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ONU de l’environnement : quand la politique piétine la science et trahit la planète

Nairobi 2025

À Nairobi, l’ONU de l’environnement a reculé là où elle devait avancer. Science contestée, société civile marginalisée, ambitions sabordées : l’UNEA-7 révèle un multilatéralisme environnemental en panne, alors que la planète brûle et que l’urgence n’autorise plus ni compromis mous ni renoncements politiques. La septième session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement n’a pas seulement manqué une occasion historique : elle a exposé une dérive inquiétante. En reculant sur la science, et en vidant les décisions de leur ambition, l’UNEA-7 a donné le spectacle d’un multilatéralisme environnemental affaibli, incapable de répondre à l’urgence climatique, à l’effondrement de la biodiversité et à la pollution. Un signal d’alarme brutal, alors que la planète, elle, n’attend plus.

Réunie à Nairobi du 8 au 12 décembre 2025, la septième session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA-7) devait réaffirmer le rôle central de la science et de la coopération internationale face à la triple crise planétaire. Elle s’achève pourtant sur des signaux jugés alarmants : recul de la prise de décision fondée sur les preuves, affaiblissement de la participation de la société civile et perte d’ambition dans la gouvernance environnementale mondiale.

Une instance clé de la gouvernance environnementale mondiale

Créée en 2012, l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (ANUE) est la plus haute instance décisionnelle mondiale en matière d’environnement. Réunie tous les deux ans au siège du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) à Nairobi, elle a adopté à ce jour plus de 100 résolutions couvrant des enjeux majeurs : biodiversité, pollution plastique, déchets marins, solutions fondées sur la nature, changement climatique, produits chimiques et déchets ou encore commerce illégal d’espèces sauvages.

La septième session de l’UNEA (UNEA-7), organisée sous le thème « Promouvoir des solutions durables pour une planète résiliente » et présidée par le président de l’Autorité environnementale d’Oman, faisait suite à deux semaines de négociations techniques menées dans le cadre du Comité des représentants permanents à composition non limitée (OECPR-7).
Dix-neuf projets de résolutions et de décisions ont été soumis par les États membres. L’ONG OceanCare, accréditée auprès du PNUE depuis 2015, a concentré ses efforts sur les textes relatifs au lien entre nature, océan et climat, ainsi qu’aux questions de gouvernance et de droit.

Une session marquée par des inquiétudes profondes

À l’issue des négociations, le constat est préoccupant. La session s’achève « dans un contexte d’inquiétude croissante concernant l’érosion de la prise de décision fondée sur la science, le rétrécissement de l’espace civique et le déclin des ambitions dans la gouvernance environnementale mondiale ». Selon OceanCare, ces dérives s’inscrivent dans une tendance plus large observée dans plusieurs enceintes internationales : priorités politiques nationales, intérêts économiques à court terme – notamment liés aux énergies fossiles – et blocages géopolitiques fragilisent la capacité collective à répondre à la triple crise planétaire. En effet, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Iran et quelques autres ont choisi de bloquer un texte clé de l’ONU, empêchant l’adoption du « Résumé à l’intention des décideurs » dès lors qu’il évoquait la sortie des énergies fossiles ou la réduction de la production de plastique. Cette synthèse onusienne d’une trentaine de pages, résumant le rapport phare de plus de 1000 pages édité tous les six ans environ, était pourtant centrale pour éclairer l’action publique. Rappelons que, fruit du travail de 287 scientifiques issus de 82 pays, le rapport Global Environment Outlook, publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement, dresse le diagnostic le plus exhaustif jamais réalisé sur l’état de la planète, tout en évaluant l’efficacité des politiques actuelles et les actions indispensables pour tenir les objectifs environnementaux.

L’indépendance scientifique, socle des politiques environnementales, a donc été particulièrement mise à mal. Les données scientifiques ont été « politicisées, marginalisées ou diluées », compromettant le rôle même de l’UNEA comme instance fondée sur la science.

