Les eaux souterraines représentent 99 % de toutes les réserves d’eau douce liquide sur Terre. Cependant, cette ressource naturelle est souvent mal comprise et par conséquent, sous-évaluée, mal gérée voire malmenée. D’après le dernier Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, publié par l’UNESCO, l’immense potentiel des eaux souterraines et la nécessité de les gérer de façon durable, ne peuvent désormais plus être négligés. Il est donc urgent de préserver les aquafères et les nappes phréatiques.
Ce lundi 21 mars, lors de la cérémonie d’ouverture du 9e Forum mondial de l’eau à Dakar (Sénégal), l’UNESCO lançait, au nom d’ONU-Eau, la dernière édition du Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, intitulé « Eaux souterraines : rendre visible l’invisible » (1). Les auteurs appellent les États à s’engager à mettre en place des politiques de gestion et de gouvernance des eaux souterraines adéquates et efficaces, afin de répondre aux crises de l’eau actuelles et futures à travers le monde. Car, même si les formations géologiques souterraines retiennent des quantités d’eau considérables, les aquifères constituant environ 99 % des millions de kilomètres cubes d’eaux douces (entre 11,1 millions et 15,9) de notre planète, ces stocks ne se renouvellent pratiquement pas. Pourtant, les eaux souterraines fournissent actuellement la moitié du volume d’eau prélevé par la population mondiale à des fins domestiques. Elles fournissent également l’eau potable utilisée par la majeure partie de la population rurale, qui n’est pas approvisionnée par des systèmes publics ou privés. Environ 25 % des eaux souterraines sont prélevées pour l’irrigation. Comme l’explique Géo, « lorsque les bassins se vident, leur taux d’épuisement est alors considérable. Or ils constituent un approvisionnement qui s’avère de plus en plus essentiel, à mesure que les températures montent. De plus, lorsque les nappes phréatiques sont surexploitées, le sol s’affaisse de plusieurs centimètres par an. Ce phénomène est déjà en cours dans certaines régions comme Pékin, Mexico, ou encore Venise. »
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- L’agriculture est responsable de 69 % du volume total d’eau souterraine prélevée ;
- Les usages domestiques représentent 22 % du volume total d’eau souterraine prélevée ;
- Les usages industriels représentent 9 % du volume total d’eau souterraine prélevée ;
- Près de 50% de la population urbaine mondiale est aujourd’hui alimentée par des sources d’eaux souterraines.
À l’échelle mondiale, la consommation d’eau devrait augmenter d’environ 1 % par an au cours des 30 prochaines années. Compte tenu de la baisse constante de la disponibilité des eaux de surface causée par le changement climatique, notre dépendance globale aux eaux souterraines devrait connaître une hausse.
Les eaux souterraines jouent un rôle central dans la lutte contre la pauvreté, la sécurité alimentaire et hydrique, la création d’emplois décents, le développement socio-économique, et la résilience des sociétés et des économies au changement climatique. Elles sont essentielles à de nombreux cycles et processus naturels, et elles jouent un rôle majeur dans le maintien de la santé humaine, des moyens de subsistance et des écosystèmes.
Pourtant, les eaux souterraines, comme les bénéfices directs et indirects qu’elles procurent, passent trop souvent inaperçus ou sont ignorés, laissant de nombreux aquifères sans protection adéquate.
Dans un contexte marqué par des pénuries croissantes d’eau dans de nombreuses régions du monde, l’immense potentiel des eaux souterraines et la nécessité de les gérer de façon durable ne peuvent plus désormais être ignorés. Pour y parvenir, commençons par « rendre visible l’invisible. »
Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, constate qu’« Un nombre croissant de ressources en eau sont polluées, surexploitées et asséchées par l’être humain, avec parfois des conséquences irréversibles. Il est essentiel d’utiliser plus intelligemment le potentiel des ressources en eaux souterraines, encore peu exploitées. Elles doivent être protégées de la pollution et de la surexploitation pour répondre aux besoins fondamentaux d’une population mondiale en constante expansion et pour faire face aux crises climatique et énergétique mondiales. »
Pour Gilbert F. Houngbo, Président d’ONU-Eau et Président du Fonds international de développement agricole (FIDA), « Il faut de toute urgence améliorer la façon dont nous utilisons et gérons les eaux souterraines, si nous voulons atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 2030. Les décideurs politiques doivent, dès à présent, tenir pleinement compte des moyens vitaux par lesquels les eaux souterraines peuvent contribuer à garantir la résilience de la vie et des activités humaines, dans un avenir où le climat devient de plus en plus imprévisible. »
Des avantages et opportunités sociales, économiques et environnementales considérables
La qualité des eaux souterraines est généralement satisfaisante. Elles peuvent donc être utilisées en toute sécurité et à un coût raisonnable, puisqu’elles ne requièrent pas des niveaux de traitement avancés. Les eaux souterraines constituent souvent le moyen le plus rentable de fournir un approvisionnement en eau sûr aux villages.
