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Rural Mania – Aménager les ruralités, entre transition écologique et justice sociale

Rural Mania – Aménager les ruralités, entre transition écologique et justice sociale – Ouvrage collectif sous la direction d’Hélène Reigner, proposé par les Éditions Autrement et le programme national de recherche-action POPSU Territoires, 26 novembre 2025 – 120 pages

L’ouvrage s’ouvre par une interrogation sur la pertinence du couple « France des villes / France des champs ». Cette tension est devenue un raccourci commode, intensément mobilisé dans le débat public, pour désigner les inégalités socio-spatiales. Pour qualifier les petites villes et les territoires ruraux, qui rassemblent plus d’un tiers de la population française, la notion de
« fracture territoriale » est devenue un prêt-à-penser aussi commode que médiatique. Dans quelle mesure cette grille de lecture nous sert-elle à saisir vraiment les enjeux contemporains des territoires ruraux, des petites villes et des espaces périurbains ? L’intérêt du livre est précisément de remettre en cause cette représentation binaire et statique. Les auteurs montrent que cette expression, en cherchant à tout expliquer, explique souvent mal : elle occulte la diversité des ruralités, masque les dynamiques locales et fige les habitants dans une posture de victimes des métropoles. 

Sont rassemblées dans cet ouvrage quatre contributions qui interrogent le prisme simpliste de la fracture territoriale pour appréhender les inégalités et penser une juste transition écologique, ainsi que quelques pistes d’intervention.

Un ouvrage collectif pour penser la complexité des ruralités
Le livre rassemble quatre contributions d’experts des politiques territoriales, de la sociologie rurale et de l’aménagement : 

  • Olivier Bouba-Olga est professeur des universités en aménagement de l’espace et urbanisme à la faculté de sciences économiques de l’université de Poitiers, rattaché au laboratoire de
    recherche Ruralités (EA 2252).
  • Renaud Epstein est professeur des universités (CYU) en sociologie à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.
  • Monique Poulot est membre de l’UMR Lavue (Laboratoire, architecture, ville, urbanisme, environnement), attachée à l’étude des relations villes-campagnes à l’heure des transitions, et
    membre de l’Académie d’agriculture de France.
  • Hélène Reigner est docteure en science politique et professeure des universités en aménagement de l’espace et urbanisme à Aix-Marseille Université (AMU).

Plutôt que de dresser un portrait uniforme de « la » ruralité, ces contributions s’intéressent aux enjeux propres aux petites villes, aux territoires ruraux plus éloignés, aux espaces périurbains, souvent oubliés et aux zones intermédiaires qui échappent aux catégories classiques.

Ce choix d’échelle fine permet d’échapper à la rhétorique du « grand oubli » des territoires ruraux, pour montrer qu’il existe des trajectoires territoriales multiples.

Déconstruction critique de la « fracture territoriale »
Les auteurs montrent que l’expression repose sur une vision simpliste car elle oppose deux blocs homogènes ; sur une vision politisée qui alimente des récits alarmistes sur l’abandon d’une « France périphérique » ; sur une statique car elle néglige les recompositions sociales et économiques en cours.
Le livre soutient que la « fracture territoriale » fonctionne comme un écran qui empêche de voir les véritables mécanismes d’inégalité, par exemple : l’accès différencié aux services publics selon les mobilités réelles ; la transformation des modèles économiques ruraux ; la dépendance à la voiture et les coûts de transport ; l’évolution des profils sociologiques avec l’arrivée de néo-ruraux ; les tensions foncières induites par les transitions écologiques (ZAN, sobriété foncière).

Ainsi, les ruralités ne sont pas seulement des espaces délaissés, mais aussi des espaces en mouvement, porteurs de potentiels, mais aussi de contradictions.

Les ruralités comme espaces stratégiques pour la transition écologique
C’est l’un des axes forts du livre : les territoires ruraux ne sont pas simplement « en retard » — ils sont au cœur des transitions contemporaines. À partir de l’idée que les ruralités constituent aujourd’hui des espaces stratégiques pour la transition écologique, l’ouvrage développe une analyse riche qui dépasse les visions classiques de retard ou de dépendance.
Les territoires ruraux apparaissent comme des lieux où s’inventent de nouveaux équilibres entre impératifs environnementaux et exigences sociales. Ils concentrent une grande partie des ressources – foncières, agricoles, énergétiques – nécessaires à la transition, tout en étant confrontés à des vulnérabilités structurelles.

