Un an après la colère agricole qui a secoué la France et l’Europe, le Salon de l’Agriculture s’est ouvert dans un climat de tensions. Les réponses politiques se font attendre et le feu couve toujours dans nos campagnes. Les agriculteurs n’en peuvent plus d’être pris en tenaille entre deux injonctions : être plus vertueux sur le plan environnemental et être, “en même temps”, plus compétitifs pour assurer la position de l’industrie agro-alimentaire sur les marchés internationaux. Leur colère est légitime. Elle appelle une action politique forte et cohérente pour garantir un revenu juste aux agriculteurs, réussir la transition écologique et assurer notre sécurité alimentaire. Cette action, c’est au niveau européen qu’elle doit être menée.
Face à cette crise que personne ne découvre, le gouvernement continue de courir après l’illusion de la théorie du ruissellement et du détricotage de nos normes environnementales. Les lois Egalim font office de totem, mais doit-on rappeler que leur mesure principale tient à garantir une marge minimum de 10 % à la grande distribution ? Comment croire que le mantra de la “construction des prix en marche avant” puisse modifier quoique ce soit pour nos éleveurs si concomitamment, on omet de financer leurs organisations de producteurs ? Avec la toute récente loi agricole, la volonté du gouvernement d’affaiblir la protection de la biodiversité et de remettre en cause le droit de l’environnement est manifeste, comme si le Conseil constitutionnel ou la Cour de Justice de l’Union européenne n’existaient pas. Sans parler des attaques contre les agences par ceux-là mêmes qui se doivent de faire respecter les institutions et les fonctionnaires qui appliquent la loi. Bref, tout cela ressemble à des faux semblants qui ne règlent rien et affaiblissent deux décennies d’efforts engagés par la plupart de nos agriculteurs en faveur de la durabilité de notre modèle agricole.
L’avenir ne se joue pas dans des assouplissements opportunistes, mais dans une refonte en profondeur des politiques agricoles et commerciales européennes. Car c’est bien à Bruxelles que se joue l’avenir de notre agriculture, sauf à voir derrière le terme de “souveraineté alimentaire de la Nation” introduit par la récente loi française les prémices d’un Frexit agricole qui ne dit pas son nom. La souveraineté alimentaire européenne ne tombera pas du ciel et la France se doit d’être aux avant-gardes. Non pas par arrogance et goût de donner des leçons, mais parce que nous sommes au premier rang en matière de production agricole et que toutes les facettes de la diversité de l’agriculture européenne sont présentes sur notre territoire.
En ce début de mandat européen, le programme de travail est en train de s’écrire et c’est maintenant que nous devons peser. Est-ce la volonté du gouvernement français ? Il est déjà permis d’en douter ! La vision du Commissaire à l’Agriculture et à l’Alimentation, le Luxembourgeois Christophe Hansen, vient d’être publiée et l’on ne trouve trace des prix planchers annoncés par le Président Macron. En revanche, l’accent est mis sur la réciprocité et les mesures miroirs dans les accords commerciaux, à juste titre certes, mais ce sujet était déjà consensuel du côté du Parlement au cours des négociations de la dernière PAC…
Comme toujours, le budget de la PAC sera le nerf de la guerre. Les premières propositions de la Commission sont proprement inacceptables : laisser fondre le budget agricole au gré de l’inflation et le fusionner avec les fonds de cohésion pour les gérer conjointement au niveau national signerait la fin de toute ambition agricole européenne et condamnerait la place des Régions dans le dispositif. Ce n’est pas aux agriculteurs de porter les remboursements de l’emprunt Covid, des ressources propres doivent enfin être trouvées en défendant une position ferme face au chantage des États membres dits frugaux, ceux qui ne rechignent pourtant jamais à ouvrir les cordons de la bourse pour leurs seuls agriculteurs nationaux.
Enfin, il est plus qu’urgent de modifier en profondeur le plan d’application de l’actuelle PAC dans notre pays. La dégressivité et le plafonnement des montants de subventions dont bénéficie une ferme doivent être activées de manière à renforcer les paiements redistributifs. Les organisations de producteurs doivent être financées au maximum des possibilités et l’agriculture biologique ne saurait perdre des subventions à cause de la baisse des conversions.
Sondages après sondages, les agriculteurs expriment à une large majorité leur souhait d’aller vers des pratiques plus durables, mais ils savent mieux que personne que la transition a un coût et qu’ils doivent être accompagnés au plus près. On ne peut pas leur en demander plus sans leur donner les moyens du changement, on ne peut pas élever nos standards tout en signant des accords commerciaux qui favorisent le moins disant social et environnemental – à l’instar de celui avec le Mercosur. Il ne faut pas s’y tromper, le cri du cœur de nos agriculteurs est essentiellement une demande de cohérence politique, loin de la récupération actuelle pour faire reculer un agenda de durabilité à laquelle contribue avec zèle l’exécutif actuel.
Eric Sargiacomo, député européen, vice-président de la Commission de l’Agriculture et du Développement rural
Claire Fita, députée européenne, membre de la Commission de l’Agriculture et du Développement rural