Chaque année, la rentrée scolaire symbolise un moment de renouveau, d’espoir et de projets pour les familles. Pourtant, derrière les sourires des enfants et les cartables soigneusement préparés, se cache une réalité beaucoup plus lourde : celle d’un fardeau financier qui ne cesse de s’alourdir. Fournitures scolaires, cantine, activités extrascolaires… autant de postes de dépenses qui deviennent de véritables sources d’angoisse pour des millions de foyers. Selon une étude récente, plus d’un parent sur deux a déjà dû renoncer à certains achats essentiels, et près d’un tiers envisage même de retirer ses enfants de la cantine faute de moyens. La rentrée scolaire n’est plus seulement une étape éducative : elle cristallise désormais les inégalités sociales et oblige les familles à des arbitrages douloureux, parfois jusque dans leurs choix de vie les plus intimes. La rentrée scolaire agirait-elle désormais comme un miroir impitoyable de nos choix collectifs ?
Derrière les cartables bien remplis, une réalité beaucoup plus sombre : 57 % des parents ont dû renoncer à des fournitures scolaires, 29 % envisagent de retirer leurs enfants de la cantine, et 41 % déclarent que le coût de l’éducation influence leur décision d’avoir un autre enfant. La rentrée n’est plus seulement une étape scolaire : elle devient un véritable casse-tête budgétaire pour des millions de foyers. Elle n’est plus seulement un rituel d’apprentissage, mais un révélateur des fractures sociales de notre époque.
L’entreprise Yomoni (1) a fait réaliser un sondage en août dernier : Fournitures au rabais, cantine devenue un luxe, activités sacrifiées : derrière ces arbitrages, c’est l’égalité des chances qui recule et un modèle social qui vacille. Ce qui devrait être un bien commun universel se transforme en fardeau financier, posant une question politique essentielle : quel avenir voulons-nous transmettre à nos enfants ?
« Ces chiffres révèlent une fracture préoccupante : les familles ne se demandent plus seulement comment bien préparer la rentrée, mais comment la financer. Fournitures, cantine, loisirs… même la décision d’avoir un autre enfant est influencée par le coût de l’éducation. »
Tom Demaison, Directeur de la Communication chez Yomoni
Une rentrée sous le signe des renoncements
Cette année, la rentrée se fait au rabais. Près de 6 parents sur 10 (57 %) avouent avoir dû renoncer à certains achats de fournitures scolaires, dont un quart à plusieurs fournitures essentielles. Les familles redoublent d’ingéniosité : 92 % privilégient la seconde main ou la récupération des années précédentes. Le neuf devient une exception et la chasse aux économies une obligation.

La cantine, un luxe pour certains
Autre symbole de ce basculement : la cantine scolaire. Près de 3 familles sur 10 (29 %) envisagent déjà de retirer leurs enfants de la cantine pour cuisiner elles-mêmes, faute de moyens. Et si les prix continuent de grimper, les arbitrages sont clairs : 37 % prépareraient un repas maison, 28 % réduiraient la fréquence de la cantine. La pause déjeuner, autrefois sanctuarisée, devient un sujet d’inquiétude et d’arbitrage budgétaire.

Activités extrascolaires sacrifiées
Les activités extrascolaires, longtemps considérées comme essentielles à l’épanouissement des enfants, deviennent la variable d’ajustement. Un parent sur quatre (26 %) a déjà réduit ou supprimé le sport, la musique ou les loisirs de ses enfants. Et si les familles devaient encore couper dans leurs budgets, les activités (26 %) et la cantine (41 %) figureraient parmi les premiers postes sacrifiés.

Crédit, découvert et épargne sacrifiée
La rentrée se finance parfois… à crédit. 28 % des familles ont déjà dû recourir à un crédit ou à un découvert bancaire pour couvrir les frais scolaires. Un chiffre qui révèle une banalisation de l’endettement pour une dépense qui devrait être courante et anticipée. Par ailleurs, 69 % des parents déclarent que les dépenses liées aux enfants les empêchent d’épargner autant qu’ils le souhaiteraient. L’éducation grignote non seulement le présent, mais aussi l’avenir financier des familles.

Quand l’éducation freine la natalité
L’impact dépasse le seul cadre scolaire. Le coût actuel de l’éducation influence désormais les choix familiaux : 41 % des parents reconnaissent que la question budgétaire pèse dans leur décision d’avoir (ou non) un autre enfant. En clair, la rentrée ne se limite plus à remplir un cartable : elle conditionne aussi l’avenir démographique et social.

