En cette année tourmentée, les Rencontres d’Averroès ont choisi de se tourner vers les villes méditerranéennes et de penser leurs devenirs. Cette 27e édition, du 19 au 22 novembre 2020, emprunte son titre au très beau roman de l’écrivain grec d’Alexandrie Stratís Tsírkas, Cités à la dérive, paru en 1965.
Le monde méditerranéen a fait naître la cité, la polis, qui semble demeurer un creuset pour vivre et habiter ensemble. Dès lors, la cité grecque est-elle la source de notre art de gouverner ? Au temps des bouleversements climatiques et face aux fragmentations urbaines, comment les cités méditerranéennes résistent-elles ? Est-il possible de repenser l’architecture et de réinventer des lieux en surmontant les blocages politiques ? Avec l’urbanisation croissante, une autre façon d’habiter le monde est-elle pensable ?
Pour répondre à ces questions, chercheurs, architectes et artistes internationaux se retrouvent à La Criée à Marseille, théâtre de chaque jour et de tous les temps, une fabrique d’images et d’imaginaires ouverte à toutes et à tous, pour quatre jours de débats devant un public que l’on sait fidèle et exigeant.
Averroès n’oublie pas les plus jeunes avec le programme Averroès Junior. En début de soirée, pour être rentré chez soi avant le couvre-feu, place aux spectacles : Bachar Mar-Khalifé et Lamia Ziadé tournent leur regard vers Beyrouth en mêlant musique et dessins et l’Orchestre national de Barbès fête ses 25 ans dans la grande salle de La Criée !
Cette année, les Rencontres d’Averroès dialoguent avec la littérature en créant des passerelles entre écrivains et chercheurs et, en clôture, un entretien avec le grand écrivain italien Erri De Luca.
Les Rencontres d’Averroès sont produites et organisées par Des livres comme des idées. Cette association conçoit et organise également le festival littéraire Oh les beaux jours ! dont la cinquième édition aura lieu à Marseille du 25 au 30 mai 2021.
Les deux projets, dont les actions et les rythmes se complètent, incluent un important travail d’action culturelle à l’année.
Côté Rencontres d’Averroès, ces actions de fond s’appuient sur la solide expérience acquise par Averroès Junior en milieu scolaire et par le Collège de Méditerranée, nouvelle forme d’université populaire qui replace les sciences humaines dans la cité et se déploie à l’échelle de la métropole et de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Cités à la dérive ? Devenirs urbains entre Europe et Méditerranée
« S’il est un lieu où nous avons le sentiment de pouvoir habiter le monde, c’est bien la cité. C’est là où se fabrique une appartenance, où se définit une façon d’être au monde, un rythme, un accent ou une intensité, un style de vie singulier qui nous façonne, nous traverse et nous fait être ce que nous sommes.
Mais que se passe-t-il quand ce qui semblait stable se met à vaciller, à se fissurer et parfois même à s’effondrer ? Cités à la dérive ? Ce titre donné à la 27e édition des Rencontres d’Averroès est inspiré par le grand livre de Stratís Tsírkas, écrivain grec d’Alexandrie qui lui-même a repris un fragment du poète Georges Séféris : « Jérusalem, cité à la dérive Jérusalem, cité des réfugiés. »
Alexandrie, Athènes, Jérusalem, l’invention de la cité comme forme du politique vient de l’histoire lointaine de la Méditerranée, de ses références antiques qui sont toujours là. Elles dessinent la trame d’une possible vie en commun dans les différentes mégapoles méditerranéennes. La ville arabe, la médina, la cité islamique, n’est plus séparée ou oubliée aujourd’hui dans l’histoire de la connaissance, mise de côté par un savoir orientaliste qui a tracé une frontière irréductible entre « eux » et « nous », comme si l’idée même de cité ne pouvait pas être partagée.
C’est une visée transversale ou traversière qui nous inspire plutôt aux Rencontres d’Averroès. Il s’agit volontiers de renverser nos cartes mentales, de décentrer nos regards et de tenter d’écrire une « histoire à parts égales ». « Penser la Méditerranée des deux rives », tel est l’horizon qui est toujours devant nous. Sortir des visions convenues, des formules toutes faites ou des clichés ressassés comme autant d’évidences indiscutées.
Ici, au théâtre de La Criée, qui accueille depuis de nombreuses années les Rencontres d’Averroès, la parole est libre ! À partir de Marseille, cité phocéenne profondément reliée à l’histoire longue de la Méditerranée, nous tentons, dans cette nouvelle édition, de tracer de nouveaux chemins de la connaissance et d’ouvrir des pistes originales pour les savoirs comme pour les cultures urbaines. Voici une invitation au voyage parmi les villes et cités de la Méditerranée, de possibles traversées parmi les constellations qui relient Venise et Alexandrie, Istanbul et Athènes, Palerme et Tanger, Gênes et Barcelone, Alger et Marseille, avec une attention toute particulière portée à Beyrouth, ville meurtrie, cité à la dérive qui a perdu bon nombre de ses liens avec l’espace public.
Les villes ne sont pas de simples marques, accaparées par des « starchitectes », pas plus que des flux, multipliés au temps de la mondialisation. Ce sont d’abord et avant tout des lieux, des formes du temps qui ont un imaginaire et qui doivent affronter bien des défis, à commencer par les effets du réchauffement climatique. Comme l’observait justement le romancier sicilien Elio Vittorini dans Les Villes du monde, les belles villes produisent de belles personnes tandis que les autres secrètent dangereusement « de la laideur humaine ». Puisse cette 27e édition des Rencontres d’Averroès contribuer à redonner le goût d’habiter le monde autrement, au-delà des désastres en cours et de la laideur humaine. »
Thierry Fabre, Fondateur et concepteur des Rencontres d’Averroès *
Programme complet
Réservation en ligne : www.theatre-lacriee.com
*Essayiste, chercheur et commissaire d’expositions, Thierry Fabre est le fondateur des Rencontres d’Averroès. Il est actuellement directeur du programme Méditerranée de l’IMéRA (Institut d’études avancées d’Aix-Marseille Université). En octobre 2020, il publie le volume 2 de La Fabrique de Méditerranée intitulé Mesure et démesure (Arnaud Bizalion éditeur, 2020). Il a été le créateur et le rédacteur en chef du magazine Qantara, à l’IMA, et de la revue La Pensée de midi. Il a dirigé la collection « Bleu », chez Actes Sud, et le réseau d’excellence Ramses2 sur les « études méditerranéennes ». Il est notamment l’auteur de Traversées et de Éloge de la pensée de midi, (Actes Sud, 2001 et 2007), d’une série de livres sur « Les Représentations de la Méditerranée » (Maisonneuve et Larose, 2000), ainsi que de nombreux livres collectifs et articles sur les questions méditerranéennes. Il a été le commissaire général de l’exposition inaugurale du Mucem : « Le Noir et le Bleu. Un rêve méditerranéen » (2013/14), avec Anissa Bouayed, et de l’exposition « Traces. Fragments d’une Tunisie contemporaine » (2015/2016), avec Sana Tamzini.