C’est une vague d’optimisme qui a déferlé cette semaine sur la communauté internationale. Avec le dépôt des instruments de ratification par le Sri Lanka, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, la Sierra Leone et le Maroc, le Traité sur la haute mer, officiellement connu sous le nom d’Accord BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction), a atteint son seuil décisif : 60 ratifications. Et comme l’énonce avec éclat le communiqué :« La 60ᵉ ratification déclenche l’entrée en vigueur du Traité sur la haute mer ». Dans 120 jours exactement, le 17 janvier 2026, cet accord sans précédent entrera en vigueur, marquant une étape décisive dans la protection de la biodiversité océanique.
Le traité BBNJ fait désormais l’objet d’un suivi public rigoureux, notamment sur le site officiel des Nations unies (United Nations Treaty Collection) où l’on retrouve l’état actuel des signatures et ratifications. Selon les données officielles, il entrera en vigueur 120 jours après le dépôt du soixantième instrument de ratification, approbation, acceptation ou accession ; le nombre de signataires enregistrés sur ce site officiel est de 145, tandis que celui des États parties (ayant ratifié ou procédé à une approbation, acceptation ou accession) est de 61. Ces chiffres officiels confirment que le seuil légal des 60 ratifications a bien été atteint, déclenchant l’entrée en vigueur du traité en date du 17 janvier 2026.
Un accord pour notre océan commun
Fruit de près de vingt années de négociations souvent ardues, l’Accord BBNJ est le premier traité international juridiquement contraignant visant spécifiquement la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones au-delà des juridictions nationales. Rebecca Hubbard, directrice de la High Seas Alliance, résume l’esprit de ce moment charnière : « Ce moment historique est l’aboutissement d’années de dévouement et de diplomatie internationale. Le Traité sur la haute mer est un puissant témoignage du multilatéralisme, il montre ce que le monde peut accomplir lorsqu’il s’unit pour le bien commun de notre océan. »
Concrètement, le texte prévoit la création d’aires marines protégées (AMP) dans les eaux internationales, l’obligation de réaliser des évaluations d’impact environnemental pour les activités humaines, le partage équitable des bénéfices issus des ressources génétiques marines, le renforcement des capacités et des transferts de technologie au profit des pays en développement.
Que recouvre l’Accord sur la Haute mer ?
La Haute mer commence où s’arrêtent les zones économiques exclusives des États (ZEE), à maximum 200 milles nautiques (370 km) des côtes et n’est donc sous la juridiction d’aucun Etat. Même si elle représente plus de 60% des océans et près de la moitié de la planète, elle a longtemps été ignorée dans le combat environnemental, au profit des zones côtières et de quelques espèces emblématiques.
Avec les progrès de la science, la preuve a été faite de l’importance de protéger tout entier ces océans foisonnant d’une biodiversité souvent microscopique, qui fournit aussi la moitié de l’oxygène que nous respirons et limite le réchauffement climatique en absorbant une partie importante du CO2 émis par les activités humaines. Mais les océans s’affaiblissent, victimes de ces émissions (réchauffement, acidification de l’eau…), des pollutions en tout genre et de la surpêche.
Le nouveau traité établit pour la première fois un mécanisme officiel permettant de créer davantage d’aires marines protégées dans les eaux internationales (ou « Haute mer »). Actuellement, seulement 1,2 % des Hautes mers de la planète sont protégées, selon l’ONG High Seas Alliance. « Les zones de haute mer protégées peuvent jouer un rôle essentiel pour renforcer la résilience face aux effets du changement climatique« , a déclaré Liz Karan, de l’ONG Pew Charitable Trusts qui a qualifié cet accord de « réalisation capitale ».
L’accord établit un cadre juridique permettant de porter ce pourcentage de protection à 30 % des écosystèmes marins de la planète. Ce seuil de 30 % avait été initialement défini dans un engagement distinct des Nations unies en faveur de la biodiversité en décembre 2022, mais cet accord rend cet objectif beaucoup plus plausible.
Le traité sur « la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale » introduit également l’obligation de réaliser des études d’impact sur l’environnement des activités envisagées en Haute mer. Mais le chapitre hautement sensible qui a cristallisé les tensions jusqu’à la dernière minute concerne le principe du partage des bénéfices des ressources marines génétiques collectées en Haute mer. Les pays en développement qui n’ont pas les moyens de financer de très coûteuses expéditions et recherches se sont battus pour ne pas être exclus de l’accès aux ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés de la commercialisation de ces ressources – qui n’appartiennent à personne – dont entreprises pharmaceutiques ou cosmétiques espèrent tirer des molécules miracles.
