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Voyage interrompu – Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux

Voyage interrompu – Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux, de Anthony Viaux – Éditions de l’aube, 3 octobre 2025 – 216 pages

Dans Voyage interrompu, Anthony Viaux, qui a exercé le métier de pilote de ligne pendant plus de vingt ans, partage ses réflexions intimes et professionnelles à la lumière de sa prise de conscience écologique. Le livre s’ouvre sur le dilemme central : comment continuer à réaliser son idéal de jeunesse, voler, quand on sait l’impact environnemental d’un seul vol ? L’auteur interroge la place de l’aviation dans nos vies : moteur de progrès et de rêve, mais aussi symbole d’un modèle de consommation insoutenable à ce jour. 
C’est un récit hybride, à la fois autobiographique, réflexif et critique du secteur aérien dans sa relation aux crises environnementales qui nous est offert par les éditions de l’aube. Il met en lumière les absurdités d’un système mondialisé et questionne notre rapport au voyage, au confort et à la responsabilité individuelle.

L’ouvrage se présente comme un “dernier vol” symbolique, en l’occurrence un trajet Paris → Santorin, que l’auteur utilise comme fil narratif pour relier ses souvenirs, ses doutes et les enjeux plus larges de l’aviation. Ce n’est pas un manifeste technique ni un traité scientifique, mais une démarche de réconciliation intérieure, un témoignage d’un professionnel face à sa propre “écoanxiété”.

Le livre ne suit pas exactement une chronologie linéaire, mais tisse plusieurs temporalités : l’avant-vol fictif / récit de vol : l’auteur embarque le lecteur dans un vol conceptuel, décrivant les gestes, sensations et réflexions au fil de l’altitude, des nuages, des instruments. Ensuite, il décrit des retours sur le passé professionnel : Viaux évoque des moments forts de sa carrière — vols de nuit, longues traversées, pressions opérationnelles, moments d’émerveillement — mais aussi des dissonances éthiques à l’œuvre dans le “métier-machine”. Enfin, il expose des réflexions personnelles et philosophiques : il aborde sa propre écoanxiété, ses conflits intérieurs, les biais psychologiques du déni, le rôle de l’égo, la responsabilité individuelle. La conclusion est inévitable : le constat selon lequel il devient impossible de continuer dans cette voie sans trahir ses convictions environnementales. Le métier qu’il aimait devient insupportable à porter.

Cette alternance de récit de vol, d’instantanés professionnels et de méditations intérieures donne au livre un rythme parfois introspectif, parfois « cinétique », à savoir un paradoxe moral du pilote éco-conscient. Au centre du livre règne une tension morale : Viaux est à la fois artisan du voyage aérien et observateur conscient de ses externalités environnementales. Comment concilier les deux ? Ce dilemme structure la narration et nourrit l’émotion du propos.

Le livre dévoile une conscience écologique comme déclencheur de rupture. Le livre décrit un processus — progressif, mais imparable — de conscientisation : d’abord de petites dissonances (lecture d’études, observations de modes de vie), puis des remises en question croissantes. Ces fissures personnelles conduisent à un choix radical : quitter le métier plutôt que de le faire “à moitié”. Plutôt que d’aligner des chiffres et des modélisations, Viaux choisit le récit — raconter un vol, ressentir la poussée, la lumière, le silence — pour faire ressentir l’enjeu, pour que le lecteur “entre dans le cockpit avec lui” et mesure l’ampleur du désarroi.

Il s’agit aussi d’une critique du modèle aérien et illusions technologiques : Viaux pointe les promesses souvent répandues autour des carburants durables (SAF), des gains d’efficacité ou de l’“innovation” comme panacée, tout en appelant à une dose nécessaire de sobriété d’usage. Il questionne aussi l’illusion du progrès infini dans un système dépendant des ressources fossiles.

La dimension psychologique et humaine est abordée. L’auteur ne dissimule pas sa fragilité, ses doutes — il traite de l’éco-anxiété, du poids de l’égo, du déni interne, des conflits entre identité professionnelle et éthique personnelle. Cela donne au texte une dimension humaine forte, presque confessionnelle.

Ce qui marque tout de suite à la lecture du livre, c’est l’authenticité : le témoignage d’un pilote, qui connaît les coulisses du métier, rend le propos crédible et touchant. Cela n’empêche pas l’ambiguïté émotive : on sent le regret, la nostalgie, mais aussi la lucidité : le lecteur est invité à ressentir le poids du choix.

Le livre est aussi une porte d’entrée à des débats plus larges : le livre ouvre des pistes (sobriété, limites, prescription éthique) sans prétendre détenir la solution. Le rythme mêle technique et poésie : mélange des atmosphères de vol, réflexions et descriptions aériennes créent une écriture qui respire. Le livre ne se contente pas d’informer,  il cherche à faire éprouver. 

L’ouvrage ne se veut pas une analyse systémique du secteur aérien (finances, politiques publiques, modèles de transport alternatifs). Il est centré sur l’expérience personnelle : l’expérience de Viaux est singulière. Le lecteur pourrait la trouver trop idiosyncrasique ou difficile à généraliser. La tonalité du livre est parfois moralisatrice : le choix de quitter le métier sous-entend que la seule posture acceptable est celle du désengagement ; certains pourraient y voir une forme de culpabilisation implicite. La structure narrative reposant sur un vol fictif peut donner un effet de « mise en scène », qui rend certaines transitions ou expressions moins “dures” que si elles avaient été formulées frontalement.

Voyage interrompu se situe à la croisée du récit personnel et de la prise de conscience écologique. Il donne voix à un acteur du système – le pilote – rarement interrogé dans les débats sur la transition aérienne. En ce sens, il enrichit le champ des réflexions sur la sobriété aérienne, la responsabilité individuelle dans un univers technologique globalisé, et le coût moral que peut porter la conscience écologique. Il a le potentiel de toucher non seulement des lecteurs déjà sensibilisés, mais aussi des responsables du secteur ou des citoyens qui n’avaient pas envisagé que “celui qui vole” puisse éprouver ce genre de conflit. Il contribue à humaniser les débats autour de la mobilité aérienne.

Voyage interrompu : Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux est un livre émouvant, lucide, et porteur d’un dilemme moral contemporain : comment vivre et agir dans un monde où les activités que l’on aime sont aussi celles qui menacent l’équilibre écologique aujourd’hui ?
Anthony Viaux ne prétend pas offrir des solutions techniques définitives, mais il fait entendre, par son récit, le poids des contradictions personnelles et la nécessité d’une transition non seulement technologique, mais éthique. C’est un essai introspectif qui invite à repenser nos relations au voyage, à la mobilité et à la responsabilité — à travers celui qui, depuis le cockpit, voyait le monde “d’en haut” mais ne pouvait plus fermer les yeux. À 49 ans, l’auteur choisit de quitter son métier pour s’orienter vers une activité plus alignée avec ses valeurs écologiques et humaines. Son essai n’est pas un réquisitoire, mais une invitation à la lucidité : celle de repenser nos imaginaires, nos modèles et d’oser changer de cap.

Anthony Viaux a exercé comme pilote de ligne pendant vingt ans.

Les droits d’auteur de cet ouvrage sont reversés à Médecins sans frontières

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