« La Méditerranée, une mer de plus en plus polluée, avec des zones de concentrations qui dépassent les 2 millions de fragments de plastiques par km²« . C’est ce que confirme Expédition MED, dans le cadre de la campagne VigiePlastic 2024, menée l’été dernier le long des côtes corses et italiennes à bord du voilier laboratoire « Le Bonita ». Les concentrations retrouvées au cours de cette expédition dépassent toutes celles jusqu’alors décrites dans la littérature.
Durant sa campagne 2024, Expédition MED (1) a embarqué des scientifiques et des citoyens pour étudier et partager des données sur la pollution plastique en Méditerranée. La campagne scientifique a permis de développer des outils de mesures pour une meilleure connaissance de la pollution plastique en Méditerranée en collaboration avec des laboratoires de recherche et des citoyens des rives Nord et Sud, de France.
A l’aide de protocoles scientifiques et participatifs, l’objectif sera de proposer des indicateurs communs de la présence des déchets plastiques en mer afin de mesurer cette pollution et l’efficacité des solutions qui pourront être mises en place.
“Les résultats de notre dernière campagne de prélèvement mettent en lumière la gravité de la situation en Méditerranée. Ces chiffres alarmants démontrent que la zone de concentration de plastique au large du Cap Corse persiste et s’intensifie, malgré les efforts pour réduire la pollution marine. Ces chiffres sont également des indicateurs clairs de la fragilité de notre écosystème marin, et montrent, s’il en était besoin, la nécessité de renforcer la collaboration scientifique et citoyenne avec toutes les rives de la Méditerranée dans une vision régionale commune. C’est uniquement l’efficacité d’une mobilisation collective avec l’ensemble des pays riverains qui permettra d’enrayer cette pollution dévastatrice qui menace la biodiversité unique de la Méditerranée”. explique Bruno Dumontet, Fondateur et Chef d’Expédition MED.
Microplastiques : une situation qui s’aggrave
Les prélèvements réalisés cette année en mer Ligurienne et le long du Cap Corse, montrent que la densité moyenne des déchets plastiques a été multipliée par 5 passant à 156.327 particules par km2. Ces concentrations s’avèrent être 10 fois supérieures à celles observées en 2018 par le WWF.
Le principal fait marquant de l’expédition 2024 a été l’échantillonnage de la zone d’accumulation entre le cap corse et l’île toscane de Capraia, révélant des concentrations atteignant jusqu’à 2 millions de fragments de plastique par km², soit quatre fois les niveaux observés dans le Pacifique Nord.
Cette zone d’accumulation a été observée pour la première fois en 2017, lors d’une étude publiée dans la revue Nature / Scientific Reports (3) et menée par l’Institut des sciences marines du Conseil National de Recherches du Lerici (Ismar-CNR), et les Universités d’Ancône, du Salento et l’Algalita Fondation en Californie. Elle est due à des gyres temporaires qui se forment sous l’effet de courants piégeurs qui capturent et rassemblent les déchets, créant ainsi des « soupes de plastique » dévastatrices pour l’écosystème marin.
De nouveau observée en 2019 par le WWF Italie, cette zone de concentration de plastique renfermait déjà à l’époque des concentrations estimées à « 1,25 million » de fragments de plastique par km², soit environ 4 fois supérieure à celles découvertes dans l’océan Pacifique Nord, le plus concentré des 5 gyres présents dans les océans du globe. Même la réserve naturelle de Scandola n’est pas épargnée : les concentrations de microplastiques atteignent les 171.990 fragments par km².
Cette zone d’accumulation a été longuement étudiée et dans un article paru en mai 2019 sur France Bleu RCFM, le Dr. François Galgani, responsable de l’Ifremer à Bastia à l’époque, expliquait que ce gyre (i.e. tourbillon) se formait par la disposition des courants. L’eau remonte le long de la côte italienne et lorsqu’elle arrive sur le socle de l’île d’Elbe, ce courant ne peut passer et s’engouffre alors dans le canal de Corse, entraînant avec lui tous les déchets plastiques charriés sur son itinéraire. Le chercheur définissait la taille de cette zone a quelques dizaines de kilomètres, mais précisait la différence des gyres de plastique dans le Pacifique ou dans l’Atlantique, qui sont des courants permanents provoquant toujours aux mêmes endroits des accumulations. En Méditerranée, ce sont des zones d’accumulations temporaires, de l’ordre
de quelques jours ou de quelques semaines et au maximum de deux à trois mois, mais jamais permanentes.
