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Face à la crise de confiance citoyenne, faut-il une police de la gouvernance ?

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Dans un contexte global marqué par une crise de confiance envers les institutions, la gouvernance émerge comme un pilier central pour assurer une gestion éthique et responsable des affaires publiques et privées. Bien que des cadres de gouvernance soient établis, leur application concrète et surtout le contrôle de cette application en temps réel demeurent insuffisants. Face à la nécessité pressante de renforcer ce contrôle pour restaurer la confiance des citoyens, l’idée de constitutionnaliser la gouvernance propose une voie innovante. Cette approche vise à instaurer une surveillance et un contrôle opérationnels en temps réel, promettant une gestion plus transparente et juste. Cet article explore la pertinence et les défis de cette proposition, envisageant une gouvernance renouvelée apte à répondre aux attentes sociétales pour une démocratie plus participative et directe.

D’un point de vue général, la gouvernance renvoie à un système d’entités décisionnelles qui organise et contrôle certains domaines d’activités. Elle définit des modes de pilotage ou de régulation fondés sur un partenariat entre différents acteurs à différentes échelles et selon trois dimensions : conception, décision et contrôle par rétroaction. Mais si des principes et règles de gouvernance sont de plus en plus établis, les modalités de leur mise en œuvre et surtout du contrôle de leur respect, en particulier leur contrôle en temps réel, sont encore trop rarement définies et mises en pratique. Dans la gestion éthique et responsable des missions relevant du pouvoir exécutif des Etats et autres institutions représentatives, nationales et internationales, ou encore celles rencontrées dans la gestion des entreprises privées, s’impose la nécessité devenant urgente de préciser certaines pratiques qui caractérisent la gestion des démocraties et de leurs activités. Il est à remarquer que, par exemple, même la Convention internationale des droits humains ne mentionne pas explicitement parmi ces droits celui d’un tel contrôle en temps réel de leur respect effectif.

Jusqu’à récemment, Il n’y avait pas de réelle prise de conscience de l’intérêt, voire de la nécessité urgente de mettre en place de tels outils de contrôle et de suivi opérationnel. Mais face à la multiplication des dérives dans les pratiques de gestion et à la perte de confiance citoyenne dans ses niveaux de représentations et de leurs pratiques, émerge le souhait et même l’exigence de celle-ci de devenir plus directement associée, elle aussi en temps réel, au contrôle de la mise en œuvre des pratiques de gouvernance (1). Que ces pratiques soient politico-administratives, publiques ou privées. En particulier aux niveaux des gouvernements et des administrations locales, régionales, nationales ou internationales. Il suffit de voir le nouveau scandale révélé ce mercredi 3 avril par Mediapart de l’arrestation de la juge Hélène Gerhards par la police anticorruption.

Au-delà des principes et des règles d’une gouvernance sociétale, ce sont donc aussi et surtout les moyens de suivi et de contrôle de la réalisation de ses missions qui doivent absolument être mieux établis et mis en œuvre pour répondre aux attentes croissantes de la société civile liées au respect des valeurs éthiques et d’honnêteté, de lutte contre la corruption passive ou active, aux détournements matériels et autres dérives.

Seuls des moyens de réelle meilleure assurance du respect des pratiques sociétales dans la gestion des affaires seront en effet à même de restaurer la confiance citoyenne dans les pratiques de nos systèmes représentatifs avant que ne se concrétise la tentation croissante d’accorder le pouvoir à des régimes plus ou moins autoritaires, ce qui devient critique dans le maintien de nos régimes dits démocratiques.

Une solution possible serait que la gouvernance et ses modes de contrôle soient « constitutionnalisés » au titre d’une forme de quatrième pouvoir qui serait alors exercé par le biais de rigoureuses dispositions, autant régulatoires qu’opérationnelles. Complémentaire et en lien étroit avec les pouvoirs législatif et exécutif et articulé étroitement avec le pouvoir judiciaire, ce quatrième pouvoir permettrait alors, via une forme de police de la gouvernance, d’assurer opérationnellement, tant au niveau institutionnel que public, ce véritable contrôle en temps réel du respect de ses règles. Cette police de gouvernance serait comparable d’une certaine manière à celle assurant la sécurité routière en contrôlant en permanence le respect du Code de la route.