L’un des premiers enjeux évoqués concerne la transition énergétique. Les campagnes sont devenues des terrains d’implantation privilégiés pour les énergies renouvelables, qu’il s’agisse de l’éolien, du photovoltaïque ou de la méthanisation. Cette dynamique génère toutefois des tensions : comment concilier les objectifs nationaux de production d’énergie verte avec l’acceptabilité locale, les inquiétudes paysagères ou les doutes quant à la répartition des bénéfices ? L’ouvrage insiste sur la nécessité de mieux associer les habitants et les élus aux processus de décision pour faire de ces projets non pas des contraintes imposées, mais de véritables leviers de développement.

L’agriculture occupe également une place centrale dans cette réflexion. Les ruralités sont au cœur des systèmes alimentaires et, à ce titre, particulièrement exposées aux transformations induites par la transition écologique : évolution des pratiques agricoles, gestion durable des sols, développement des circuits de proximité. Mais ces évolutions peuvent produire de nouvelles inégalités, notamment entre exploitations capables d’investir dans des pratiques plus vertueuses et celles déjà fragilisées. Le livre rappelle que la transition agricole ne peut être pensée indépendamment du soutien aux agriculteurs, ni des attentes croissantes des habitants vis-à-vis de la qualité alimentaire.

La question de la mobilité revient avec force. Dans les territoires peu denses, la dépendance à la voiture reste une réalité quotidienne, souvent coûteuse et difficilement contournable. La transition écologique suppose alors d’inventer des solutions adaptées : mobilités partagées, services plus flexibles, aménagements favorisant la proximité. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle urbain à des espaces qui n’en ont ni la densité ni les infrastructures, mais de reconnaître la spécificité des besoins et des usages ruraux.

Un autre enjeu majeur concerne le foncier et l’habitat. Le débat autour du Zéro Artificialisation Nette, les tensions sur le marché immobilier rural ou encore la rénovation thermique des logements dessinent un paysage complexe où l’objectif de sobriété se heurte parfois aux aspirations résidentielles ou aux contraintes économiques. Le livre montre combien la gestion du foncier devient un terrain d’arbitrage entre transition écologique et justice sociale, particulièrement dans les petites villes et les communes périurbaines où les demandes sont multiples et parfois contradictoires.

Au fil de ces analyses, l’idée directrice se renforce : la transition écologique ne peut être juste que si elle prend appui sur une compréhension fine des réalités rurales. Les ruralités ne sont pas seulement des espaces sur lesquels la transition s’applique, mais des terrains où elle se joue concrètement, avec ses possibilités et ses tensions. L’ouvrage invite à dépasser les approches descendantes pour renforcer les capacités d’action locales, repenser les services publics en fonction des besoins réels et associer davantage les populations aux décisions qui façonneront leur cadre de vie.
En faisant ainsi dialoguer enjeux environnementaux et justice sociale, Rural Mania propose une lecture renouvelée des campagnes françaises : non plus comme des marges en attente de solutions venues d’ailleurs, mais comme des acteurs essentiels de la transformation écologique du pays.

Vers une « juste transition » : pistes d’intervention
L’ouvrage prolonge son analyse en s’intéressant à la manière de rendre la transition écologique réellement juste pour les territoires ruraux. Il ne s’agit plus seulement de diagnostiquer des inégalités ou d’identifier des tensions, mais de réfléchir aux conditions d’une action publique capable de répondre aux spécificités de ces espaces. La notion de « juste transition » devient alors un fil conducteur : elle suppose de tenir ensemble l’urgence écologique et la nécessité de préserver, voire de renforcer, les droits sociaux et les capacités d’agir des habitants.

Pour cela, les auteurs insistent d’abord sur l’importance de reconnaître la diversité des ruralités. Les politiques uniformes, conçues pour des moyennes nationales, ignorent la variété des trajectoires locales, des dynamiques démographiques et des tissus économiques. Penser une transition juste implique au contraire de considérer chaque territoire pour ce qu’il est, avec ses ressources propres, ses fragilités et ses aspirations. Ce n’est qu’à cette condition que les réponses publiques pourront éviter de creuser les écarts ou de produire des effets paradoxaux.