«La campagne 2024 a été marquée par la découverte et l’étude de larges zones d’accumulation de déchets plastiques en mer Méditerranée. Suivre l’évolution de ces zones dans le temps est essentiel pour prévenir et rendre compte de l’impact humain sur l’environnement marin. C’est avec amertume que nous avons battu tous les records de plastique collectés par l’association à ce jour.» précise Nicolas Gosset, Doctorant en dispersion du zooplancton.
Une concentration de plastiques autour du nord-est de la Corse
Durant la campagne 2024, ce sont 54 échantillons qui ont été collectés avec des concentrations en plastiques,[MOU1] variant de 500 plastiques/km² à plus de 2 Million de plastique/km². Pour obtenir ces résultats, 12 911 m3 d’eau de mer ont été échantillonnés et 1 000 miles nautique ont été parcourus (soit environ 1 850 km). 25 Eco-volontaires provenant de la société civile ont participé à cette campagne 2024.
Le principal fait marquant de l’expédition 2024 a été l’échantillonnage de la zone d’accumulation entre le cap corse et l’île toscane de Capraia. Suite au déploiement du filet manta sur les 54 stations échantillonnées, 3 d’entre elles ont présenté des concentrations extrêmement élevées de plastiques : Les stations 14, 36 et 41 (représentées en blanc Figure 1).
Ces prélèvements ont respectivement été observés, dénombrés et catégorisés selon leurs tailles, leurs couleurs, leur nature, 2 648, 3 287 et 2127 fragments supérieur à un millimètre par échantillon !
De nombreux déchets organiques (posidonies, algues diverses, bois flotté…) ainsi que des macrodéchets plastiques (de type films et fragments principalement) ont été
observé dans cette zone d’environ 1 à 2 mètres de large (Station 20 et Station 36).
Expédition MED reprendra la mer pour poursuivre ses recherches en 2025. Comme chaque année, l’organisation Expédition MED implique des scientifiques et éco-volontaires qui utilisent des filets Manta pour prélever des échantillons. Cette méthode permet ensuite d’analyser à bord la composition chimique des plastiques collectés, majoritairement constitués de polypropylène et polyéthylène, fréquemment utilisés dans les emballages et objets à usage unique. La campagne VigiePlastic 2024 témoigne de l’ampleur de cette pollution et de son impact transfrontalier, car les microplastiques circulent entre les pays riverains de la Méditerranée.
Après analyses de la fraction inférieure à 1 mm pour ces 3 échantillons, les concentrations atteignent :
N° 14 : 2.186 million de plastique par km²
N° 36 : 2.041 million de plastique par km²
N° 41 : 1.971 million de plastique par km²
À noter que la station 41 se situe à une dizaine de kilomètres au nord de Bastia, proche du sémaphore de Sagro, et semble éloigné de la zone d’accumulation décrite en 2019 (Galgani et al. 2019). Autre fait important à noter, deux semaines sépare le prélèvement de la station 14 des deux autres, étant donné qu’Expédition MED a souhaité retourner sur la zone pour effectuer de nouveaux prélèvements.
Les concentrations observées à la suite de ce prélèvement sont donc quasi 2 fois supérieures à celles observées en 2019 et celles présentes dans le Pacifique Nord, avec des concentrations de 1.125 MP par km² (Lebreton et al., 2018).
Rappelons que les déchets plastiques visibles en surface ne représentent que 1 % de l’ensemble du plastique échoué en mer (Cózar et al., 2014). Également, de très fortes concentrations avec plus 389 597 MP par km² (soit la 4e plus forte concentration observée lors de la campagne de cette année), ont pu être comptabilisées lors de
l’échantillonnage dans le Golfe de Napoule, devant l’embouchure de la rivière La Siagne de la commune de Mandelieu-la-Napoule (station 20).
