Le changement climatique d’origine humaine amplifie les phénomènes météorologiques naturels pour provoquer des vagues de chaleur en Asie, en Europe et en Amérique du Nord, ce qui pourrait faire de 2023 l’année la plus chaude depuis le début des relevés. Les scientifiques expliquent ici comment l’année 2023 est devenue si chaude, et préviennent que ces températures record vont empirer même si l’humanité réduit fortement ses émissions de gaz responsables du réchauffement de la planète.
Les chaleurs qui s’abattent sur tout l’hémisphère Nord n’est pas « normale » comme le prétend le ministre français de l’Agriculture. Elle est l’expression du dérèglement climatique de la planète : les scientifiques spécialistes du climat sont formels. Les températures record enregistrées ces jours-ci, aussi bien en Amérique du Nord, qu’en Europe ou en Asie, sont le résultat de plusieurs facteurs conjugués.
El Niño
Après un été record en 2022, le phénomène de réchauffement du Pacifique connu sous le nom d’El Niño est revenu cette année, réchauffant les océans. « Il se peut que cela ait apporté un peu de chaleur supplémentaire à l’Atlantique Nord, mais comme le phénomène El Niño ne fait que commencer, cela ne représente probablement qu’une petite partie de l’effet », écrit Robert Rohde, du groupe américain de surveillance des températures Berkeley Earth, dans une analyse. L’essentiel des effets d’El Niño se feront ressentir dans quelques mois ; le groupe a calculé qu’il y avait 81 % de chances que 2023 devienne l’année la plus chaude depuis que les thermomètres ont commencé à enregistrer les températures au milieu du XIXe siècle.
Dans l’océan Pacifique, il faut s’attendre à un réchauffement des températures pendant le phénomène El Niño, dont l’impact sur les conditions météorologiques du monde entier est dû à des eaux de surface plus chaudes que la normale le long du Pacifique équatorial. Mais la chaleur extrême ne se limite pas au Pacifique. Une chaleur record est également observée dans l’Atlantique équatorial et septentrional, ainsi que dans les tropiques, où se forment les ouragans. Brian McNoldy, chercheur sur les ouragans à l’université de Miami, écrit sur Twitter : « C’est complètement dingue et les gens qui regardent ces données régulièrement n’en croient pas leurs yeux. Quelque chose de très étrange est en train de se produire ».
Poussières du Sahara
Le réchauffement de l’Atlantique pourrait également être accentué par une diminution d’une substance qui réfléchit généralement la lumière du soleil loin de l’océan : la poussière soufflée par le désert du Sahara.
Dans son analyse des températures dans la région de l’Atlantique Nord, Robert Rohde note « des niveaux exceptionnellement bas de poussière provenant du Sahara au cours des derniers mois ». « Cela est dû à la faiblesse inhabituelle des alizés atlantiques », fait observer Karsten Haustein, du Centre fédéral allemand de services climatologiques.
Les changements dans la circulation atmosphérique se traduisent par la disparition d’une zone de haute pression qui se trouve souvent dans l’Est de l’Atlantique Nord et qui envoie des alizés puissants de l’Afrique de l’Ouest vers l’Amérique du Nord. Ces vents favorisent l’évaporation et le refroidissement des eaux de surface chaudes et transportent généralement du sable du Sahara sur l’Atlantique. À l’instar de la pollution atmosphérique par les sulfates, le sable bloque la lumière du soleil et la renvoie dans l’espace, empêchant ainsi un réchauffement des eaux de surface.
Ces vents ont été anormalement faibles ce printemps, ce qui pourrait faire partie d’une boucle de rétroaction qui décourage le développement des alizés. « Lorsque l’on commence à réchauffer l’Atlantique oriental, les dés sont pipés pour que des vents plus faibles reviennent dans l’Atlantique tropical », explique Phil Klotzbach, chercheur à l’université de l’État du Colorado, spécialisé dans les ouragans.
La réglementation contre les particules de soufre
Une théorie est encore actuellement controversée mais qui convainc de plus en plus de climatologues : elle est liée à une réglementation imposée à l’industrie du transport maritime en 2020. L’Organisation maritime internationale a exigé que les navires utilisent des carburants dont la teneur en soufre a été considérablement réduite, afin de diminuer la pollution atmosphérique par les sulfates, qui nuit à la santé humaine.