La question de l’égalité est également revisitée. L’ouvrage rappelle qu’assurer l’égalité territoriale ne signifie pas appliquer partout les mêmes solutions, mais garantir à chacun une qualité de vie équivalente, en tenant compte des coûts spécifiques de la vie rurale : distances, accès aux services, contraintes de mobilité, dépenses énergétiques. La transition écologique ne sera socialement acceptable que si elle ne pèse pas davantage sur les ménages qui ont déjà le plus de difficultés à y prendre part.

Les auteurs soulignent ensuite le rôle décisif des collectivités locales. Dans beaucoup de territoires ruraux, les équipes municipales et intercommunales sont réduites, les moyens financiers limités et les capacités techniques parfois insuffisantes. Pourtant, ce sont ces acteurs de terrain qui doivent mettre en œuvre les politiques de transition. D’où la nécessité de renforcer leur accompagnement, de faciliter les coopérations et de développer des outils d’ingénierie adaptés.

La question des services publics est un autre point de vigilance. La transition écologique ne peut s’appuyer sur des territoires où les habitants se sentent déjà délaissés. L’ouvrage invite donc à réinventer des formes souples et hybrides de services – mobilité, santé, culture, accompagnement social – capables de répondre aux contraintes de la faible densité sans sacrifier l’accessibilité.

Enfin, une transition équitable ne peut se construire sans les habitants. Leur participation, longtemps considérée comme un supplément facultatif, devient un élément essentiel : elle permet d’éviter les blocages, de mieux saisir les besoins locaux, de créer du sens autour des projets et, plus largement, de redonner une place active aux populations dans la transformation de leur cadre de vie.

Cette réflexion sur la « juste transition » ne propose pas un catalogue de solutions clés en main, mais une manière de concevoir l’action publique : plus attentive aux réalités territoriales, plus soucieuse des équilibres sociaux, et davantage construite avec celles et ceux qui vivent dans ces espaces. C’est cette approche, patiente et profondément ancrée dans les contextes locaux, que le livre présente comme indispensable pour relever les défis écologiques à venir.

Une contribution importante au renouveau des politiques territoriales
L’ouvrage s’affirme ainsi comme une contribution significative au renouveau des politiques territoriales, en offrant une lecture plus nuancée et plus exigeante des dynamiques à l’œuvre dans les ruralités. Là où de nombreux discours publics tendent à simplifier les enjeux ou à reconduire des oppositions devenues stériles, Rural Mania propose une manière nouvelle de penser l’action territoriale, attentive aux contextes, aux acteurs et aux trajectoires locales.
Son originalité tient d’abord à la mise à distance des récits caricaturaux qui alimentent souvent le débat sur les campagnes françaises. Plutôt que de s’inscrire dans la logique de l’abandon, du ressentiment ou de la nostalgie, les auteurs montrent que les ruralités sont des espaces mouvants, traversés par des contradictions mais aussi porteurs d’initiatives, d’opportunités et de savoir-faire. En cessant d’en faire des territoires « à réparer », ils permettent de les envisager comme des partenaires essentiels de l’action publique.
Le livre se distingue également par son articulation entre analyse scientifique et propositions opérationnelles. Les diagnostics s’appuient sur des travaux précis, ancrés dans les sciences sociales et l’aménagement, mais ils débouchent aussi sur des réflexions concrètes pour les élus, les techniciens, les associations ou les institutions nationales. Cette capacité à relier théorie et pratique fait de l’ouvrage un outil utile, tant pour la compréhension que pour l’action.
Enfin, RURAL MANIA renouvelle les réflexions sur les politiques territoriales en soulignant la nécessité d’intégrer conjointement les dimensions écologique, sociale et spatiale. Les auteurs rappellent que la transition écologique ne peut être dissociée des questions d’inégalités, de représentations et de gouvernance. En ce sens, l’ouvrage appelle à des politiques plus fines, plus situées, davantage construites avec les territoires qu’à partir de normes générales.
Par cette combinaison d’analyse critique et de propositions ouvertes, le livre contribue à faire évoluer le regard porté sur les ruralités et à promouvoir une manière plus juste, plus ambitieuse et plus collaborative de penser l’action territoriale en France.

L’ouvrage apparaît comme une critique constructive du récit de la « fracture territoriale ». Plutôt que de nourrir une opposition binaire entre villes et campagnes, il montre comment comprendre la complexité des ruralités permet de construire une transition écologique qui ne sacrifie pas la justice sociale. C’est un livre qui contribue à renouveler le débat public et les pratiques d’aménagement, en rappelant que les ruralités ne sont pas un « reste » de territoire, mais une part essentielle de l’avenir écologique du pays.

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