L’âge d’eau – Tomes 1 et 2, de Benjamin Flao – Éditions Futuropolis, janvier 2022 – 160 pages
Nous sommes en France, l’eau est montée et il n’y aura pas de décrue. Face à ce nouveau phénomène, beaucoup de populations sont déplacées et survivent comme elles peuvent sur les terres émergées ou apprennent « à flotter ». Les grandes villes, comme les grands pôles industriels, sont, quant à eux, systématiquement entourés de digues et soumis à des normes sanitaires.
Face à l’insalubrité potentielle de ces modes de vie « hors des digues » et au danger qu’ils représentent, les autorités invitent ces populations à venir rejoindre au plus vite les centres d’hébergement d’urgence construits à la chaîne, sous peine de perdre certains de leurs droits citoyens.
Une famille, qui a vu son habitat noyé par la montée des eaux, refuse d’obéir à l’injonction gouvernementale. Ils vivent sur une maison flottante. Jeanne, la mère, préfère cette liberté. Jeanne a deux fils, Hans et Groza, et un chien médium.
Groza, un ancien CRS, traumatisé par son passé, ne parle plus que par onomatopées et a développé l’étrange manie de vouloir régler tous les problèmes.
Hans vit une séparation douloureuse avec la mère de sa fille Vinee.
Ils cherchent un lieu émergé où ils pourront vivre en paix, et sont prêts à lutter contre la nature déchaînée, mais aussi contre les hommes, capables des pires bassesses pour survivre à ce monde en mutation.
Un récit d’anticipation aux préoccupations très actuelles et personnelles, dont les deux tomes nous mènent dans des Pays de la Loire noyés par la montée des eaux.
Avec L’âge d’eau, Benjamin Flao livre une œuvre graphique d’une rare intensité, à la croisée de la dystopie climatique et du récit intimiste. Lauréat du Prix littéraire du Conseil économique, social et environnemental (catégorie Futurs), ce diptyque s’inscrit pleinement dans les préoccupations actuelles liées au dérèglement climatique, aux migrations forcées et à la résilience des communautés humaines.
Une fable écologique et politique
En imaginant une France submergée, Flao transpose dans un futur proche des inquiétudes bien présentes : montée des eaux, gouvernance autoritaire, contrôle sanitaire et effondrement des modes de vie traditionnels. L’opposition entre les « mondes sous digues », ultra-réglementés, et les communautés flottantes, précaires, mais libres, révèle une critique sociale forte. Le récit questionne nos rapports au pouvoir, à la liberté et à la dignité humaine, dans un contexte où la survie devient politique.
Des personnages incarnés par la fragilité
La force du récit tient à ses protagonistes, profondément humains dans leurs failles. Jeanne incarne la résistance et le choix d’une liberté fragile, au prix de la sécurité promise par l’État. Groza, mutique et hanté par la violence institutionnelle, symbolise les blessures d’une société qui sacrifie ses serviteurs. Hans, quant à lui, illustre le poids des liens familiaux et l’espoir d’une continuité malgré la catastrophe. Ces trajectoires individuelles donnent chair à la réflexion collective, en évitant l’écueil de l’allégorie abstraite.
Une esthétique fluide et organique
Graphiquement, Flao privilégie une aquarelle mouvante, où les contours se dissolvent presque comme engloutis par l’eau. Les paysages inondés oscillent entre beauté onirique et menace sourde, reflétant la double nature de l’eau : source de vie et de destruction. L’alternance de scènes contemplatives et de tensions dramatiques crée un rythme qui épouse les caprices d’un monde devenu instable.
Un miroir de notre présent
Si l’anticipation permet de décaler le regard, elle agit surtout comme révélateur. La montée des eaux y symbolise la crise écologique globale, mais aussi l’incertitude face aux bouleversements sociaux et politiques qu’elle engendre. Le lecteur y retrouve des échos très actuels : migrations, repli sécuritaire, choix entre confort réglementé et liberté fragile.
L’âge d’eau est bien plus qu’un récit de science-fiction climatique : c’est une réflexion sensible sur notre avenir collectif et nos choix intimes face aux bouleversements annoncés. En mêlant poésie graphique et tension dramatique, Benjamin Flao réussit à créer une œuvre à la fois esthétique, politique et profondément humaine. Ces deux tomes constituent ainsi une fable contemporaine, aussi inquiétante que nécessaire.
Benjamin Flao est né à Nantes en 1975. En 1989, Benjamin Flao quitte le cursus scolaire traditionnel à 14 ans, pour s’inscrire à l’école d’arts graphiques de Saint-Luc de Tournai, en Belgique. Après deux années d’études, il rejoint l’école de graphisme publicitaire de Nantes puis l’école Emile Colh.
Il publie en 2002 son premier carnet de voyage, Carnet de Sibérie (Mammuthus expéditions), textes de Bernard Buigues (Glénat), pour lequel il reçoit le Prix Lonely Planet à la Biennale du carnet de voyage de Clermont-Ferrand.
En 2007, La Ligne de fuite, sur un scénario de Christophe Dabitch est sa première bande dessinée. Ils enchainent sur les deux tomes de Mauvais garçons. En 2012, Kililana Song, est son premier récit en tant qu’auteur complet. Il obtient le Prix Ouest-France/Quai des bulles 2012. Le tome 2 de Kililana Song obtient également le Prix Lucioles BD 2013, Grand Prix RTL BD 2013, Prix Marine-Océans 2013.
Le blog de l’auteur : http://b-flao.blogspot.com/