Une équipe de chercheurs du Goddard Space Flight Center de la NASA a constaté l’année dernière que ce changement avait permis de réduire de manière significative la concentration de ces polluants dans certaines parties du nord de l’Atlantique et du Pacifique, sur des routes commerciales très fréquentées reliant l’Asie à l’Amérique du Nord et l’Amérique du Nord à l’Europe. « Cela n’expliquerait pas la totalité du pic actuel de l’Atlantique Nord, mais pourrait avoir contribué à sa gravité », note Robert Rohde.
Ces polluants ont tendance à réfléchir la lumière du soleil dans l’espace, l’empêchant d’atteindre la surface de la Terre. C’est en raison de la forte pollution atmosphérique que l’Inde, par exemple, est l’un des endroits de la planète qui se réchauffe le plus lentement. Yuan et d’autres scientifiques estiment qu’il est possible que la disparition de cet effet de refroidissement soit à l’origine d’une partie au moins du réchauffement rapide, et qu’une La Niña tenace – le modèle climatique de refroidissement qui a dominé ces trois dernières années – ait masqué le changement jusqu’à présent.
« Je ne sais pas quelle est l’ampleur de l’effet. J’espère qu’il est faible. J’espère que toutes ces données me trompent », déclare Leon Simons, chercheur en climatologie aux Pays-Bas. Pour Pedro DiNezio, professeur associé à l’université du Colorado, il pourrait s’agir d’un exemple des conséquences involontaires de l’influence humaine sur un système climatique complexe : « Nous modifions certaines choses ici et là, et le désordre s’installe ailleurs ».
Des anticyclones immobiles et le jet-stream qui se disloque
Le réchauffement des océans influe sur les conditions météorologiques terrestres, provoquant des vagues de chaleur et des sécheresses à certains endroits et des tempêtes à d’autres. L’atmosphère plus chaude aspire l’humidité et la rejette ailleurs, observe Richard Allan, professeur de sciences du climat à l’université de Reading.
Les scientifiques ont mis en évidence la durée et l’intensité des systèmes anticycloniques persistants à l’origine des vagues de chaleur. « Lorsque des zones de haute pression stagnantes persistent au-dessus des continents, l’air s’enfonce et se réchauffe, faisant fondre les nuages, provoquant un ensoleillement estival intense qui dessèche les sols, chauffant le sol et l’air au-dessus », avec des vagues de chaleur qui « restent en place » pendant des semaines, constate Richard Allan.
En Europe, « l’air chaud qui a poussé depuis l’Afrique reste maintenant sur place, avec des conditions de haute pression installées qui signifient que la chaleur des mers, des terres et de l’air chauds continue de s’accumuler », ajoute Hannah Cloke, climatologue à l’université de Reading.
Ces phénomènes sont vraisemblablement liés au dérèglements des courants de haute altitude : le jet-stream. Cette bande de vent fort sépare l’air froid de l’Arctique de l’air plus chaud du Sud. Elle est responsable du transport du temps d’Ouest en Est à travers l’Amérique du Nord, au-dessus de l’Atlantique et en Europe. C’est ce jet-stream qui contrôle le degré d’humidité et de chaleur de ces régions.
Une étude d’importance confirme bien que le jet-stream est gravement perturbé : il se déplace vers le Nord à mesure que les températures mondiales augmentent. « Le début de la migration du jet-stream vers le Nord a déjà commencé », affirme Matthew Osman, chercheur au Climate Systems Center de l’université de l’Arizona et coauteur de l’étude. Cela a des conséquences désastreuses sur les conditions météorologiques dans l’hémisphère Nord, entraînant des événements extrêmes tels que des sécheresses et des vagues de chaleur dans le Sud de l’Europe et l’Est des États-Unis.