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Contexte : la crise de confiance dans la gestion publique et ses représentants

« Quand on observe qu’un enfant s’apprête à faire une « grosse bêtise », on n’attend pas qu’il la commette pour le juger. « Il n’y a pas de gouvernance sans sa surveillance. »

La crise dans la gestion des États, comme celles de certaines entreprises, n’est pas seulement une crise interne touchant à leurs structures et leurs pratiques, elle concerne aussi leur capacité à encore asseoir et conserver leur légitimité dans des processus sociétaux de plus en plus complexes et « délocalisés ». Les formes de déclin progressif de pratiques de l’éthique traditionnelle se sont traduites par une multiplication d’abus, de scandales et par une crise de confiance dommageable pour leur bon fonctionnement. « L’éthique politique est une notion à géométrie variable« , note Jean Faniel, directeur général du CRISP (Centre de Recherche et d’Informations socio-Politique). Il y a les fait explicitement illégaux d’une part, mais d’autre part aussi, des faits tolérés par la loi mais qui peuvent constituer aux yeux des parties prenantes, et du grand public en particulier, des actes éthiquement répréhensibles. Comme évoqué par Mathieu Colleyn (2), les affaires qui se succèdent depuis le milieu des années 2000 appellent donc à une « révolution copernicienne » qui ne veut pas venir. Celle-ci devrait se fonder sur celle de l’éthique des gouvernants et autres dirigeants et sur un contrôle minutieux de l’opportunité et de l’efficacité de l’ensemble des dépenses à tous les échelons de pouvoir et d’exécution, politique comme social, économique et à présent écologique. Pierre Verjans, politologue, voit dans la médiatisation de ces faits une réaction populaire forte. « Dans beaucoup de cas, les infractions pénales constituent souvent la fin d’une carrière« , observe-t-il. Et dans les cas où des politiciens sont en première ligne, les réactions populaires à l’égard des personnes concernées sont émotionnellement plus vives que dans d’autres domaines professionnels. La recherche de valeurs communes et d’objectifs communs via le dialogue et l’engagement des parties prenantes qui permettraient de comprendre et de redéfinir les différents points de vue, est alors le point de départ de synergies susceptibles de promouvoir la restauration d’un climat de confiance et de rechercher des solutions communes.

Un récent survol de nombreuses formes de gouvernance existantes à ce jour montre que leur faiblesse réside souvent dans l’absence de règles et moyens explicites d’en assurer le contrôle strict et fiable. C’est à ce niveau qu’il faut envisager une formulation plus claire des principes de ces formes de contrôle et d’en expliciter les modes d’application.

La crise financière de 2008-2009 avait apporté de nouvelles lectures sur les insuffisances de gouvernance, notamment à l’échelle européenne et elles vont alors contribuer à mobiliser progressivement toutes les parties prenantes. Mais les résistances au changement des choses dans le sens que l’on juge bon pour ceux dont on défend les intérêts restent nombreuses. Elles sont le fait de ceux qui disposent d’un véritable pouvoir, étant à la fois contrôleurs et contrôlés et ayant souvent des conflits d’intérêt, ne veulent pas risquer de perdre une part de ce « pouvoir » pour conserver le plus longtemps possible les avantages qui lui sont, indépendamment de celui qu’ils sont censés exercer. En politique notamment, beaucoup de politiciens consacrent autant de temps à faire la promotion de leur parti ou de leur propre image qu’à agir pour mettre opérationnellement en œuvre le programme pour lequel ils ont été élus.

Parmi les réformes plus particulièrement évoquées dans ce contexte figurent le fait de limiter, voire d’interdire le cumul et la répétition de mandats, de limiter les émoluments des responsables politiques pour les rapprocher de la moyenne de ce que gagnent ceux qu’ils sont censés représenter, d’éliminer des structures administratives intermédiaires comme considérées obsolètes par certains, ou encore de rationaliser des conseils d’administration trop peuplés qui doivent gérer et contrôler les services publics (et donc les services au public), réduire le nombre de mandats dans les assemblées (régionales et communales notamment).

