Stimuler le cerveau pourrait aider à retarder les ravages de la maladie d’Alzheimer. Une équipe de chercheurs toulousains vient de montrer, chez la souris, qu’un environnement riche en interactions sociales et sensorielles suffit à préserver la mémoire, même lorsque la maladie est déjà installée. Une découverte qui éclaire enfin le rôle du mode de vie dans la protection du cerveau.
Après vingt ans d’échecs, l’arrivée d’un tout nouveau traitement, le lécanémab — et bientôt du donanémab — validé en Europe, marque un tournant dans la lutte contre Alzheimer en ciblant directement l’accumulation des plaques amyloïdes. Cette avancée suscite un regain d’espoir, même si elle ne constitue pas encore une guérison. Mais la recherche ne s’arrête pas aux traitements médicamenteux. Une équipe du Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA-CBI, CNRS/Université de Toulouse) vient de démontrer qu’un autre levier, non pharmacologique, peut préserver la mémoire pour les malades atteints de la maladie : les stimulations environnementales. Chez des souris atteintes de la maladie, elles modifient durablement des neurones de l’hippocampe, région clé pour la mémoire. Publiés le 19 septembre dans iScience, ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles stratégies complémentaires aux thérapies médicamenteuses.
La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative caractérisée par une détérioration progressive des fonctions cognitives, comme la mémoire, mais aussi le langage, l’apprentissage ou le comportement. En France, environ 900 000 personnes en souffrent et il n’existe pas encore de traitement efficace pour lutter contre. Toutefois, des études épidémiologiques ont montré que certaines activités sociales, sensorielles et intellectuelles pouvaient ralentir l’apparition des symptômes. C’est ce qu’on appelle la « réserve cognitive », soit la capacité du cerveau à mobiliser des ressources pour compenser les effets de la maladie.
L’existence de cette réserve cognitive est bien établie, mais son fonctionnement neurobiologique restait jusque-là inconnu. Laure Verret, maîtresse de conférences à l’Université de Toulouse, et ses collègues du CRCA ont alors entrepris d’éclairer ce qui régit ce mécanisme. Première étape : étudier des souris porteuses d’une mutation génétique les prédestinant à développer les caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.
« On savait déjà qu’un environnement stimulant – un grand espace à explorer, riche en sollicitations sensorielles et sociales – pouvait améliorer la mémoire. Ce que nous montrons ici, c’est que seulement 10 jours suffisent pour obtenir cet effet, et surtout qu’il se maintient plusieurs semaines après », détaille la chercheuse. « Autrement dit, dans leurs tests de mémoire spatiale, les souris remarquaient que des objets avaient été déplacés. Et dans les tests de mémoire sociale, elles étaient capables de reconnaître leurs congénères ». À l’inverse, ces améliorations n’ont pas été constatées chez les souris malades placées dans des cages standards.
Par la suite, les scientifiques ont analysé le tissu cérébral des souris atteintes de la maladie d’Alzheimer placées dans des environnements stimulants. Dans la région de l’hippocampe, structure qui joue un rôle central dans la mémoire, les améliorations mnésiques étaient accompagnées d’une réorganisation des neurones produisant la protéine parvalbumine et de leurs filets périneuronaux.

Lorsqu’on est soumis à des nouvelles expériences, de nouvelles stimulations, et que l’on apprend quelque chose, nos neurones réorganisent leurs connexions entre eux : c’est la plasticité cérébrale. Les filets périneuronaux interviennent dans ce processus en « fermant » une phase d’apprentissage lorsqu’ils forment une toile autour des neurones à parvalbumine. Ces filets stabilisent les connexions neuronales et permettent un meilleur ancrage des souvenirs.
Il restait alors à Laure Verret et ses collègues de prouver que l’environnement stimulant des souris influençait directement les mécaniques à l’œuvre au sein de l’hippocampe. « Pour ce faire, nous avons injecté aux souris une molécule empêchant la formation des filets périneuronaux pendant la période d’enrichissement environnemental », raconte Guillaume Bouisset, postdoctorant et premier auteur de l’étude, dont la thèse portait sur cette thématique. « Le résultat était clair, les souris ne montraient plus d’amélioration de leur mémoire. À l’inverse, lorsque nous leur avons injecté un facteur de croissance connu pour stimuler ces réseaux, leur mémoire leur revenait. »
Ces résultats mettent en évidence le rôle central des neurones parvalbumine et de leurs filets périneuronaux dans les bénéfices cognitifs de l’environnement enrichi. Ils identifient un substrat cellulaire de la réserve cognitive et confirment l’importance d’agir sur le mode de vie pour prévenir ou retarder le déclin cognitif. À l’avenir, ces travaux ouvrent aussi la voie à des approches thérapeutiques complémentaires : soutenir systématiquement les stimulations sensorielles et cognitives chez les personnes âgées, atteintes ou non de la maladie, mais aussi développer des stratégies pharmacologiques capables de reproduire les effets bénéfiques de l’environnement enrichi.
Ces travaux de recherche ont reçu le soutien de l’association France Alzheimer et de la fondation Vaincre Alzheimer à hauteur de 200 000 euros.