Expédition MED a également trouvé de fortes concentrations dans la zone du Cap Corse entre les villages de Barcaggio (côte nord) et de Port de Centuri (côte ouest). Une concentration en plastique de taille supérieure à 1 mm équivalent à 156 328 MP par km² a pu être observée en face du village de Barcaggio (Station 13, Figure 1).
Une étude d’avril 2020 menée par la Station de Recherche Sous-marines et Océanographiques (STARESO) de Calvi, et l’Université de Liège, avait trouvé des concentrations bien inférieures à celles rencontrées avec une densité moyenne des déchets plastiques de 19 357 par km², et un maximum de 27 027 entre Bastia et Macinaggio, sur la côte Est du cap (Marengo et al., 2020).
Pour conclure, au vu des résultats trouvés, il semble que, à l’instar de ce qui avait été décrit par Francois Galgani en 2019, les fragments plastiques se regroupent essentiellement au Nord Est de la Corse, entre le cap corse, l’Ile de Capraia au nord et l’ile d’Elbe à l’Est.
Pour Ana Luzia Lacerda, Océanographe, PhD en pollution plastique marine « L’expédition MED joue un rôle crucial dans l’échantillonnage spatio-temporel des plastiques en Méditerranée, en utilisant une méthode scientifique bien établie et harmonisée avec celles appliquées dans d’autres régions du monde. De plus, la participation des écovolontaires, ainsi que les activités de sensibilisation menées dans les ports, sont d’une grande importance pour alerter la population sur le problème grave de la pollution plastique. Lors de la campagne de 2024, nous avons identifié des zones de grande accumulation de plastiques à l’intérieur du Sanctuaire Pelagos, une zone marine protégée. Cela renforce l’idée que la pollution plastique est transfrontalière et que des actions doivent être prises non seulement au niveau national, mais à l’échelle de tout le bassin méditerranéen. »
En chiffres la campagne d’Expédition MED 2024 c’est :
- 52 échantillons analysés
- 14 062 fragments supérieurs au millimètre triés, comptés et catégorisés
- 22 ecovolontaires ont participés à cette campagne 2024
- Plus de 1 000 miles nautic parcourus (soit environ 1 850 km)
- 12 911 m3 d’eau échantillonnés
Cette zone d’accumulation trouvée au cours de cette campagne fera l’objet d’une prochaine mission. En attendant, Expédition MED lance un appel à témoignage de tout usager de la mer, marins, pécheurs, plaisanciers, citoyens afin de récolter toutes informations et observations pour étudier au mieux cette pollution et cartographier ces zones d’accumulations.
Cette expédition et étude ont été réalisées en collaboration avec l’océanographe brésilienne Ana Luzia Lacerda et le scientifique Nicolas Gosset avec l’encadrement de Bruno Dumontet, fondateur d’Expédition MED.
Coopération en Méditerranée pour une harmonisation des protocoles d’analyse et de prélèvement
Lutter contre une pollution sans frontières
« Les initiatives de réduction des déchets mises en place par les pays de la rive nord n’auront que peu d’effets; si les pays de la rive sud ne sont pas associés à cette démarche ».
Expédition MED initie également des actions de formation avec les pays de la Rive Sud de la Méditerranée pour une réponse coordonnée à ce fléau qui ne connaît pas frontières. Un des objectifs de son programme « VigiePlastic Méditerranée » est l’harmonisation des méthodes de collecte et d’analyse des microplastiques. Pendant plusieurs jours, des scientifiques d’horizons variés, enseignants, chercheurs, doctorants et étudiants, issus de l’Algérie et de la Tunisie, ont eu l’opportunité de se former aux techniques de prélèvement et d’analyse des microplastiques en mer. Ce programme permet, à des scientifiques, enseignants, chercheurs et étudiants de différents pays de la rive sud de la Méditerranée de se former aux relevés et à l’analyse des microplastiques présents en mer.