Explorer les voies d’une plus solide gouvernance sociétale

Le plus souvent, la tendance se limite encore à n’utiliser que le niveau de « principes » et, jusqu’à présent, il n’existe que peu de preuves directes et concrètes du lien entre l’énoncé de tels principes de gouvernance et l’amélioration des pratiques et des performances organisationnelles. L’obligation de rendre plus rigoureusement compte des actions est pourtant une condition essentielle d’une « bonne administration ». Il s’agit alors d’élaborer ce pouvoir de suivi et contrôle en temps réel de l’application formelle des règles de gouvernance. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire du fait que l’appareil public reste jalonné de tabous, de résistances, d’entre-soi malsains et d’intérêts particuliers… Cela même si certaines entreprises et organisations, sportives par exemple (3), ont développé leurs pratiques de gouvernance et progressent sur le plan de leurs indicateurs ; et même si des pratiques de corruption dans ces organisations persistent telles que révélées notamment par les médias… Pour rendre cette gestion publique plus efficace, il ne suffit plus de sanctionner administrativement, voire juridiquement, certains coupables à postériori ou de modifier certaines règles d’exercice du pouvoir.

Or l’utilisation et le contenu exact du concept de « bonne gouvernance » restent flous et aucune définition ne fait l’objet d’un consensus. Aucun Traité du Conseil de l’Europe, par exemple, ne mentionne nommément la bonne administration et aucune Constitution en Europe n’énonce un « droit à la bonne gouvernance », ni ne la mentionne en tant que principe.

Cette absence tient principalement à l’origine et à la nature-même du concept et reflète l’influence limitée qu’elle a exercée jusqu’à présent dans les ordres juridiques nationaux, que ce soit au niveau constitutionnel ou législatif, ou même dans la jurisprudence. Ce caractère « non juridique » résulte du fait qu’initialement, elle a surtout été conçue dans la perspective d’un suivi plutôt extranational, c’est-à-dire sans l’implication formelle des acteurs institutionnels concernés dans les différents pays.

Certes, les institutions gouvernementales, mais aussi le secteur privé et les organisations de la société civile, sont déjà légalement contraintes de rendre des comptes au public et à leurs partenaires institutionnels visées par ses décisions ou ses actions. Mais cette obligation de rendre des comptes ne peut être effective en l’absence de transparence et de respect de l’Etat de droit. Il s’agit alors d’établir qui doit rendre des comptes, quand et comment ; mais aussi à qui il convient de documenter la légitimité des décisions prises ou des pratiques menées au sein ou à l’extérieur d’une organisation, qu’elle soit institutionnelle, privée ou associative.

Un des enjeux des évaluations de la gouvernance réside aussi dans une tension entre, d’une part, la « technocratisation » des États, où l’évaluation serait essentiellement une affaire d’experts et de spécialistes (souvent au nom de la complexité du monde et de la spécialisation des savoirs) et, d’autre part, l’exigence publique attendue, face aux dérives actuelles, d’un contrôle démocratique plus direct sur les élus et les gestionnaires au sein des gouvernements et administrations.

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Dans le contexte de cette exigence démocratique plus participative qui émerge aujourd’hui, cette gouvernance doit donc mieux et plus directement impliquer les diverses « parties prenantes » dans le suivi en temps réel des responsabilités et des pratiques liées aux programmes d’actions des « représentants » et « administrations déléguées » au sein des organisations concernées. Comme évoqués par certains (4), cette évolution ne doit pas être seulement méthodologique dans la mesure où, dans un contexte de complexification des problèmes publics, elle se loge dans un débat sociétal plus global posant la question de l’articulation entre les connaissances des experts et les connaissances des parties prenantes à propos des enjeux concernés. Pour les besoins spécifiques d’une démarche d’évaluation, le rapprochement des bénéficiaires finaux et les collaborations avec la recherche académique sont donc autant d’initiatives auxquelles il importe de recourir pour garantir l’impact et une meilleure efficacité de ces démarches évaluatives.

