Ukraine, la poésie en guerre. Anthologie dirigée par Volodymyr Tymchuk – Éditions Abstractions, 26 novembre 2025 – 250 pages
« Dans une guerre, que symbolise la poésie ? » À cette question, cette anthologie répond avec puissance : cent auteurs, cent poèmes, cent premiers jours de résistance. Dirigé par le poète, écrivain et lieutenant-colonel Volodymyr Tymchuk, ce livre est à la fois un cri, une prière et un témoignage collectif.
Né dans l’urgence, cette œuvre réunit des voix venues du front, d’abris anti-bombes, de centres de réfugiés. Écrivains professionnels, civils mobilisés, soldats poètes ou anonymes pris dans le chaos : ils ont écrit durant les cent premiers jours de l’invasion russe pour dire l’indicible, affirmer leur dignité et porter la mémoire d’un peuple qui refuse de se taire.
Une anthologie née du feu
L’entreprise éditoriale dirigée par Volodymyr Tymchuk n’a rien d’une compilation sereine d’œuvres littéraires : elle est un acte de survie culturelle. Les poèmes ont été écrits au cœur d’un chaos total, souvent sur des téléphones, entre deux alertes aériennes, ou dans la boue des tranchées. Cette immédiateté confère à l’ensemble une tension brute, presque vibrante, qui rapproche le lecteur de l’expérience du conflit sans jamais tomber dans le spectaculaire.
Dans cette anthologie, la poésie n’est pas une échappatoire : elle est une arme. Une arme fragile, certes, mais plus que jamais nécessaire. Elle dit ce que les dépêches d’agence ignorent : le tremblement d’un corps, l’odeur du béton fracassé, la solitude d’un soldat, la mémoire d’un village effacé de la carte.
La polyphonie comme acte de résistance
Ce qui frappe d’abord, c’est la multiplicité des voix. Loin d’une vision homogène de la nation en guerre, le livre fait entendre une Ukraine complexe, traversée de nuances, de dialectes, de blessures intimes. La structure — cent poètes pour cent jours — impose un rythme, une progression presque documentaire : on lit la sidération, puis la colère, la lassitude, enfin une forme de détermination qui s’ancre dans le quotidien.
Chaque poème est une unité de survie, mais l’ensemble compose un récit collectif. Le livre dit comment une société entière, de l’écrivain aguerri au paysan déraciné, du jeune étudiant aux mères en fuite, participe à la construction d’une mémoire commune. Cette polyphonie fait de l’anthologie un lieu où se reconstitue symboliquement un territoire déchiré.
Esthétique de l’urgence
Sur le plan stylistique, l’anthologie surprend par son mélange d’écritures très maîtrisées et de textes d’une simplicité presque nue. L’urgence dicte parfois la forme : phrases brisées, images fulgurantes, notations quotidiennes. La poésie devient une sorte de journal extérieur à soi, un moyen de fixer une trace quand tout se dérobe.
Volodymyr Tymchuk, en tant que poète-soldat, incarne lui-même ce croisement entre la littérature et le réel le plus brutal. Son rôle de directeur de l’ouvrage lui permet de donner une cohérence à cet ensemble hétérogène, tout en respectant la singularité de chaque voix.
Une œuvre qui documente l’indicible
Au-delà de sa portée littéraire, Ukraine, la poésie en guerre est un document historique. Loin des analyses géopolitiques, il capture les affects d’un peuple confronté à l’effacement programmé de sa culture. Le livre montre comment la poésie, loin d’être un luxe hors du réel, devient un acte de sauvegarde. Elle permet de dire la peur, mais aussi l’obstination, l’humour noir, l’amour têtu qui subsiste malgré tout.
Cette archive sensible ne cherche pas à expliquer la guerre ; elle la ressaisit de l’intérieur, dans ce qu’elle a de plus intime. Et c’est peut-être là que réside sa force : la poésie ici ne commente pas la réalité, elle la traverse.
Pourquoi cette anthologie est nécessaire
Dans un monde saturé d’images et de récits stratégiques, ce livre rappelle que la guerre est d’abord une expérience humaine. Ces cent poèmes permettent de comprendre ce que signifie résister quand les mots eux-mêmes semblent menacés.
L’anthologie fait acte de mémoire, mais aussi de confiance en l’avenir : chaque poème est la preuve que, même sous les bombes, une voix persiste. Et tant que cette voix existe, la destruction n’est jamais totale.
Ukraine, la poésie en guerre est moins un ouvrage à lire qu’une expérience à traverser. Une confrontation à la fragilité humaine, une ode à la dignité, et l’un des témoignages littéraires les plus importants nés du conflit.