Collaborer avec les scientifiques de la Rive Sud pour une vision globale
Le programme permet de se former à l’utilisation des filets Manta, nécessaires aux prélèvements et aux spectromètres Raman, disponibles à bord du voilier laboratoire Bonita, renforçant ainsi leur expertise pour des prélèvements futurs autonomes.
« Pour comparer nos données, nous avons besoin d’utiliser une même méthode de prélèvement. Grâce à l’association Expédition MED, j’ai pu me former à l’utilisation du filet Manta, appelé ainsi en raison de sa forme de raie manta. Mon séjour sur leur navire laboratoire m’a aussi permis de rencontrer mes confrères scientifiques d’autres pays riverains de la Méditerranée » explique Noureddine Zaaboub, maître de conférences et chercheur en bio-géochimie à l’Institut national des Sciences et Technologies de la Mer (INSTM) en Tunisie, récemment interviewé.
En travaillant ensemble, ces acteurs espèrent améliorer la collecte de données et favoriser une meilleure compréhension de cette pollution, en vue de l’adoption de solutions durables pour préserver cet écosystème fragile. La complémentarité des deux actions, la collecte de données et la formation régionale illustrent une approche multidimensionnelle du problème, en intégrant recherche scientifique, formation et sensibilisation. Ce double objectif permet d’accumuler des données précises pour mieux comprendre la pollution plastique, tout en renforçant la coopération transnationale pour des solutions durables en Méditerranée.
Vers des solutions durables
Ce partage de connaissances et d’expériences favorise non seulement l’amélioration de la collecte de données, mais aussi une meilleure compréhension de la pollution plastique. L’approche multidimensionnelle d’Expédition MED, réunissant collecte de données, formation et sensibilisation, illustre la nécessité de solutions durables pour préserver l’écosystème méditerranéen. Le programme « VigiePlastic Méditerranée » représente un pas vers une coopération renforcée entre les nations, une démarche cruciale pour la mise en œuvre de solutions durables. Les résultats de ces efforts, alliant recherche scientifique et action concrète, pourraient définir les bases d’un avenir maritime plus sain et durable pour la Méditerranée.
Face à cette pollution sans frontières, l’harmonisation des protocoles d’analyse et de prélèvement apparaît comme une nécessité impérieuse. Grâce ce type d’initiative, la collaboration scientifique se transforme en un levier puissant pour affronter un défi environnemental d’ampleur, tout en renforçant les liens entre les pays riverains.
(1) Pionnière en Méditerranée, Expédition MED a été la première organisation il y a 15 ans à alerter sur les dangers des microplastiques et impliquer les citoyens dans un programme de science participative. Fondée en 2009, l’association mène des programmes de recherche scientifique participatifs grâce à son laboratoire citoyen, ainsi que des campagnes de sensibilisation. Leurs efforts se concentrent sur la quantification des microparticules de plastique, l’évaluation des sources de pollution, et l’étude de leurs impacts sur les écosystèmes marins. Son programme de formation solidaire avec les scientifiques des pays de la Rive Sud a pour ambition d’harmoniser les méthodes d’évaluation et de standardiser les protocoles de recherche sur la pollution plastique en Méditerranée.
Avec ses expositions « Océans et mers plastifiés », l’association souhaite diffuser à grande échelle les connaissances sur les enjeux de la pollution par les déchets plastiques auprès des populations des pays riverains de la mer Méditerranée afin de motiver et renforcer leur adhésion à une meilleure gestion des déchets.
Expédition MED milite pour des solutions durables en mobilisant chercheurs, citoyens et décideurs autour de ces enjeux cruciaux.
L’association appelle également à la mobilisation des usagers de la mer pour documenter davantage ces zones de pollution et poursuivre ses recherches visant à réduire la pollution marine.
(2) Etude menée par la Station de Recherche Sous-marines et Océanographiques (STARESO) de Calvi, et l’Université de Liège – avril 2020
(3) Publication dans la Revue Nature / ScientificReports selon étude menée par l’Institut des sciences marines du Conseil national de recherches du Lerici (Ismar-Cnr), et les Universités d’Ancône, du Salento et l’Algalita Fondation en Californie – 2017.