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Le cas emblématique des grands fonds marins

La résolution portée par le Vanuatu sur la compréhension scientifique des écosystèmes des grands fonds marins illustre ces tensions. Centrée sur la production de connaissances et le principe de précaution, elle a rencontré une opposition concertée, officiellement justifiée par des arguments de chevauchement de compétences.
Face à l’impossibilité de parvenir à un consensus, le Vanuatu a finalement retiré sa résolution, tout en annonçant le lancement d’une initiative scientifique indépendante intégrant les savoirs traditionnels et autochtones. Cette démarche a été saluée par plusieurs gouvernements, dont l’Union européenne, la Norvège, l’Australie, la Suisse, Tuvalu, l’Uruguay et les Fidji.

Revenant sur cet épisode, Fabienne McLellan, directrice générale d’OceanCare, déclare :  « Sur de nombreux points à l’ordre du jour, les conclusions scientifiques ont été remises en question, non pas pour leur valeur intrinsèque, mais pour des raisons politiques, notamment lorsque la science pouvait s’opposer aux pratiques habituelles d’exploitation de la planète. Les efforts visant à fonder les décisions sur des données scientifiques indépendantes se sont heurtés à une forte résistance, signe d’un recul inquiétant de la gouvernance environnementale basée sur des preuves, ce qui constitue une erreur irrévocable. »

Elle ajoute à propos du retrait de la résolution : « Le refus du Vanuatu de répondre à l’appel d’une meilleure compréhension scientifique des écosystèmes des grands fonds marins envoie un mauvais signal. La précaution, la coopération et la science devraient unir les gouvernements, et non les diviser. »

Un signal positif venu de la Suisse

Dans ce contexte tendu, un signal jugé encourageant est venu de la déclaration plénière de clôture prononcée par la Suisse au nom de plus de 50 États membres. Celle-ci a réaffirmé le rôle irremplaçable de la science indépendante, protégée de toute ingérence politique, au cœur des décisions environnementales. « OceanCare salue l’initiative de la Suisse qui réaffirme le rôle central de la science indépendante », a déclaré McLellan. « Ce rappel illustre la riposte proactive dont nous avons un besoin urgent face à la politisation de la science. […] Il est impératif de protéger les processus scientifiques, de renforcer les interactions entre science et politique et de veiller à ce que les négociations futures s’appuient solidement sur les meilleures données probantes disponibles. »

Une participation de la société civile de plus en plus restreinte

Autre sujet majeur de préoccupation : la réduction de l’espace accordé à la société civile, aux peuples autochtones et aux parties prenantes. L’accès aux documents de négociation a souvent été restreint, tandis que des discussions clés se sont déroulées dans des formats informels et fermés.

« La participation de la société civile, des détenteurs de droits et des parties prenantes a été systématiquement marginalisée », souligne McLellan. « L’accès restreint aux documents et aux réunions informelles n’est pas un problème technique ou pratique, mais un problème démocratique. La gouvernance environnementale ne peut réussir à huis clos. »

Un multilatéralisme environnemental fragilisé

Pris ensemble, ces éléments traduisent une érosion plus large du multilatéralisme environnemental, où les manœuvres procédurales et les intérêts politiques prennent le pas sur l’intégrité scientifique et la responsabilité collective.

« Ce que nous avons vu à Nairobi ne doit pas devenir la norme », conclut Fabienne McLellan. « Saper les ambitions, affaiblir la gouvernance et marginaliser la science et la participation ne feront qu’aggraver les crises environnementales que nous sommes censés résoudre. L’UNEA doit être un lieu où les données probantes, l’équité et la coopération prévalent, et non un lieu où elles sont sacrifiées au profit de la négociation. »

À l’issue de l’UNEA-7, les gouvernements se retrouvent face à un choix clair : poursuivre une trajectoire de moindre ambition ou réaffirmer un multilatéralisme environnemental fondé sur la science, inclusif et coopératif. De cette décision dépend la crédibilité future de l’Assemblée… et l’efficacité de la gouvernance environnementale mondiale.