Afin de concevoir et de mettre en œuvre une telle évolution des normes auxquelles seraient soumises les institutions supérieures de contrôles efficaces, évolution raisonnablement cohérente et globale, les différents niveaux de gestion doivent être plus efficacement combinés. Ce qui appelle à des évolutions méthodologiques et à un suivi plus rigoureux et constant dans la pratique des audits de performance. Comme souligné par ailleurs, la multiplication des acteurs chargés de missions de contrôle et d’évaluation au sein des services publics nécessitera de mettre en place un meilleur partage des informations et une concertation sur la planification de ces audits. Cette façon de faciliter la collaboration et de créer un environnement propice la construction des synergies nécessite des partenariats intégrant les différences culturelles sociales et politiques autour de synergies soutenables et durables. Il en découlerait un style de leadership inclusif qui n’est pas forcément celui adopté jusqu’ici par des organisations essentiellement verticales.

Depuis une trentaine d’années, la nouvelle gestion publique (NGP) constitue un paradigme influant ces réformes administratives entreprises au sein de nombreux États de l’OCDE, dont la Belgique ou la France. La NGP peut être comprise comme l’application dans la sphère publique de techniques de management et formes organisationnelles inspirées du secteur privé. Des standards internationaux sont développés par de multiples organisations et initiatives internationales, comme le FMI, la Banque Mondiale, l’Union Européenne, l’OCDE et bien d’autres. En 1998 déjà, le FMI a établi un « Code de bonnes pratiques » et publié un « Manuel sur la transparence des finances publiques » ainsi qu’un « Guide pour la transparence des recettes des ressources naturelles ». Cette initiative peut être considérée comme l’art de produire systémiquement à la fois plus d’unité et plus de diversité. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a ainsi adopté de son côté un modèle de code qui énonce neuf principes de bonne administration concernant certains aspects du droit à la bonne administration.

En avril 2023, la Commission européenne a présenté des propositions législatives visant à mettre en œuvre « la réforme la plus complète des règles de gouvernance économique de l’UE depuis la crise économique et financière ». L’objectif central de ces propositions est de renforcer la soutenabilité de la dette publique et de promouvoir une croissance durable et inclusive dans tous les États membres au moyen de réformes et d’investissements. Les propositions visent à remédier aux lacunes du cadre actuel et à mettre en place un régime plus strict pour le contrôle de l’application des règles afin de garantir le respect des engagements pris par les États membres dans leurs plans budgétaires structurels à moyen terme. Étant donné qu’un rôle accru de ces règles requiert des garanties plus élevées en matière d’indépendance et de ressources, la directive modifiée propose de nouvelles exigences visant à renforcer l’indépendance de ces institutions budgétaires, à améliorer leur accès aux données et à accroître leurs capacités techniques et leur obligation de rendre compte. Les États membres présenteront des rapports d’avancement annuels afin de permettre un suivi et un contrôle plus efficaces de la mise en œuvre des engagements souscrits dans leur plan et les mesures coercitives seront renforcées. Les écarts par rapport à la trajectoire d’ajustement budgétaire convenue entraîneront par défaut l’ouverture de procédures concernant les déficits excessifs.

(Re)vitaliser les principes de gouvernance et, surtout, leurs outils de contrôle

« Le premier objectif de la gouvernance est d’apprendre à vivre ensemble et à gérer pacifiquement la maison commune ; d’y assurer les conditions de la survie, de la paix, de l’épanouissement et de l’équilibre entre l’humanité et la biosphère. »
Pierre Calame

« La gouvernance comme moyen d’assurer la sécurité préventive au sein des sociétés. »
Vincent Macq, procureur du Roi de Mons

D’après l’étude menée par la Commission de Venise sur les notions de « bonne gouvernance » et de « bonne administration », très peu d’Etats européens semblent avoir intégré la notion de bonne gouvernance dans leur législation. Reste que les actes proposés visent à « favoriser le passage à un cadre de surveillance davantage fondé sur le risque » mais pour AUCUN des droits évoqués par la Commission n’est mentionné explicitement la nécessité d’un contrôle du respect de leur efficience et de leur effectivité ! De même que dans la législation, dans la jurisprudence, la bonne gouvernance n’y est même que très rarement reconnue comme un principe, ou même simplement mentionnée.

