Donald Trump, qui n’en manque décidément pas une, vient de signer, aux Etats-Unis, la fin de l’Internet libre. En décidant la suppression de la neutralité du web, il met fin à ce que l’on connaissait depuis l’origine d’internet : un traitement égal pour tous dans l’accès au réseau. C’est fini. Les fournisseurs d’accès pourront moduler le débit en fonction de leurs clients, de la nature des sites, des contenus et de celle des destinataires. Un web à deux trois ou quatre vitesses pour les américains. Est-ce possible en France ?
Jeudi 14 décembre est une date noire pour internet. La Commission fédérale des communications (FCC) dont le président républicain Ajit Pai, a été nommé par Donald Trump, a mis fin au principe de la neutralité du net. Cette décision annule une pratique qui existe depuis qu’internet existe et qui avait été, aux USA, formalisée dans une réglementation prise par Barack Obama en 2016. La neutralité du net consiste à traiter de la même manière les contenus passant dans les « tuyaux » d’internet. Désormais, la FCC autorise les fournisseurs d’accès à internet (FAI) à moduler la vitesse de débit internet à leur guise : les tenants de la neutralité craignent donc que ces opérateurs ne fassent payer plus cher pour un débit plus rapide, ou bloquent certains services leur faisant concurrence, comme la vidéo à la demande, la téléphonie par internet ou les moteurs de recherche. Comme le dit Mignon Cyburn, l’un des membres de la FCC qui a voté contre cette décision, cette mesure revient à « donner les clés d’internet à une poignée d’entreprises multimilliardaires ».
Avec cette mesure, les FAI « auront le droit de (…) favoriser le trafic d’entreprises qui ont les moyens de payer » et celui « de laisser toutes les autres sur une voie lente et cahoteuse », a insisté Jessica Rosenworcel, l’autre membre de la FCC (qui compte cinq membres) opposé à la décision.
Déjà, la résistance contre cette décision s’organise aux Etats-Unis. Le procureur général de New York, Eric Schneiderman, a annoncé son intention d’attaquer, avec d’autres États, la décision de la FCC, « coup dur porté aux consommateurs de (l’Etat) et à quiconque est attaché à un internet libre et ouvert ». Selon lui, « la FCC vient d’offrir leur cadeau de Noël en avance aux géants des télécoms ».
Le sénateur démocrate Ed Markey espère pour sa part qu’une action des parlementaires puisse annuler cette décision.
Du côté des entreprises technologiques, c’est silence gêné de la part des géants d’internet. Facebook, Google ou amazon sont peu expansifs sur le sujet. La numéro 2 de Facebook, Sheryl Sandberg, parle laconiquement de décision « dangereuse ». En revanche du côté des startups, c’est ouvertement la bronca. En effet pour les jeunes entreprises technologiques, qui n’ont pas les ressources de Google ou de Facebook, la nouvelle directive est « une barrière à l’innovation et à la concurrence », estime à l’AFP Ferras Vinh, du Centre pour la démocratie et la technologie, qui défend la neutralité. « C’est un combat pour que la prochaine génération de jeunes pousses ait un espace pour innover et diffuser de nouvelles idées ».
C’est pourtant sur le terrain de l’innovation qu’a été promulguée cette mesure. En effet le lobbying intense des FAI argue, depuis une dizaine d’années, que la neutralité du net freine l’innovation. Ils considèrent que cette règle les assimile à des services publics et empêchent les investissements dans de nouveaux services comme les vidéo-conférences, la télémédecine et les véhicules connectés qui ont besoin du haut débit. Les gros FAI américains avaient d’autant plus d’intérêt à voir la fin de la neutralité du net qu’ils sont eux-mêmes créateurs de contenus et donc en concurrence avec des entreprises technologiques comme Netflix, Amazon ou Apple : ComCast possède par exemple NBCUniversal (chaînes télé et studios). AT&T cherche de son côté à racheter le groupe Time Warner (qui possède des studios mais aussi des chaînes comme CNN ou HBO). En France, le patron d’Orange, Stéphane Richard plaide depuis longtemps pour la fin de la neutralité. Il a assuré, mardi 12 décembre, que la fin de la neutralité du Net en Europe « est une obligation ». Il ne s’agirait pas, d’après lui, d’avoir un internet à deux vitesses – pour les pauvres et pour les riches – mais plutôt de préparer les réseaux à la grande ère de l’Internet des objets. Les constructeurs de voitures autonomes, par exemple, auraient ainsi besoin d’un réseau plus rapide et plus solide que l’amateur de séries américaines sur Netflix.
Pour Stéphane Richard, la neutralité du Net empêcherait les opérateurs européens de développer une offre spécifique alors que plus rien ne bride l’imagination commerciale de leur concurrent américain.
Que dit-on de cette mesure dans les instances politiques européennes, Pour l’instant, la Commission européenne protège la neutralité du net garantie par la directive sur le “marché unique numérique”, instauré par Bruxelles en avril 2016. Elle empêche, par exemple, Orange ou Deutsche Telekom d’obliger leurs abonnés à payer un supplément pour visiter tel ou tel site. Ce principe leur interdit aussi d’accorder un traitement de faveur à un fournisseur de contenu – tel que Netflix -, prêt à payer plus pour avoir davantage de bande passante.
En France, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) s’assure que les différents acteurs du numérique respectent ces règles européennes. Son patron, Sébastien Soriano, a soutenu au Monde que « la neutralité du Net a permis de mettre un terme définitif à toutes les pratiques de blocage et de bridage techniques. Les opérateurs qui empêchaient d’utiliser Skype, qui bloquaient la fonction modem des téléphones… Tout ça a été balayé par les règles européennes ».
Si l’Europe en général et la France en particulier assurent ne pas être concernés par la décision de Trump, il faut néanmoins s’attendre à ce que les opérateurs européens mènent une féroce bataille de lobbying en mettant en avant l’enjeu de leur compétitivité face aux concurrents américains. Il est vrai que devant cette nouvelle donne, et dans un contexte de compétition mondiale, les opérateurs européens seront singulièrement désavantagés. Jusqu’à présent, le gouvernement français ne s’est pas exprimé sur le sujet. Quelle sera sa position ? Comment défendre les principes de neutralité du net alors que tout le monde sait que les services internet ne sont pas confinés aux frontières des États et peuvent difficilement être régulés par une mosaïque de réglementations nationales et locales ?
Internet, tel que nous l’avons toujours connu, survivra-t-il à cette tempête ?
avec AFP
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