Certaines régions, telles que l’Afrique saharienne et le Moyen-Orient, détiennent des quantités importantes d’eaux souterraines non-renouvelables, qui peuvent être extraites afin de garantir la sécurité hydrique. Cependant, il faut tenir compte des générations futures et des aspects économiques et financier de l’épuisement des réserves.
En Afrique subsaharienne, les possibilités qu’offrent les vastes aquifères restent largement sous-exploitées. Seulement 3 % des terres agricoles sont équipées pour l’irrigation, contre 59 % et 57 % en Amérique du Nord et en Asie du Sud respectivement, et seulement 5 % de cette superficie utilise des eaux souterraines.
Comme le souligne le rapport, cette faible utilisation n’est pas due à une absence d’eaux souterraines renouvelables (qui sont souvent abondantes), mais plutôt à un manque d’investissements dans les infrastructures, les institutions, les professionnels formés et le savoir sur cette ressource. La mise en valeur des eaux souterraines pourrait permettre d’enclencher une croissance économique, en augmentant l’étendue des zones irriguées et en améliorant de ce fait les rendements agricoles et la diversité des cultures.
En ce qui concerne l’adaptation au changement climatique, la capacité des systèmes aquifères à stocker les excédents d’eau de surface saisonniers ou épisodiques peut être exploitée pour augmenter la disponibilité en eau douce tout au long de l’année. En effet, les aquifères subissent des pertes par évaporation nettement inférieures à celles des réservoirs de surface. À titre d’exemple, inclure le stockage et l’extraction des eaux souterraines dans la planification de l’approvisionnement en eau des villes permettrait d’améliorer la sécurité et la flexibilité en cas de variations saisonnières.
Tirer parti de tout le potentiel des eaux souterraines : que faut-il faire ?
En premier lieu, recueillir des données : Le rapport soulève la question du manque de données sur les eaux souterraines et souligne que leur surveillance est souvent un « domaine négligé ». Pour y remédier, l’acquisition de données et d’informations, qui relève généralement de la responsabilité des agences d’eaux souterraines nationales (et locales), pourrait être complétée par le secteur privé. En particulier, les industries pétrolière, gazière et minière qui possèdent déjà une grande quantité de données, d’informations et de connaissances sur la composition des domaines plus profonds du sous-sol, y compris les aquifères. Dans le cadre de leur responsabilité sociale, les entreprises privées sont vivement encouragées à partager ces données et informations avec les professionnels du secteur public.
Ensuite, il faut renforcer les réglementations environnementales : La pollution des eaux souterraines est pratiquement irréversible et doit donc être évitée. Cependant, faire appliquer les réglementations et poursuivre en justice les pollueurs se révèle souvent difficile en raison de la nature invisible des eaux souterraines. Pour prévenir la contamination des eaux souterraines, une utilisation adaptée des terres et des réglementations environnementales appropriées sont nécessaires, en particulier dans les zones de recharge des aquifères. Par bien des aspects, les eaux souterraines constituent un bien commun, par conséquent, il est impératif que les gouvernements assument leur rôle de gardiens de cette ressource, afin de garantir que l’accès aux eaux souterraines, et les bénéfices qui en découlent, soient répartis équitablement et que cette ressource reste disponible pour les générations futures.
Il faut aussi renforcer les ressources humaines, matérielles et financières : Dans de nombreux pays, le manque général de professionnels, experts des eaux souterraines, parmi le personnel des institutions et des gouvernements locaux et nationaux, ainsi que l’insuffisance des mandats, des financements et soutiens des départements ou des agences des eaux souterraines, entravent une gestion efficace des eaux souterraines. L’engagement des gouvernements à bâtir, soutenir et maintenir la capacité institutionnelle liée aux eaux souterraines est crucial.
(1) Le Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau (WWDR), la publication phare d’ONU-Eau sur les questions de l’eau et son assainissement, se concentre sur un thème différent chaque année. Le rapport est publié par l’UNESCO au nom d’ONU-Eau et sa production est coordonnée par le Programme mondial pour l’évaluation des ressources en eau de l’UNESCO. Ce rapport donne un aperçu des principales tendances concernant l’état, l’utilisation et la gestion de l’eau douce et de son assainissement, en s’appuyant sur les travaux des membres et partenaires d’ONU-Eau. Lancé à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, il fournit aux décideurs des connaissances et des outils leur permettant de formuler et de mettre en œuvre des politiques de gestion de l’eau durables. Il offre également des exemples de meilleures pratiques et des analyses approfondies afin de stimuler les idées et les actions visant à améliorer les prises de décision dans secteur de l’eau et au-delà.
Photo d’en-tête : Le réservoir de Montsouris à Paris ©AFP