Pour l’heure, il semble en effet ne pas exister au niveau européen de droit exécutoire (« justiciable ») à une bonne gouvernance ou une bonne administration, sauf lorsqu’il est prévu expressément au niveau national. Pourtant les mécanismes procéduraux sont aussi importants que les résultats : ils font eux-mêmes partie intégrante du droit à une bonne administration. C’est notamment le cas lors d’une intervention pour corriger une pratique qui peut conduire à des abus de pouvoir par des gestionnaires dans l’exécution de leurs responsabilités. Même si au regard de l’importance de la criminalité en col blanc, les services de lutte contre la grande fraude fiscale et sociale doivent être prioritairement renforcés, l’analyse du Manifeste de Confrontation Europe souligne que ce sont les incivilités et les « petites infractions » qui minent particulièrement la vie en société et attisent le sentiment d’insécurité. La réponse à ces différents phénomènes ne peut être une absence de poursuite et un sentiment d’impunité mais la justice ne peut néanmoins se réduire à de la répression.

Dans le contexte actuel de nécessité urgente de transformation et de régénération de l’aptitude des entités représentatives à (se) diriger légitimement et à agir efficacement, la régénération des principes et pratique de gouvernance est donc un domaine particulièrement critique. Quelle que soit la nature des principes de gouvernance (la rémunération des dirigeants, la composition et la forme du conseil d’administration, le cumul des mandats des administrateurs, etc.), il est donc important d’associer « conformance » et « performance » dans l’articulation gouvernance/contrôle de gestion (CIMA, 2004). L’application efficace de telles règles de gouvernance implique des méthodes inter- et trans- disciplinaires, pour ne pas dire systémiques, ce ‘mot-dit’, en mesure d’intégrer et d’analyser la diversité irréductible des relations et modalités d’exécution de pouvoir(s). Cela non seulement au sein des fonctions et responsabilités publiques, mais aussi au sein des entreprises et des diverses organisations (associations, … ) de la société civile. Il n’y aurait cependant pas un modèle unique de gestion de la gouvernance mais bien des systèmes dynamiques de gouvernance qui intègrent ces mécanismes formels dans une série de processus opérationnels : gouvernement, gestion, transparence, performance, partenariat, démocratisation, participation, accès à l’information, lutte contre la corruption…

A la différence des pratiques judiciaires ne pouvant s’exercer qu’à postériori, il se confirme que c’est donc bien la concrétisation formelle d’un réel pouvoir d’assurer en temps réel qui s’impose, suivi opérationnel (« monitoring ») de la conformité des pratiques de gestion exécutive au respect de Valeurs qui les sous-tendent, que ces pratiques soient institutionnelles, politiques, sociales, écologiques, économiques et/ou financières.

Les Cours des Comptes existantes pourraient contribuer, par leurs actions et procédures, à l’approfondissement d’un tel contrôle de gestion indépendant de la bonne gouvernance au-delà des simples finances publiques.

L’importance d’un système réellement opérationnel de contrôle des pratiques de gouvernance

Il s’agit de s’assurer que les objectifs des programmes d’action soient atteints en contrôlant et en mesurant régulièrement les progrès réalisés afin d’identifier les écarts par rapport aux différents plans d’exécution, de manière à pouvoir prendre des mesures correctives. Cette phase de contrôle et de suivi de projet, qui doit être menée de front avec la phase d’exécution, permet de mieux contrôler, orienter et maîtriser en temps réel la gestion de ces programmes d’actions et de vérifier si les objectifs de chacun des responsables vont dans le même sens que ceux de l’organisation globale. Cela confère la possibilité de clarifier les décisions, de contrôler leurs réalisations et d’adopter les moyens de redresser les erreurs. Alors qu’une approche audit analytique et détaillée n’est que ponctuelle, une telle procédure intégrative – ou systémique – du global vers le plus fin, articulée autour de points critiques, permettrait de combiner régulièrement les connaissances des experts avec celles des parties prenantes dans ces évaluations des politiques publiques.

