« [La] protection de l’eau, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général », souligne l’article L. 210-1 du code de l’environnement. Parce que la question de cette bonne gestion est devenue, dans le contexte du changement climatique, une préoccupation aussi importante que celle de sa qualité, la Cour et les chambres régionales des comptes ont décidé d’y consacrer une enquête. Les conclusions de ce rapport sont publiées ce jour, quelques mois après la présentation par le gouvernement, le 30 mars 2023, du plan eau.
La gestion quantitative de l’eau consiste à garantir que les prélèvements sur la ressource en eau sont compatibles avec le bon état des milieux naturels, des nappes et des cours d’eau. Pour assurer la protection de ce patrimoine, la politique publique doit préserver le bon fonctionnement du grand cycle de l’eau et favoriser ainsi le renouvellement de la ressource ainsi que la satisfaction des besoins des milieux naturels et des besoins humains.
À l’échelle mondiale, l’eau douce se trouve à 76 % dans les glaciers, à 22,5 % sous la terre (nappes phréatiques et nappes profondes et captives), à 1,26 % dans les eaux de surface (lacs, rivières, étangs) et à 0,04 % dans l’atmosphère (nuages, pluies, brouillard, brume). Sa durée de résidence avant de repartir vers la mer est très variable : quelques jours dans les rivières, huit jours dans l’atmosphère, 17 ans dans les lacs, de quelques jours à plusieurs milliers d’années dans les nappes souterraines et plusieurs milliers d’années dans les glaciers. Toutes les ressources en eau douce ne présentent donc pas la même disponibilité, pour les usages humains.
Mieux évaluer les effets du changement climatique sur la ressource en eau
La réalité du changement climatique affecte d’ores et déjà les ressources en eau. Il ne s’agit pas d’un moment difficile à traverser avant un retour à la situation antérieure. Au contraire, toutes les études prospectives laissent penser que la situation ira en s’aggravant dans les décennies qui viennent.
En France métropolitaine, la quantité d’eau renouvelable disponible – celle qui peut être utilisée pour satisfaire les besoins humains sans compromettre la situation future – a baissé de 14% entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018. Cette réduction résulte essentiellement de l’élévation du niveau moyen des températures de 0,6 °C au cours de la décennie 2011-2021 en comparaison de la période 1981-2010.
L’élévation des températures provoque une évapotranspiration plus importante que par le passé et un retour rapide de l’eau vers l’atmosphère au détriment des cours d’eau, des sols et des nappes, avec des étiages de plus en plus longs et sévères qui contraignent les préfets à prendre des mesures de plus en plus fréquentes de restriction des usages de l’eau. 78 départements métropolitains étaient en situation de crise le 25 août 2022, les autres en situation d’alerte. 82 % des prélèvements d’eau sont réalisés sur les eaux de surface. Or ce sont les masses d’eau qui subissent le plus directement les effets du changement climatique. Les eaux souterraines ne sont pas épargnées. Près de 11 % des masses d’eaux souterraines font l’objet de prélèvements excessifs. Cette évolution concerne à des degrés divers tous les pays européens voisins de la France et devrait conduire l’Union européenne à adapter ses directives et règlements à cette nouvelle réalité.
Piloter la politique de l’eau au plus près des territoires
La gouvernance de la politique de l’eau est complexe. Bien structurée au niveau des bassins versants, autour des comités de bassin, des agences de l’eau et des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, l’organisation est beaucoup moins aboutie à l’échelle des sous-bassins hydrographiques où pourtant les orientations doivent être concrétisées. La planification stratégique, qui mobilise beaucoup de moyens, reste insuffisamment opérationnelle.
Les comités de bassins doivent disposer d’un plan d’adaptation au changement climatique et veiller à la cohérence des documents qu’ils élaborent avec les autres documents stratégiques des régions. Au niveau des sous-bassins, des schémas d’aménagement et de gestion des eaux déclinent le schéma directeur de bassin, notamment sous la forme de contrats entre l’État et les collectivités locales.
Tous ces documents, longs et techniques, souvent sans objectifs mesurables, restent ignorés des citoyens. Les communes et leurs groupements devraient constituer des établissements publics à l’échelle des sous-bassins. Or ils font souvent défaut. Pour assurer la cohérence entre la politique de l’eau et les autres politiques, la constitution de commissions locales de l’eau devrait être généralisée dans tous les sous-bassins hydrographiques.
L’État est très présent dans la conduite de cette politique, mais il maîtrise mal l’activité de ses propres services, notamment dans le domaine de la police de l’eau qui lui revient pourtant entièrement, et dont les moyens devraient être renforcés.
Le coût de la politique de l’eau évalué à 26,4Md€ en 2015 concerne essentiellement la gestion de l’eau potable et à l’assainissement, la gestion quantitative de la ressource en représentant une part marginale et mal connue.
Les redevances perçues sur les prélèvements d’eau ne représentent que 10% du financement des agences de l’eau ; elles sont inégalement réparties entre les usagers aux dépens des ménages et n’incitent pas aux économies d’eau. Cette redevance d’une grande complexité dans la détermination de son assiette, indifférente à l’évolution de la disponibilité de la ressource, constitue une simple variable d’ajustement budgétaire – et non un outil de fiscalité environnementale ayant une influence sur les comportements. La transformation de la redevance sur les prélèvements de l’eau en instrument de protection de la ressource ne sera possible que si le plafonnement global du produit des redevances des agences de l’eau est supprimé et si une responsabilité plus grande est donnée aux comités de bassin dans la détermination du montant de ces redevances et de la charge pesant sur chacune des catégories de redevables.
Réduire les prélèvements d’eau pour une gestion durable de la ressource
La nécessaire protection de la ressource en eau, bien commun essentiel, a tardé à se traduire en mesures de politique publique. Celles retenues par les autorités locales consistent à essayer de sécuriser l’approvisionnement en eau par des interconnexions, des infrastructures de stockage et de transfert de l’eau. Ces solutions anciennes deviennent de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. Seule, une stratégie déterminée de réduction des prélèvements et d’utilisation raisonnée de la ressource est susceptible d’apporter une solution de long terme.
La réduction des prélèvements est la condition du retour à l’équilibre dans les zones en tension et de la restauration du bon état des masses d’eau. Tous les outils disponibles doivent être utilisés dans ce sens. La tarification progressive doit être mise en place partout où cela est possible pour inciter les gros consommateurs à modifier leurs comportements. Le financement public d’infrastructures d’irrigation de terres agricoles doit quant à lui être conditionné à des engagements de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement et à la réduction des quantités d’eau utilisée. La planification stratégique et les plans territoriaux de gestion de l’eau devraient comporter des objectifs de réduction des prélèvements.
Source : Rapport Cour des comptes, juillet 2023