Des rivières pourraient-elles s’associer pour refuser de travailler, pour faire la grève, pour remettre en cause leurs employeurs humains ? L’Institut d’Etudes Avancées de Nantes (IEA) et le Lieu Unique viennent de lancer le projet de recherche scientifique “Vers une internationale des rivières et autres éléments de la nature…”. Camille de Toledo, écrivain et chercheur associé à l’IEA de Nantes, poursuit ici son travail sur les droits de la nature et la personnalisation juridique des écosystèmes, en collaboration avec Notre Affaire à Tous : une réflexion transdisciplinaire et citoyenne sur le travail de la nature pour accompagner la transformation des imaginaires et soutenir l’émergence des droits de la nature, dans le sillon des auditions du Parlement de Loire.
Nous vivons à l’heure des manifestations de la Terre…
« Travail des sols, des rivières, travail animal mobilisé aux diverses phases de l’Histoire, travail de la photosynthèse pour produire l’air que nous respirons, travail des sous-sols qui a servi de base à nos économies de la dépense fossile… Aujourd’hui, les forces productives animales, végétales, minérales sortent petit à petit de l’invisibilité. Et il faut nous demander : à quoi ressemblerait une économie où les travailleurs humains se battraient aux côtés des travailleurs non-humains ? Quel monde pourrait naître d’une lutte commune pour redéfinir les conditions de travail des entités naturelles ? Travailleurs non-humains ? Quel monde pourrait naître d’une lutte commune pour redéfinir les conditions de travail des entités naturelles ? À l’heure où, sur tous les continents, des citoyens se mobilisent pour reconnaître la personnalité juridique des entités de la nature, ce projet citoyen cherchera les voies d’une nouvelle organisation du travail et de la valeur, pour les réorienter vers la vie. »
Camille de Toledo, juin 2023 (1)
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Il s’agit d’un projet instituant pour imaginer une nouvelle économie politique. Un scénario de bifurcation pour et avec les droits de la nature. Quand les entités naturelles deviennent des forces sociales et exigent des métamorphoses, alors il est temps de concevoir la première internationale des entités naturelles.
Vers une internationale des rivières…
“Vers une internationale des rivières…” est un processus citoyen qui sera ponctué de trois temps forts sur trois ans. Il s’agira de définir, à travers des auditions publiques, les contours d’une transition vers une « économie politique terrestre », en suivant l’hypothèse d’une extension des droits de la nature au XXIe siècle.
Si la rivière ou la forêt obtiennent le statut de sujet de droit, ne serait-on pas en train de basculer du droit de l’environnement vers un droit du travail de la nature ? Des rivières pourraient-elles s’associer pour refuser de travailler, pour faire la grève, pour remettre en cause leurs employeurs humains ? Si, dans le cadre des procès contre des intérêts humains, nos nouveaux sujets de droit obtiennent des dommages et intérêts, où ira l’argent ? Autant de réflexions qui seront menées et permettront d’esquisser un “scénario de bifurcation” pour et avec les droits de la nature.
Le premier temps fort « Les travailleurs terrestres » aura lieu le 18 novembre 2023, de 11h à 18h30, au Lieu Unique à Nantes et tournera autour de la question “Comment la nature travaille ?” Il sera accessible en streaming live ici.
Programme du 18 novembre :
- 11h – 12h30 : LE TRAVAIL DE LA TERRE – Des origines de la vie à la Terre intelligente et sensible où l’on décrira le « travail » de la nature pour garantir l’habitabilité de la Terre… Avec Jérôme Gaillardet, professeur de sciences de la Terre à l’institut de Physique du Globe de Paris et Gaëlle Charron, maîtresse de conférences à l’Université Paris Cité.
- 14h30 – 16h : LE TRAVAIL ANIMAL ET VÉGÉTAL – L’asservissement de la nature par une économie de l’épuisement où l’on verra la façon dont les animaux – et les végétaux – ont été mobilisés dans nos révolutions industrielles. Avec François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne.
- 16h30 – 18h : LE TRAVAIL DE L’EAU ET DES RIVIÈRES – Des premières civilisations jusqu’aux méga-bassines où l’on explorera une perspective à la fois historique (la transformation des bassins versants) et contemporaine (l’arraisonnement des masses d’eau : barrages, centrales, agriculture intensive) … Avec Giacomo Parrinello, professeur à Sciences Po Paris, spécialiste d’histoire de l’eau, de l’énergie et de l’anthropocène.