Un tableau de bord opérationnel de gestion, outil différent d’un tableau de bord stratégique, renfermerait tous les renseignements indispensables à la gestion en continu des activités au travers d’informations factuelles synthétiques matérialisées au travers d’indicateurs clés de performance spécifiques, mesurables, atteignables, pertinents et opportuns. A la différence d’un tableau de bord stratégique, la dimension d’un tel tableau de bord est le court terme.
Il permet d’être réactif en intégrant en temps réel les décisions correctives à prendre pour améliorer la gestion des enjeux. Ce qui offre la possibilité de modifier au besoin les comportements et permet aux acteurs de mieux participer à la performance de l’organisation par leurs actions individuelles (16).

Il existe ainsi une base de données des « Indicateurs mondiaux de la gouvernance » qui inclut plus de 300 variables individuelles recueillies par plus de trente organisations qui disposent chacune de leur propre méthode et de leur propre échelle statistique. Ils peuvent être regroupés dans les tableaux de bord, qui constituent de véritables outils de pilotage du projet qui peut afficher la performance globale du projet ou mettre en avant des problèmes qui nécessitent une attention particulière (6).

De tels tableaux de bord sont aujourd’hui parmi les outils les plus utilisés dans les grandes entreprises pour véhiculer l’information aux intéressés, pour prendre les décisions qui s’imposent et envisager les réactions et les actions correctives nécessaires. Ceci du niveau le plus bas de la hiérarchie jusqu’au plus haut management de l’organisation. En absence de ces trois éléments (coûts, budgets, tableaux de bord et reporting) l’entreprise ne peut en effet que mal maîtriser et améliorer sa productivité et préserver sa compétitivité.

Outre que ce système de contrôle interne englobe toutes les parties prenantes du processus de l’activité, sa contribution marquante par rapport aux autres méthodes de gestion de risques c’est de permettre d’anticiper et de faire face à la manifestation des risques menaçant le bon déroulement l’activité d’une organisation avant leur apparition ou avant qu’ils soient hors de contrôle : il ne s’agit pas d’un outil qui intervient juste en cas d’alerte.

Proposition : constitutionnaliser le pouvoir de gouvernance et ses moyens de contrôle sous forme d’un cinquième pouvoir

Une idée nouvelle ne triomphe jamais. Ce sont ses adversaires qui finissent par mourir”. Max Planck

Une gouvernance sociétale bien établie dans ses principes, ses règles mais aussi ses modes de contrôle, pourrait être « constitutionnalisée » au sens propre du terme, comme une forme de quatrième pouvoir et en formaliser les valeurs et principes éthiques mais aussi les pratiques devant guider les dispositions législatives (lois et décrets d’application). En lien étroit avec les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, mais relativement autonome, ce quatrième pouvoir couvrirait plus particulièrement les enjeux liés aux pratiques éthiques et au contrôle de leur respect, de façon notamment à (mieux) lutter contre la corruption passive ou active, les détournements matériels et autres dérives. Articulé particulièrement avec le pouvoir judiciaire, ce pouvoir de gouvernance s’exercerait sous forme de dispositions qui, via une forme de police de gouvernance, assureraient la régulation mais aussi le suivi en temps réel et le contrôle opérationnel de la pleine conformité aux normes établies des pratiques institutionnelles ou publiques.

Ce pouvoir de gouvernance s’appliquerait au travers d’un directoire de gouvernance autonome dans ses pratiques mais lui-même réglementé par un « code de pratiques et de sécurité ». Ces dispositions seraient matérialisées sous une forme de « code de la route » associé à des fonctions de contrôle en mesure de dresser des « procès-verbaux » et des sanctions (telles des « amendes » ou des « retrait de permis ») sans devoir passer dans certaines limites par la case judiciaire. Ce suivi en temps réel en serait alors assuré par l’administration d’une police de gouvernance relevant, par exemple, d’une Cour des comptes des pratiques opérationnelles, celle-ci assurant les liens coordonnés avec les autres pouvoirs, et en particulier avec le pouvoir judiciaire. Pouvoirs eux aussi également soumis par ailleurs aux contrôles de ce pouvoir de gouvernance.

Resterait à expliciter qui seront les médiateurs et les facilitateurs neutres de telles procédures. Comment les engagements entre des parties antagonistes au départ se concrètiseront-ils pour les amener à travailler ensemble ?