Comment l’Accord sera-t-il appliqué concrètement ?
La future Conférence des parties (COP, organe de décision qui rassemblera les États signataires) devra composer, pour faire appliquer ses décisions, avec d’autres organisations mondiales et régionales qui ont autorité aujourd’hui sur des morceaux de l’océan. En particulier les organisations régionales de pêche et l’Autorité internationale des fonds marins qui délivre pour l’instant des contrats d’exploration minière dans certaines zones précises et pourrait prochainement passer au stade de l’exploitation, craignent les ONG. Les activités militaires sont, quant à elles, exclues du champ du traité.
Un levier pour les grands objectifs mondiaux
Le Traité BBNJ s’inscrit dans la dynamique du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal (CMB), et notamment son objectif phare : protéger 30 % des terres et des océans d’ici à 2030. « La ratification du Traité sur la haute mer n’est pas seulement une étape, c’est un moment déterminant pour l’avenir de toute vie sur Terre », rappelle Jennifer Morris, directrice générale de The Nature Conservancy.
Un constat partagé par la biologiste marine de renommée mondiale, Sylvia Earle, pour qui : « L’espoir pour la haute mer devient réalité, et avec lui l’espoir d’un avenir durable pour l’humanité. »
Une mobilisation planétaire sans précédent
Dès son adoption en juin 2023, puis son ouverture à la signature en septembre de la même année, l’Accord BBNJ a fédéré un élan diplomatique remarquable. Palau fut le premier État à ratifier en janvier 2024 ; aujourd’hui, 142 pays et l’Union européenne l’ont déjà signé. Déjà en mars 2024, certains pays, comme le Chili, se sont placés à l’avant-garde de la course à la ratification.
Partout dans le monde, chercheurs, ONG, jeunes activistes et gouvernements célèbrent ce succès. Comme le résume Flora McMorrin de l’initiative RISE UP : « Voir le Traité sur la haute mer ratifié, après 20 ans de négociations, est une réalisation immense. À toutes celles et ceux qui se sont battus pour y parvenir, nous célébrons vos efforts et restons à vos côtés alors que commence le travail de mise en œuvre. »
Et les ONG rappellent que la ratification n’est que le début. Pour Steve Trent, de l’Environmental Justice Foundation : « Il est désormais temps de transformer les mots en actions : de véritables aires marines protégées, la fin de la pêche destructrice, illégale et non durable, et un avenir plus prometteur pour les populations et notre monde naturel commun. »
Les prochaines étapes : de la signature à l’action
Une fois le traité en vigueur, la première Conférence des Parties (CoP1) sera convoquée d’ici fin 2026. Les préparatifs sont déjà en cours aux Nations unies pour mettre en place institutions et procédures. Parmi les projets déjà identifiés pour devenir des aires marines protégées en haute mer figurent les monts sous-marins de Salas y Gómez et Nazca, le Lord Howe Rise et la mer de Tasman, la mer des Sargasses, le Dôme thermique du Pacifique oriental.
Une victoire, mais pas un point final
Toutes les voix convergent : cette entrée en vigueur est une victoire historique, mais elle appelle immédiatement à une mobilisation accrue. « Atteindre 60 ratifications n’est pas la ligne d’arrivée, ce n’est que le point de départ », insiste encore Rebecca Hubbard. De son côté, Duncan Currie, conseiller juridique de la High Seas Alliance, ajoute : « L’entrée en vigueur constitue un tournant pour l’océan et la biodiversité dont nous dépendons tous. Nous devons désormais parvenir à une ratification universelle de ce traité historique. »
Un vent d’espoir pour les générations futures
Ce traité est aussi porteur d’un souffle d’espoir partagé, comme le souligne Philippe Cousteau (EarthEcho International) : « La ratification du Traité des Nations unies sur la haute mer marque une victoire historique pour notre océan et notre avenir commun. Cette réussite est le fruit de décennies de travail acharné de la communauté de conservation marine, de gouvernements précurseurs et de jeunes leaders qui ont exigé des actions. »
Et pour résumer l’état d’esprit général, la militante Farah Obaidullah conclut : « Lorsqu’il s’agit de l’océan et de notre patrimoine commun, nous n’avons plus de temps à perdre. »
- 🌍 70 % de la surface de la Terre est recouverte par l’océan ; la haute mer en représente près des 2/3.
