Des savants et des dieux. I – De la divination babylonienne au miracle grec, l’émergence de la science, de Pascal Richet – Éditions Les belles lettres, 24 octobre 2025 – 324 pages
Comment l’activité scientifique a-t-elle vu le jour ? Dans cet ouvrage, Pascal Richet propose une histoire de l’émergence de l’activité scientifique replacée dans ses contextes religieux, politiques et sociaux. Ce tome 1 couvre la période qui va de la divination babylonienne au « miracle grec », et suit pas à pas la manière dont des pratiques métrologiques d’abord cultuelles et administratives – observation du ciel, tenue d’archives, métrologie – se transforment en savoirs organisés et transmissibles. L’ouvrage insiste sur un point crucial : la science ne naît jamais « hors-sol » ; elle surgit dans les temples, les chancelleries et les villes, avant de s’autonomiser partiellement en dispositifs savants.
Richet montre que la Mésopotamie a joué un rôle déterminant dans cette genèse : la longue tradition d’astronomie mathématique issue d’un terreau divinatoire n’est pas une anecdote de l’histoire ancienne mais une matrice où s’inventent des outils conceptuels, des méthodes de consignation et une culture de la prévision. Le fil se poursuit jusqu’au monde grec, où se cristallise un autre régime d’intelligibilité, plus spéculatif et théorisé, mais redevable à ces sédiments mésopotamiens. Cette mise en continuité, solidement arrimée aux documents d’époque, constitue l’une des forces du livre, qui conjugue érudition et pédagogie sans céder à l’anachronisme.
Sur le plan historiographique, l’apport majeur du volume tient à son décentrement : plutôt qu’une légende dorée d’une Grèce surgie ex nihilo, il fait apparaître un long continuum de pratiques savantes où s’entrelacent techniques d’observation, contraintes institutionnelles et horizons religieux. L’auteur insiste sur la coconstitution du savoir et du pouvoir : les institutions (temples, palais, archives) ne sont pas de simples tuyaux de transmission, mais des acteurs de sélection et de cadrage du vrai, qui déterminent ce qui se conserve, s’oublie ou s’amplifie. Cette thèse, exposée avec clarté, fournit un cadre fertile pour repenser la relation entre croyances, autorité et production des connaissances.
La démonstration séduit par l’ampleur de sa documentation et la lisibilité de sa composition (avant-propos, mise au point contextuelle, parcours des sources, récit problématisé), ce qui en fait un ouvrage accessible aux lecteurs curieux comme aux étudiants, sans perdre de vue les débats savants. On pourra toutefois relever une limite : en focalisant ce premier tome sur la Mésopotamie et l’amont grec, certaines transitions restent nécessairement esquissées et appellent la suite annoncée de la série (Grèce, Rome, Islam, Byzance, Occident latin) pour mesurer pleinement les circulations et reconfigurations d’idées à plus long terme. Autrement dit, la puissance du cadre comparatif promis par la collection se déploiera surtout lorsqu’on disposera de l’ensemble.
Des savants et des dieux. I est un tome inaugural convaincant : il démonte les mythes d’une naissance « pure » de la rationalité, restitue la matrice mésopotamienne des savoirs et prépare une histoire au long cours des rapports entre savants et dieux. Un livre à la fois rigoureux et stimulant, qui rappelle que la science est toujours une aventure sociale autant qu’un effort d’intelligibilité du monde.
Pascal Richet, physicien émérite à l’Institut de Physique du Globe de Paris, est l’auteur de travaux en géochimie, géophysique, thermodynamique, science des matériaux et histoire des sciences distingués par l’Académie des sciences, l’European Geophysical Union, l’European Assocation of Geochemistry, l’American Ceramic Society et la fondation von Humboldt.


