COP a révélé des contradictions persistantes dans la finance internationale. Une enquête d’ONG a montré que BNP Paribas ne respecte pas ses engagements de sortie du financement d’entreprises impliquées dans la déforestation au Brésil, et qu’elle continue à soutenir certains acteurs pourtant régulièrement liés à la destruction de forêts primaires.
Ces révélations illustrent la dépendance persistante du système financier mondial aux activités destructrices.
Ces six ONG (ActionAid France, Canopée, Envol Vert, Global Witness, Mighty Earth et Notre Affaire à Tous) ont publié le 20 novembre une lettre ouverte interpellant BNP Paribas sur le non-respect de son engagement à ne plus financer, d’ici fin 2025, les entreprises de l’industrie bovine et du soja au Brésil impliquées dans la déforestation de l’Amazonie, un écosystème clé pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette lettre intervient alors que l’association Canopée a également publié le 20 novembre un rapport qui montre que les négociants de soja parmi les plus exposés au risque de déforestation continuent d’être financés par les principales banques françaises.
En 2021, BNP Paribas s’est engagée à exclure de son portefeuille certains acteurs impliqués dans la déforestation d’ici fin 2025 (1). A quelques mois de cette échéance, aucune publication publique ne permet de vérifier l’état d’avancement de cet engagement.
Canopée et Reclaim ont donc mené leurs propres analyses, fondées sur les transactions financières de la banque et les soutiens financiers identifiés aux entreprises les plus impliquées dans la déforestation de l’Amazonie. Conclusion : BNP Paribas contrevient à ses propres engagements, pourtant contraignants et inscrits dans son plan de vigilance.
Cas emblématique : Bunge, symbole du double discours
Depuis janvier 2024, BNP Paribas a participé à quatre transactions de financement avec Bunge, géant mondial du négoce d’oléagineux, considéré comme le négociant de soja le plus à risque de déforestation au Brésil (2).
Entre août 2022 et juillet 2023, l’entreprise était exposée au risque de déforestation de 8 018 hectares au cœur du Cerrado et de l’Amazonie (3). Entre 2015 et 2018, ses activités ont contribué à la destruction d’une surface équivalente à 4/5 de la taille de Chicago, selon Global Witness (4). Ces destructions ont aussi des conséquences sociales dramatiques sur les populations locales : pollution de l’eau, perte de l’accès aux ressources forestières, accaparements fonciers et parfois intimidation.
Les ONG demandent à BNP Paribas d’enquêter sur ses clients et de cesser immédiatement tout financement à Bunge, Marfrig ainsi qu’à tout autre acteur identifié comme non conforme à ses propres politiques, conformément à sa politique d’exclusion, à effet du 31 décembre 2025.
Des engagements parcellaires : l’exemple de Cargill en Amazonie
Les organisations dénoncent également les zones d’ombre de la politique “zéro déforestation” de BNP Paribas, limitée à certaines zones géographiques.
BNP Paribas n’inclut pas, par exemple, la Bolivie dans sa politique zéro-déforestation et ne vise donc qu’une partie des entreprises impliquées dans la déforestation. Ainsi, la BNP continue à soutenir Cargill, multinationale étasunienne pointée du doigt dès 2023 par l’organisation Global Witness pour l’achat de soja issu de zones déforestées dans la forêt du Chiquitano en Bolivie, pays devenu le deuxième au monde derrière le Brésil en termes de perte de forêt primaire (5).
Dans sa toute dernière investigation datant d’octobre 2025, Global Witness montre que BNP Paribas est la banque européenne qui a tiré le plus de revenus des 50 entreprises accusées de déforestation, avec 810 millions de dollars entre 2016 et 2024, dont près de 90% issus du financement du secteur de la pâte à papier et du papier (6). Ce chiffre illustre la dépendance persistante du modèle économique de la banque à des activités destructrices pour les forêts et le climat.
Les 6 ONG appellent à une mise en conformité immédiate : “Il est urgent d’adopter et d’appliquer une politique de de financement et d’investissement claire, contraignante et vérifiable. En finançant des activités causant une déforestation massive, BNP Paribas alimente un système économique non-soutenable qui contribue directement à la déstabilisation du climat, à la destruction de la biodiversité et à des violations des droits humains”, concluent les ONG dans leur lettre aux dirigeants de BNP Paribas.
Financement climatique : des engagements renforcés mais encore flous
L’un des points les plus substantiels de la COP30 concerne l’aide financière :
- Triplement des financements à l’adaptation pour atteindre 300 milliards de dollars par an d’ici 2035.
- Objectif global de 1 300 milliards de dollars par an, incluant financements publics et privés.
- Mise en place d’un processus de clarification sur la contribution réelle des pays riches.
Mais de nombreuses interrogations persistent : retards récurrents, place du secteur privé, mécanismes de redistribution. Comme le souligne une chercheuse de la LSE, « l’action climatique dépend du financement ». L’Alliance pour la neutralité carbone (UNEZA) , qui regroupe les principaux fournisseurs d’électricité au monde et est animée par l’IRENA, vise à lever les principaux obstacles à l’investissement, notamment dans les réseaux et leur flexibilité. Lors de la COP30, l’UNEZA a annoncé une augmentation de ses engagements d’investissement à près de 150 milliards de dollars par an , principalement axés sur les infrastructures de réseau.
