L’homme poisson – De l’existence des sirènes, de David Wahl – Éditions Premier parallèle, 13 novembre 2025 – 80 pages
Pourquoi sommes-nous irrésistiblement fascinés par l’eau ? Melville, au tout début de Moby Dick, s’interroge sur ce qui peut bien attirer comme un aimant tous les êtres humains sur les rives aquatiques. Voilà un mystère propre à donner à David Wahl l’envie d’une plongée poétique.
Avec L’Homme-Poisson, David Wahl nous propose une exploration audacieuse : la tentative de renouer avec notre « poisson intérieur », ce que nous portons d’aquatique dans nos origines, nos corps et nos mythes. Le sous-titre — « ou de l’existence des sirènes » — annonce la couleur : une méditation hybride, mêlant science, poésie, mythe et corps.
La thèse centrale du livre peut se résumer ainsi : bien que nous ayons quitté le milieu aquatique pour la terre ferme, nous restons, de multiples manières, liés à l’eau — dans notre biologie, dans notre psyché, dans nos rêves et nos récits. Wahl interroge cette « parenté secrète » entre l’humain et le poisson (ou l’être aquatique) : « Serions-nous encore un peu poisson ? »
Le dispositif du livre (et de la création scénique qui l’accompagne) mêle différents registres : le scientifique (référence à l’évolution, à notre origine aquatique) ; le poétique / mythique (métamorphose, sirènes, mythe de l’eau) ; et le corporel et performatif (le corps-poisson se dessine dans l’imaginaire de Wahl).
Ainsi l’écriture ne se contente pas d’un exposé rationnel, mais invite à ressentir, à imaginer, à être plongé (« plongée en eau profonde ») dans un univers symbolique.
Enfant, David Wahl rêvait de devenir amphibie. Il guettait la métamorphose, cherchait un moyen de transformer ses jambes en queue de poisson. Troquer la marche pesante pour la nage légère, n’est-ce pas un fantasme propre à l’humain ? Mêlant ses songes aux dernières découvertes scientifiques, il remonte à nos origines aquatiques, révèle ce qu’il reste de cette histoire dans nos corps et s’interroge sur notre devenir. Serions-nous plus sirènes qu’on ne l’imagine ? David Wahl, en véritable conteur, raconte l’océan en nous.
Structure et contenus marquants
Sans détailler chapitre par chapitre (le livre ne semble pas structuré comme un essai académique classique), on repère plusieurs axes de réflexion :
- Origine aquatique de l’humanité et corporelle : Wahl rappelle que nos aïeux ont émergé du milieu aquatique, mais aussi que nos corps portent encore cette mémoire – amnios, liquide, eau corporelle.
- Mythe de la sirène / métamorphose : la figure de l’être mi-humain mi-poisson/sirène accompagne la réflexion ; elle figure ce que nous avons perdu ou ce que nous avons à redécouvrir.
- Le rapport à l’eau, à l’océan, à la nature : Wahl pose que notre fascination pour l’eau est signe d’un lien profond, pas seulement accidentel. Il cite notamment l’idée selon laquelle « prenez l’individu le plus distrait… il vous conduira infailliblement vers l’eau ».
- Art / corps / esthétique : Le livre s’inscrit dans une démarche artistique ; Wahl est aussi dramaturge, et ce texte prolonge un spectacle/performance. L’écriture est donc tendue vers l’image, le corps, la sensation – plus qu’une pure réflexion abstraite.
Plusieurs éléments méritent d’être soulignés comme autant de réussites de ce livre :
- Originalité du propos : Peu d’ouvrages mêlent ainsi mythe, corps et science autour de l’eau et de l’origine aquatique de l’humain. Wahl trace un chemin singulier, entre écriture essayistique et lyrisme.
- Interdisciplinarité : Le mélange des registres — biologie, géologie évolutive, histoire des mythes, poésie — donne au texte une richesse qui dépasse la simple vulgarisation.
- Dimension sensorielle / poétique : L’auteur ne se contente pas d’expliquer, il cherche à faire « sentir », à plonger le lecteur dans une expérience. Le style, les images, la métaphore jouent pleinement.
- Réflexion écologique implicite : Sans en faire le sujet principal, Wahl suggère que notre lien à l’eau, à la mer, à l’océan ne concerne pas seulement le passé, mais notre présent et futur – ce que nous avons à préserver, à comprendre.
Pertinence pour notre époque
Le livre arrive dans un contexte où l’écologie, la perte de biodiversité, la crise climatique font que repenser notre lien à l’eau, à la nature, n’est pas seulement symbolique, mais urgent. Dans ce cadre, la métaphore du poisson intérieur, de l’origine aquatique, peut être un puissant levier pour questionner notre place et notre responsabilité.
De plus, le fait que Wahl soit à la fois écrivain, artiste, performeur, rend ce livre pertinent pour un lectorat contemporain qui recherche des formes hybrides — entre essai, témoignage, manifeste.
L’Homme-Poisson est une proposition forte : renouer avec nos origines aquatiques, interroger notre corps, nos mythes, notre rapport à l’eau et à la terre. Il mêle avec élégance science, poésie, corps et esthétique. Pour le lecteur averti, prêt à s’aventurer hors des sentiers battus, c’est une plongée fascinante. Pour un public plus traditionnel, il demandera peut-être un peu de laisser-aller et d’ouverture.
En tout cas, dans le panorama des réflexions contemporaines sur l’écologie, le corps et la nature, ce livre mérite d’être lu — non seulement comme un essai, mais comme une expérience littéraire et sensorielle.
« Serions-nous encore un peu poisson ? » — Cette question, simple en apparence, ouvre la porte à une odyssée intérieure et extérieure, et invite à repenser qui nous sommes, d’où nous venons, et peut-être vers quoi nous allons.
Né en 1978, écrivain, dramaturge et interprète, David Wahl s’emploie à tisser des liens entre différents domaines souvent séparés : théâtre et science, recherches savantes et récits populaires, savoirs et curiosités. Il est l’auteur de plusieurs causeries, dont Le Sale discours et Le Sexe des pierres, parus aux éditions Premier Parallèle. Traité de la boule de cristal, La Visite curieuse et secrète et Histoire spirituelle de la danse ont paru aux éditions Archimbaud-Riveneuve.
David Wahl est auteur associé à Océanopolis.