Comment développer des normes de comportement et des accords de base pour favoriser le respect mutuel et la résolution pacifique des différends éventuels ?

Pour ce qui est en particulier des pratiques de contrôle de cette gouvernance des autorités publiques et des administrations, ce code de gouvernance serait donc opérationnellement articulé, comme dans les nombreuses dispositions relevant de l’application des règles de la circulation routière sur les voies publiques, autour :

  • de « permis de conduire » homologuant les « conducteurs » et « véhicules » de missions opérationnelles relevant de responsabilités institutionnelles ;
  • de signalisation et d’indicateurs de leur suivi opérationnel et financier : cartographie, priorités, limitations, interdictions, « feux de régulation » de leurs mouvements, … ;
  • de l’identification en temps réel d’infractions prises, telles des flagrant délits de « contraventions » ;
  • de sanctions d’exécution immédiate telles des « amendes », des suspensions de permis, voire à des « arrestations » d’activités et un suivi judiciaire selon leur nature, leur gravité et leurs conséquences.

Ces contrôles seraient assurés et assumés par des « agents de contrôle des pratiques », comparables aux agents de circulation et aux officiers de police judiciaire, au sein d’un Directoire qui pourrait être organisé au sein d’une « Cour des comptes éthiques » déjà évoquée et assurant la cohérence avec le pouvoir judiciaire. Les modalités de conformité juridique et institutionnelle d’un tel pouvoir de gouvernance restent certes à établir par les spécialistes et les autorités compétentes. Il sera essentiel par ailleurs de s’assurer des limites de ce pouvoir complémentaire et notamment qu’il ne constitue pas en soi des menaces d’atteinte aux libertés fondamentales des individus et des organisations concernées.

Ici encore définir des limites comme sont définies les limites des pratique policières en général dans un régime démocratique.

La nécessité d’une telle (r)évolution à la fois constitutionnelle et réglementaire pourrait être soutenue, sinon par une majorité parlementaire, sans doute réticente à se voir ainsi mise sous contrôle permanent, par une initiative publique via une pétition exprimant auprès de ses représentants une volonté citoyenne à ce sujet, et qui pourrait mener à un référendum ou une autre procédure de révision constitutionnelle. A souligner alors la question des ressources et des compétences complémentaires nécessaires pour assurer ce cinquième pouvoir, ainsi que l’effort persistant sur le long terme et l’engagement dans la durée qu’il imposera.

Une telle proposition est à ce stade encore élémentaire et justifierait des développements appropriés mais il faudra s’assurer que ceux-ci n’aboutissent à une forme de « mise au frigo » alors que les situations sociétales et politiques s’aggravent de jour en jour à l’approche des prochaines échéances électorales.

Jacques de Gerlache, Eco-toxicologue, professeur à l’institut Paul-Lambin à Bruxelles. Conseiller scientifique auprès du Conseil fédéral belge du développement durable. Manager du site www.greenfacts.org

 

(1) Une analyse plus détaillée est disponible : https://www.ressystemica.org/afscet/resSystemica/vol24-2023-corps-social/res-systemica-vol-24-art-07.pdf
(2) journaliste de L’Echo, décembre 2022 https://www.lecho.be/economiepolitique/belgique/wallonie/une-therapie-de-choc-pour-lagouvernancewallonne/10433377.html
(3) SIRC – Rapport sur les tendances en matière de gouvernance et de leadership dans le sport 2021-2022 https://sirc.ca/wpcontent/uploads/2022/06/Better-governance-principles-FR-June-15-update.pdf
(4) Franz Wascotte, Pol Fyalkowski, Julien Raone. Le rôle des institutions supérieures de contrôle dans les transformations des pratiques évaluatives : l’exemple de la Belgique. Dans Revue française d’administration publique 2021/1 (N° 177) : https://www.cairn.info/revue-francaise-dadministration-publique-2021-1-page-29.htm?contenu=bibliographie
(5) Grandguillot, F & Grandguillot, B, 2004. L’essentiel de la gestion prévisionnelle, Gualino Editeur, p : 121 et 124
(6) On retrouve aussi 12 KPI dans La Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide de l’OCDE qui a pour objet de fonder plus concrètement les efforts de développement.

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