Adaptation : un pas concret avec les premiers indicateurs mondiaux
Les pays ont réalisé davantage de progrès sur la question spécifique de l’adaptation au réchauffement climatique. L’un des résultats les plus attendus de la COP30 était un accord sur un ensemble de 100 indicateurs pouvant être utilisés pour suivre les progrès des mesures d’adaptation à travers le monde. Les négociateurs en ont présenté 59, qui continueront d’être affinés jusqu’à la COP32 qui se tiendra à Addis-Abeba en 2027, date à laquelle ces indicateurs pourraient être définitivement adoptés et entrer en vigueur.
Selon André Ferretti, responsable de l’économie de la biodiversité à la Fondation du groupe Boticário pour la protection de la nature à Curitiba, au Brésil, l’adoption d’un ensemble d’indicateurs d’adaptation, bien qu’imparfaite, est une victoire : « Il est essentiel de rendre compte et de suivre les mesures d’adaptation mises en œuvre pour comprendre quelles régions nécessitent davantage d’attention, quelles populations sont les plus touchées, mais aussi pour demander des ressources », explique-t-il.
L’accord de la COP30 prévoit de tripler au moins les financements alloués à l’adaptation. Il s’agit d’argent provenant des pays riches, qui ont pour la plupart profité des émissions de carbone, et destiné aux pays vulnérables, qui subissent de plein fouet les conséquences néfastes de ces changements.
L’accord établit un « mécanisme de transition juste » visant à garantir que la transformation du système énergétique ne porte pas atteinte aux droits des populations.
Société civile et finance citoyenne : un contraste fort avec l’inaction des États
Alors que les gouvernements patinent, la mobilisation citoyenne progresse rapidement. En 4 ans, l’épargne et les choix bancaires des utilisateurs de Green-Got ont permis d’éviter ou de séquestrer 11 646 tonnes de CO₂e dont 2 429 tonnes via l’assurance vie et 9 217 tonnes grâce aux projets soutenus par la Fondation. Les membres ont également permis de préserver ou de restaurer 576,7 hectares de biodiversité en Amazonie, en France, au Kenya et en Indonésie. Ils ont contribué à soigner et transplanter 3 196 coraux sur le littoral Atlantique et Méditerranéen ainsi qu’en Espagne. 67 millions d’euros ont été orientés vers des entreprises utiles, et près de 2 millions de dons à des projets.
Cet impact contraste fortement avec les difficultés persistantes des discussions climatiques internationales. Ces actions contrastent surtout avec une finance mondiale encore largement tournée vers les fossiles : 7 900 milliards de dollars investis dans les projets pétroliers et gaziers depuis 2016 par les 65 plus grandes banques. Pour Green-Got, « pendant que les États négocient, les citoyens agissent déjà ».
Conclusion : une COP de survie, plus que de transformation
Alors que la COP30 s’est déroulée sans délégation américaine et que la Chine refuse en grande partie d’assumer un rôle de premier plan, certains se réjouissent de voir le multilatéralisme survivre. S’il s’est maintenu, la dynamique réelle de transformation semble se déplacer : vers les sociétés civiles, les finances citoyennes, et vers les pays ou coalitions prêtes à avancer hors du cadre de la COP. « Nous vivons une période géopolitique complexe », a déclaré Wopke Hoekstra, commissaire européen au climat. « C’est pourquoi, malgré les difficultés, chercher à se rassembler a une valeur intrinsèque. » Certains signes ont laissé espérer que ce multilatéralisme peut permettre de lutter contre le changement climatique. Pendant deux semaines, les représentants de près de 200 gouvernements ont travaillé sous une chaleur torride, pendant de longues nuits, malgré un incendie sur le site et de nombreuses manifestations, notamment celles organisées par des groupes autochtones et d’autres personnes luttant pour la protection de l’Amazonie et d’autres forêts tropicales.
La COP30 de Belém aura été une conférence de contrastes : avances timides, symboles encourageants, mais surtout manque de courage politique. L’absence d’une feuille de route sur les fossiles représente une lacune majeure au moment où la planète est déjà réchauffée de 1,1 °C et subit des dégâts estimés à 16 millions de dollars par heure.
Si le multilatéralisme s’est maintenu, la dynamique réelle de transformation semble se déplacer : vers les sociétés civiles, les finances citoyennes, et vers les pays ou coalitions prêtes à avancer hors du cadre de la COP.
La COP30 n’a pas été un échec total — mais à la hauteur de l’urgence climatique, elle apparaît surtout comme une occasion manquée.
Lire la version définitive de l’adoption du texte commun sur l’action climatique à la COP30
(1) Document d’enregistrement universel de BNP Paribas, p.889, mars 2025.
(2) Brazil soy – Supply chain – Explore the data – Trase
(3) Somme des cas identifiés par Mighty Earth pour lesquels ils sont présents dans un rayon de 50km. RapidResponse4-Soy-Eng-
(4) Global commodity traders are fuelling land conflicts in Brazil’s Cerrado | Global Witness
(5) Fires drove record loss of world’s forests last year, ‘frightening’ data shows, The Guardian, 21 mai 2025
(6) https://globalwitness.org/fr/