Ce que révèlent ces chiffres dépasse largement le cadre de la rentrée scolaire. Ils mettent en lumière une société où l’éducation, censée être le socle d’égalité des chances, se transforme peu à peu en facteur d’exclusion. Comme l’ont montré Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, l’école n’est pas seulement un lieu d’émancipation : elle tend aussi à reproduire les inégalités sociales existantes (2). Lorsque près d’un tiers des familles envisagent de retirer leurs enfants de la cantine, ce n’est pas seulement un repas qui est en jeu : c’est un lieu d’intégration, d’apprentissage de la vie collective et parfois le seul moment de la journée où certains enfants accèdent à une alimentation équilibrée. Le fait que ce droit élémentaire devienne un « luxe » illustre un recul silencieux de l’État social, au sens décrit par Robert Castel (3).
La généralisation des renoncements – fournitures au rabais, activités extrascolaires sacrifiées, recours au crédit pour boucler la rentrée – illustre une époque où les familles sont sommées de gérer seules une précarité que les politiques publiques ne parviennent plus à endiguer. L’inventivité des parents, entre seconde main et bricolage, témoigne d’une résilience admirable, mais contrainte. Or cette « débrouille » normalisée finit par légitimer l’idée que chacun doit se débattre avec ses moyens, renforçant une société à deux vitesses où les enfants n’ont pas tous les mêmes opportunités dès les premiers pas de leur scolarité. Raymond Boudon avait déjà souligné combien les choix scolaires des familles sont façonnés par leurs ressources (4) : ce constat se rejoue aujourd’hui à travers ces arbitrages douloureux.
D’un point de vue sociologique, cette situation révèle une transformation plus profonde : la marchandisation croissante de la vie quotidienne. L’éducation, la restauration scolaire, les loisirs – autrefois envisagés comme des biens collectifs soutenus par la puissance publique – sont désormais appréhendés comme des charges financières privées, soumises aux logiques de marché. Zygmunt Bauman analyse cette dérive comme le signe d’une société où les sécurités collectives s’effritent au profit d’une logique de consommation et de compétition permanente (5).
Enfin, le fait que 41 % des parents déclarent que le coût de l’éducation influence leur choix d’avoir ou non un autre enfant est un indicateur inquiétant. François de Singly a montré combien la famille contemporaine est marquée par les contraintes économiques qui pèsent sur les projets de vie (6). Plus largement, Ulrich Beck rappelle que dans un contexte d’incertitude économique, les individus ajustent leurs trajectoires privées à la peur du déclassement ou de l’endettement (7). Ici, la parentalité elle-même devient une équation financière.
En somme, la rentrée scolaire agit comme un miroir grossissant de notre époque : une époque marquée par la précarité ordinaire, la montée des inégalités décrite par Thomas Piketty (8) et la désagrégation progressive des protections collectives. Elle rappelle que l’éducation n’est pas seulement une affaire privée, mais un enjeu éminemment politique et social. Comme le souligne Amartya Sen, l’éducation est une condition essentielle de liberté et de justice (9). Or, derrière chaque cartable allégé par les renoncements, c’est tout un modèle de société qui se fragilise.
Si nous acceptons que l’éducation devienne un luxe, alors nous consentons à un avenir où l’injustice se transmettra de génération en génération.
(1) Yomoni est le leader français de la gestion d’épargne en ligne. Depuis 2015, ils démocratisent l’investissement avec une approche claire, pilotée, sans frais d’entrée et centrée sur les objectifs à long terme des épargnants. Ils ont actuellement 70 000 clients et un encours de 1,7 milliard d’euros.
(2) Bourdieu, P. & Passeron, J.-C. (1970). La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement. Paris : Éditions de Minuit.
(3) Castel, R. (1995). Les Métamorphoses de la question sociale. Paris : Fayard.
(4) Boudon, R. (1973). L’inégalité des chances. Paris : Armand Colin.
(5) Bauman, Z. (2006). La vie liquide. Paris : Fayard.
(6) de Singly, F. (2010). Sociologie de la famille contemporaine. Paris : Armand Colin.
(7) Beck, U. (1986). La société du risque. Paris : Aubier (éd. française 2001).
(8) Piketty, T. (2013). Le Capital au XXIe siècle. Paris : Seuil.
(9) Sen, A. (1999). Development as Freedom. New York : Knopf (trad. française Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Odile Jacob, 2000).
*Méthodologie de l’étude : Enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 1 601 familles résidant en France. Sondage effectué en ligne en août 2025 à partir du panel de répondants BuzzPress (27 500 personnes en France sondées électroniquement par email et sur les réseaux sociaux Facebook et LinkedIn). Réponses compilées et pondérées en fonction de quotas préétablis visant à assurer la représentativité de l’échantillon et afin d’obtenir une représentativité de la population visée. Toutes les pondérations s’appuient sur des données administratives et sur les données collectées par l’INSEE.
Photo d’en-tête : Illustration. © thinkstock







