La Fondation Jean-Jaurès reçoit Christophe Prochasson, historien, et ancien président de l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), et Marion Bet, doctorante en philosophie à l’EHESS, pour une conférence le 30 mars autour du dernier numéro de la revue Germinal, « L’école émancipatrice », paru en novembre 2022. Un débat autour de la nécessaire réhabilitation à donner de l’École de la république, institution centrale et « premier budget de l’État ».
L’école émancipatrice
L’école connait aujourd’hui en France la situation paradoxale d’une institution centrale mais en grande difficulté. Au cœur du projet et des institutions républicaines, elle est un des principaux vecteurs d’intégration et se présente comme le lieu tant de formation des citoyens que d’attribution légitime des positions sociales par le travail au travers des parcours scolaires. Cette place centrale qu’occupe aujourd’hui l’école est le résultat de la démocratisation scolaire initiée par les lois Ferry qui généralisent l’enseignement primaire, laïc, gratuit et obligatoire puis de la massification scolaire d’après-guerre marquée par l’allongement de la scolarité obligatoire à 16 ans et l’unification des parcours scolaires qui aboutit notamment en 1975 au « collège unique ». Avec la massification scolaire, l’école est devenue l’un des fondements de la démocratie sociale mais aussi, par le même mouvement, un lieu de différenciation encore trop inégalitaire. La France est ainsi l’un des pays où le milieu socio-économique influe le plus sur les performances scolaires, comme le révèlent les classements PISA : 25% des élèves les plus défavorisés du classement ont 4 fois plus de chances d’être les mauvais élèves du classement. À cela s’ajoute une dynamique de fragilisation qui affecte l’institution scolaire depuis plusieurs dizaines d’années : les parcours scolaires demeurent fortement marqués par les inégalités sociales, les comparaisons internationales font état de certains retards dans l’acquisition des compétences par les élèves français, le métier d’enseignant pâtit d’une faible attractivité et d’une dégradation de ses conditions d’exercice, l’enseignement privé progresse à mesure que la confiance dans l’école publique s’étiole. Dans ce contexte, la série des récentes réformes de l’institution scolaire a davantage suscité de lassitudes qu’apporté des solutions ambitieuses aux maux de l’école.
Pour comprendre ces difficultés et les possibilités d’y remédier, il faut les rapporter aux transformations majeures produites par la massification scolaire qui ont constitué avec l’industrialisation et la démocratisation politique un des principaux vecteurs de transformation sociologique de la nation. Ces trois phénomènes sont liés : la nécessité de démocratiser l’enseignement a procédé tant de l’avènement du suffrage universel que d’une division du travail social de plus en plus poussée qui a exigé un niveau de formation minimal pour tous. Au-delà de former des citoyens et des travailleurs, la massification scolaire a produit des effets sociologiques décisifs : elle a nourri la recherche d’équité dans la société en soumettant les parcours scolaires et par conséquent l’attribution des positions sociales par le travail à des critères de justice fondés sur les capacités et a contribué à réduire les différences entre les classes sociales par l’expérience commune de la scolarisation fondée sur des critères universels et participant au processus d’intégration nationale. L’école a également développé la réflexivité par une connaissance davantage partagée des phénomènes sociaux. L’affaiblissement de l’école publique met donc en cause tant l’équité sociale que l’unité nationale. La capacité des individus et de la nation à s’intégrer pleinement dans la division du travail qui relève plus que jamais de la compétition internationale s’avère entravée, de même qu’une compréhension partagée par l’ensemble des citoyens des phénomènes sociaux et environnementaux nécessaire à la transformation de la société.
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Cette rencontre sera animée par Sébastien Podevyn-Menant, membre de l’Observatoire de l’économie de la Fondation.