Le courant-jet de l’Atlantique Nord existe et est maintenu en place grâce au choc entre l’air chaud qui remonte des tropiques vers le Nord et l’air froid de l’Arctique. Lorsque ces masses d’air se rencontrent, elles se déplacent vers l’Est à une vitesse pouvant atteindre 360 kilomètres par heure, sous l’effet de la rotation de la Terre. Mais l’augmentation de la température de l’air perturbe ce mouvement. L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite, en moyenne, que le reste de la planète. L’air chaud se déplace donc plus au Nord avant de trouver de l’air froid, ce qui conduit la position du jet-stream à migrer vers des latitudes plus élevées.
Une étude publiée en septembre 2021 suggère que la fonte de la glace de mer arctique pourrait augmenter l’intensité et la taille de ces courants déviants. Lorsque la glace de mer fond, davantage de chaleur et d’humidité se déplacent de la surface de la Terre vers l’espace. Cela agit comme un rocher jeté dans l’étang de l’atmosphère – il crée de fortes ondulations au-dessus de l’Arctique qui déforment le jet-stream.
Les émissions fossiles, comme un couvercle sur la planète
Les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ont déclaré cette année dans leur rapport de synthèse mondial que le changement climatique avait rendu les vagues de chaleur meurtrières « plus fréquentes et plus intenses dans la plupart des régions terrestres depuis les années 1950 ».
Selon Robert Vautard, directeur de l’Institut français du climat Pierre-Simon Laplace, cité par l’AFP, les vagues de chaleur de ce mois-ci « ne sont pas un phénomène unique, mais plusieurs qui agissent en même temps. Mais elles sont toutes renforcées par un facteur : le changement climatique ».
La hausse des températures mondiales allonge la durée et l’intensité des vagues de chaleur. Bien qu’il soit le principal facteur, le changement climatique est une variable que l’homme peut influencer en réduisant les émissions de combustibles fossiles.
Les discussions sur les émissions de gaz à effet de serre sont difficiles parce que le public a du mal à se les représenter. La plupart du temps elles sont invisibles. À moins qu’il ne s’agisse de la fumée d’un récent incendie de forêt, de nombreuses formes d’émissions de gaz à effet de serre restent théoriques. Nous pouvons voir les causes des émissions, comme les infrastructures pétrolières et gazières. Nous pouvons voir les catastrophes qui s’ensuivent, comme les vagues de chaleurs ou les inondations, mais pas les émissions elles-mêmes. C’est pourquoi le studio de visualisation scientifique de la NASA a produit des images et des vidéos montrant à quoi ressembleraient les émissions de carbone si elles étaient visibles dans notre atmosphère. Les vidéos des émissions tourbillonnantes de gaz à effet de serre pendant l’année 2021 sont représentées sous forme de tourbillons massifs enveloppant tout l’hémisphère Nord de la planète.
Si les gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère par les activités humaines étaient colorés, donc visibles, voilà à quoi ressemblerait la Terre :
Nous savons que les émissions mondiales sont élevées et que nous devons faire volte-face en matière de pollution pour empêcher le monde d’atteindre des seuils climatiques irréversibles. La planète a déjà atteint certains de ces points de basculement : nous connaissons une élévation rapide du niveau de la mer et des taux alarmants de fonte des glaces aux pôles. La Terre devrait également atteindre un réchauffement de 1,5 degré Celsius avant la fin de ce siècle. Il est encore temps de faire volte-face et de réduire les émissions de combustibles fossiles, mais cette fenêtre de temps se referme rapidement.
Nous entrons en terre inconnue
Nous sortons des oscillations naturelles habituelles et bien connues du climat pour entrer dans un territoire inconnu et plus extrême », a déclaré Melissa Lazenby, maître de conférences sur le changement climatique à l’université du Sussex. « Cependant, nous avons la possibilité de réduire l’influence de l’homme sur le climat et les conditions météorologiques et de ne pas créer des vagues de chaleur plus extrêmes et plus durables. « Ce n’est que le début », pronostique à l’AFP Simon Lewis, titulaire de la chaire de science du changement planétaire à l’University College de Londres. « Des réductions profondes, rapides et durables des émissions de carbone jusqu’à un niveau net de zéro peuvent stopper le réchauffement, mais l’humanité devra s’adapter à des vagues de chaleur encore plus sévères à l’avenir ».
Avec AFP
Image d’en-tête : Visualisation scientifique de la NASA
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