- 18h -18h30 : En clôture, Camille de Toledo présentera les principales étapes de la dramaturgie collective à venir de « Vers une internationale… »
Le scénario de bifurcation
Pour poser les bases de cette internationale, Camille de Toledo propose à un conseil composé de 12 personnes de la société civile de réfléchir à un scénario inédit. Il s’agit d’imaginer un proche avenir où les entités de la nature se soulèvent et font basculer notre société vers une économie nouvelle. Une économie où les lacs, les rivières, les vallées, le cycle de l’eau… deviennent des acteurs sociaux à part entière, des « sujets ».
La figure de la rivière sera le fil rouge de ce récit qui, face à nos économies industrielles productrices de mort, affiche l’objectif renversant d’un retour à la vie.
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Le jeu d’acteurs
Le conseil des témoins : Un conseil de 12 membres choisis par l’Institut d’études avancées de Nantes, proches du territoire, et qui suivront les auditions pour délibérer… (En cours de constitution)
Les conseillers scientifiques : Venu.e.s de divers champs disciplinaires, elles ou ils seront appelé.e.s comme ressources, pour documenter et charpenter le scénario de bifurcation proposé… (En évolution…)
Le chef d’orchestre : Il a la responsabilité de la narration et accompagne le conseil des témoins, en dialogue avec les conseillers scientifiques et les expert.e.s auditionné.e.s… (Camille de Toledo, artiste associé À l’IEA de Nantes, 2023-2026)
Les pollinisateurs : Ils ou elles suivent le développement du récit collectif, grâce à divers outils artistiques et textuels : la photographie, le documentaire, la chronique, les arts, l’architecture, le dessin… (En évolution…)
Les pollinisateurs
Le projet « Vers une internationale des rivières… » sera reçu et transformé par des regards, des perspectives diverses, des sensibilités, notamment :
En documentaire par Camille de Chenay : cinéaste, réalisatrice notamment des derniers entretiens du philosophe Bruno Latour par Nicolas Truong pour Arte.
En dessin par Axelle Grégoire, architecte et co-autrice, notamment avec Alexandra Arènes et Frédérique Aït-Touati, du livre manifeste pour une cartographie terrestre, Terra Forma (éditions B-42).
En photographie par Anne-Marie Filaire, qui a publié Terres (La découverte, 2020) autour des paysages anthropisés du Grand Paris, et participé à diverses missions pour l’Observatoire photographique du paysage.
En chroniques, afin de situer le projet « Vers une internationale des rivières… » dans une histoire plus large des idées, par François Cusset, philosophe, écrivain, historien des idées et professeur à Paris-Nanterre.
En « fiction anticipatoire », par Nicolas Nova et Fabien Girardin du Near Future Laboratory, suivant leurs pratiques de design fiction, qui consiste à matérialiser des futurs possibles pour interroger les conséquences de nos choix à venir.
Le projet reste ouvert à des propositions de reprise, de saisie, de transformation, de prolongement… suivant les principes des « codes open source ». Il suit en cela les engagements pour un « service public de l’imaginaire » défendu par Camille de Toledo.
(1) Camille de Toledo vit à Berlin. Il est écrivain, artiste, diplômé de sciences politiques, docteur en littérature comparée. Il enseigne la littérature (l’écriture créative et l’écopoétique) à l’Ecole nationale supérieure des arts visuels (La Cambre), à Bruxelles, et à l’Université d’Aix-Marseille. Il est chercheur associé à l’Institut d’Etudes avancées de Nantes. Finaliste du prix Goncourt 2021, lauréat du prix Franz Hessel et du prix de la création de l’Académie française pour Thésée, sa vie nouvelle ; lauréat de la Villa Médicis (2004), de la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature (2019).
En 2008, avec Maren Sell et LeylaDakhli, il a fondé la Société européenne des auteurs dédiée à la traduction. Il écrit pour l’opéra, La Chute de Fukuyama (2013), pour le théâtre, Sur une île, ou le diptyque PRLMNT.
Son dernier livre, Une histoire du vertige, parle des écarts, des blessures, des tremblements, entre la langue et la vie nue. De Toledo travaille également comme thérapeute, avec une méthode basée sur la logothérapie de Frankl et sur les découvertes de la traumatologie. Il traite ce qu’il nomme des « corps-mémoire ». Engagé pour les droits de la nature et la personnalisation juridique des écosystèmes aux côtés de l’association Notre Affaire à tous, il a orchestré le processus citoyen pour un parlement de Loire, entre 2019 et 2021 dont est sorti un livre, Le fleuve qui voulait écrire aux éditions les liens qui libèrent.
Pour aller plus loin :
- Livre « Le fleuve qui voulait écrire» de Camille de Toledo – Editions Les Liens qui libèrent (LLL), 8 septembre 2021
- Livre « Les formes du visible» de Philippe Descola – Editions du Seuil, 2 septembre 2021 – 848 Pages