Ce que révèle la crise de l’UNEA-7

Ce que nous dit le recul de la science, de la participation citoyenne et de l’ambition multilatérale
La crise observée lors de l’UNEA-7 n’est pas un accident de parcours. Elle agit comme un symptôme d’une fragilisation plus profonde de la gouvernance environnementale mondiale. D’abord, le recul de la prise de décision fondée sur les preuves scientifiques révèle une remise en cause inquiétante du rôle même de la science dans l’action publique internationale. Lorsque les données sont contestées non pour leur qualité, mais pour leur incompatibilité avec certains intérêts économiques ou agendas politiques, la science cesse d’être un socle commun pour devenir un terrain de confrontation. Ce glissement affaiblit la capacité collective à anticiper, prévenir et gérer des crises environnementales complexes et interconnectées.

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Ensuite, l’affaiblissement de la participation de la société civile traduit un rétrécissement démocratique dans les enceintes multilatérales. ONG, peuples autochtones, scientifiques et détenteurs de droits ne sont pas de simples observateurs : ils apportent des connaissances, des alertes précoces et des réalités de terrain indispensables à des décisions éclairées. Les marginaliser revient à appauvrir la qualité des décisions et à éloigner la gouvernance environnementale de celles et ceux qui subissent directement les impacts des dégradations écologiques.

Enfin, la perte d’ambition observée dans les résolutions et décisions adoptées révèle une difficulté croissante des États à assumer des engagements collectifs à la hauteur de la triple crise planétaire. Les tactiques de retardement, d’édulcoration des textes ou de blocage systématique traduisent une forme de renoncement politique, où le consensus minimal l’emporte sur l’urgence scientifique.

Pris ensemble, ces éléments interrogent la capacité actuelle du multilatéralisme environnemental à remplir sa mission première : protéger les biens communs mondiaux sur la base de connaissances solides, de la coopération et de l’équité.

Ce que cela signifie concrètement pour l’action environnementale mondiale
Concrètement, cette crise a des conséquences directes et mesurables. Elle signifie d’abord que des décisions clés sont retardées ou affaiblies, alors même que les fenêtres d’action se referment. Dans le cas des grands fonds marins, par exemple, le blocage d’une résolution dédiée à la connaissance scientifique retarde la compréhension d’écosystèmes encore largement inconnus, au moment même où les pressions industrielles s’intensifient.

Elle signifie ensuite que les politiques environnementales risquent d’être moins efficaces, car déconnectées des meilleures données scientifiques disponibles. Sans science indépendante au cœur des décisions, les mesures adoptées deviennent plus vulnérables aux intérêts à court terme et moins aptes à prévenir des dommages irréversibles.

Cela signifie également une perte de confiance. Pour les citoyens, les scientifiques et les acteurs de terrain, voir les processus multilatéraux se fermer et s’éloigner de la transparence alimente le scepticisme à l’égard des institutions internationales. Or, sans confiance, la mise en œuvre des décisions – déjà fragile – devient encore plus difficile.

Enfin, cette situation renforce les inégalités de pouvoir. Les pays et les acteurs disposant de ressources politiques et économiques importantes conservent leur capacité d’influence, tandis que les petits États, les communautés vulnérables et les générations futures voient leurs intérêts relégués au second plan.

Une alerte, mais aussi un point de bascule
L’UNEA-7 envoie donc un message clair : le multilatéralisme environnemental est à un point de bascule. Soit les États membres choisissent de réaffirmer le rôle central de la science, de la participation et de la coopération, soit l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement risque de perdre progressivement sa crédibilité et son efficacité.
Les prises de position courageuses observées à Nairobi montrent cependant qu’une autre trajectoire reste possible. À condition que les signaux d’alerte envoyés lors de cette septième session soient pris au sérieux — non comme une critique, mais comme une opportunité de réforme et de renforcement de la gouvernance environnementale mondiale.

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