- 🐟 Plus de 3 milliards de personnes dépendent de la mer comme principale source de protéines animales.
- 🍽️ Dans certains petits États insulaires et pays côtiers en développement, la mer fournit plus de 50 % des apports en protéines.
- 🌡️ L’océan absorbe environ 30 % du CO₂ émis par l’homme et 90 % de l’excès de chaleur lié au changement climatique.
- 🔍 Pourtant, à ce jour, moins de 1 % de la haute mer bénéficie d’une protection réelle et juridiquement reconnue.
L’objectif du traité BBNJ est de contribuer à la cible mondiale « 30×30 » : protéger 30 % de la planète – terres et océans – d’ici 2030.
Un signal fort : l’océan n’est plus oublié
Avec ces 60 ratifications, l’humanité se donne enfin les moyens d’agir pour protéger la partie la plus vaste et la plus méconnue de notre planète. La haute mer, longtemps perçue comme un Far West océanique, entre dans une nouvelle ère de gouvernance collective. Car si elle n’appartient à personne, elle est en réalité notre bien commun le plus précieux : elle régule le climat, abrite une biodiversité encore largement inconnue et constitue une source de vie et de subsistance pour des milliards d’êtres humains.
Jusqu’ici, à peine 1 % de ces zones internationales étaient protégées, exposant la haute mer à la surpêche, à la pollution plastique, à l’acidification et aux nouvelles menaces que représente l’exploitation minière des grands fonds. Avec le Traité BBNJ, le monde se dote enfin d’outils juridiques capables de transformer l’océan d’une zone de non-droit en un espace de coopération, de responsabilité et d’équité. Comme le rappelle Dr Sandra Altherr, de Pro Wildlife : « C’est une étape décisive vers la fin de la surpêche irresponsable et l’avancée de la conservation marine mondiale. »
Mais au-delà de la protection des écosystèmes, l’impact pour les populations humaines est tout aussi crucial. Des millions de personnes, en particulier dans les pays côtiers du Sud, dépendent directement d’écosystèmes marins sains pour leur sécurité alimentaire, leurs moyens de subsistance et parfois même leur identité culturelle. Le traité ouvre la voie à une gestion plus équitable des ressources génétiques marines, à un accès partagé aux connaissances et aux technologies, et à un renforcement des capacités locales. En ce sens, il contribue à réduire les inégalités entre nations, tout en offrant un filet de sécurité contre les dérèglements climatiques.
« L’ère de l’exploitation et de la destruction doit prendre fin » et ce traité « est l’outil pour rendre cela possible », a salué Mads Christensen, patron de Greenpeace, appelant les parties à faire en sorte de le rendre opérationnel le plus vite possible.
Le message envoyé est clair : l’océan n’est plus relégué dans les marges de la gouvernance internationale. Il est désormais placé au cœur des politiques climatiques et de biodiversité, dans une dynamique où les promesses devront se transformer en aires marines protégées effectives, en contrôles renforcés des activités humaines et en véritables solidarités entre pays du Nord et du Sud. Un moment à célébrer, mais surtout une invitation à transformer l’élan diplomatique en actions concrètes pour que la promesse de l’Accord BBNJ devienne une réalité tangible pour la planète, la biodiversité et les générations futures.
Fabienne Marion, Rédactrice en chef UP’ Magazine
Pour aller plus loin :
- Livre graphique « Vingt mille lieues sous les mers – Misère et splendeur du monde marin« , de Gilles Macagno
- Livre graphique « Le monde du silence gueule« , de Julia Duchaussoy et Sébastien Salingue
- Livre « Fascinantes créatures » d’Anthony Leydet
Image d’en-tête : Getty images








Poumon BLEU, « La mer, c’est grand comme ça ! »
L’oxygène que l’on respire, sur Terre, vient en très grande partie de l’Océan,
« Où atterrir ? »
Chiffres à ne pas oublier pour réveiller, « en corps », les esprits.
Terre- Mère, où respirer,
« … et, comme aux temps anciens, tu pourrais dormir dans la mer. »
P. Eluard