Et si la voiture individuelle n’était plus l’avenir de nos déplacements ? Face à l’urgence climatique, au coût croissant de l’automobile et aux inégalités d’accès à la mobilité, la question d’une transition vers des solutions partagées s’impose. À l’occasion de la Semaine européenne de la mobilité 2025, la conférence « Vers une mobilité plus durable grâce aux véhicules partagés : opportunités et défis » a réuni experts et acteurs publics pour analyser les enjeux d’une mobilité « pour tous ». Accessibilité en zones rurales, fracture numérique, viabilité des modèles économiques, défis technologiques ou encore impacts environnementaux : autant de problématiques qui dessinent les contours d’une transformation profonde de nos habitudes de déplacement et de notre rapport à la voiture.
Dans le cadre de La Semaine européenne de la mobilité 2025 articulée autour du principe de la « Mobilité pour Tous » pouvant offrir à chaque citoyen(ne), indépendamment de son revenu, du lieu où il vit ou de ses possibilités physiques, des solutions de transport durables et financièrement accessibles, la conférence Mobilité Partagée “Vers une mobilité plus durable grâce aux véhicules partagés : opportunités et défis”, réalisée à Bruxelles par le Service Public Fédéral Mobilité et Transports (SPF M&T) et le Conseil Fédéral belge du Développement Durable (CFDD), a permis de faire le point sur les défis et les choix d’une mobilité globale partagée et sur les moyens de catalyser constructivement cette transition.
La crise sanitaire et climatique (60 % des émissions de GES sont dues aux véhicules personnels) a engendré une prise de conscience profonde pour modifier ses habitudes de déplacement et avec les confinements successifs, les habitudes de déplacement ont changé ; le télétravail notamment ayant engendré une baisse du recours au véhicule personnel et, comme dans d’autres pays, tel le Japon, la possession d’un véhicule personnel dans un environnement urbain n’a plus de sens pour de nombreux Belges ou Français. Le coût mensuel moyen d’une voiture individuelle est de l’ordre de 600 euro en Belgique et de 400 euro en France.
Des débats constructifs ont alors été menés sur les mesures politiques, la valeur ajoutée et les défis de la mobilité partagée dans le cadre de l’intermodalité, y compris les nouvelles technologies telles que la mobilité autonome. Ont été également abordés l’inclusivité dans les transports partagés, les challenges liés aux zones rurales moins desservies, et comment rendre les business-models d’une mobilité partagée viables et durables afin sensibiliser à la mobilité partagée et à ses aspects culturels.
Parmi ces enjeux irréductiblement complexes de l’adaptation et des métamorphoses des services de transport et déplacements, il y a notamment ceux liés aux distances à parcourir, à l’accessibilité et la répartition géographique plus ou moins locale des moyens de mobilité partagée, à la nature de ces moyens, électriques ou non : voitures, vélos, trottinettes, mobylettes (quelques détails en annexe).
La multiplicité des enjeux
Il s’agit d’améliorer aux horaires appropriés les liens entre lieux en fonction des réalités spatiales et territoriales : ville, campagne, familles, professionnels, services publics, commerces, centres culturels et sportifs, …
- avec les contraintes environnementales ;
- avec l’offre et la demande et leur fréquence ;
- avec l’évolution du commerce numérisé ;
- avec le télé-travail ;
- avec la mobilité des véhicules autonomes.
Mais aussi de maintenir la combinaison entre une mobilité individuelle mieux partagée et une fluidité des transports publics stratifiés : pouvoir passer du vélo au train ou au bus. Face à l’évolution multimodale de la variabilité et diversité des moyens de transport collectifs privés et publics pouvant offrir moins de dépendance à la voiture individuelle, il y a donc une grande diversité de situations et d’interactions irréductibles à prendre en compte dans la mobilité et les moyens de l’assurer, comme le problème des robots-taxis autonomes qui favoriseraient le maintien d’une mobilité individualisée que l’on constate déjà en Californie.
Se posent alors plus spécifiquement les enjeux et les contraintes opérationnelles liés à la demande croissante de mobilité partagée : leur partage, leur efficacité et leur rapidité, leur accessibilité et la flexibilité de leur disponibilité, y compris la fracture numérique rendant progressivement cette accessibilité difficile pour certains : accès aux informations sur les services et leur disponibilité, moyens de leur paiement,… Se pose dans ce contexte la question de leur coût, tant individuel que global, notamment ceux des investissements publics ou de la rentabilité et de la concurrence entre certaines offres privées.
Dans la modélisation de la mobilité, il est cependant difficile de ne tenir compte que d’une « personne moyenne » car il y a lieu aussi de prendre en compte l’inclusivité des personnes à sociabilité ou mobilité réduite dans la répartition et l’accessibilité des arrêts ou stations (ex : les escaliers) la montée dans les bus, trams ou trains, la localisation des arrêts, l’inclusivité liée aux différences d’âge ou au « genre » : femmes et hommes présentent en effet des différences non seulement physiques, mais aussi d’usages des moyens de mobilité et de type de déplacements dont il faut tenir compte : la trottinette convient-elle aux femmes et le vélo (électrique) est-il adapté pour les
personnes (très) âgées , en particulier en milieu rural sur des distances assez grandes, cela par tous les temps et toutes les heures ? Se déplacer vers une école, une famille, un commerce n’est pas équivalent à un déplacement professionnel, de loisir, de voyage (gare, aéroport). D’autres enjeux encore sont ceux des pannes possibles (ex : crevaisons, batteries) et la nécessité de pouvoir assurer une mobilité efficace et rapide en cas d’urgence.
Il y a aussi les questions liées à la sécurité individuelle de la mobilité partagée, (ex : port du casque ), à la discipline des comportements dans l’usage et sur les voies publiques, au respect du matériel et de ses infrastructures : rangement du matériel dans leurs stations de location, dégradations, vols,… Et, bien sûr, les contraintes liées à leur soutenabilité du point de vue de l’utilisation de ressources matérielles, des émissions de carbone et d’autres polluants ou à leur effet sur la santé (ex : qualité de l’air), Un autre enjeu encore est celui du partage de l’occupation des espaces publics utilisés par ces différents moyens comme les voies de circulation réservées aux véhicules partagés, des parkings spécifiques publics ou privés sécurisés, qu’ils soient gratuits ou payants.
Les moyens d’assurer cette transition, voire cette métamorphose, vers des moyens d’une mobilité mieux partagée
L’ensemble de ces enjeux impose une gestion réellement intégrative, systémique et «circulaire» par les citoyen(ne)s et toutes les organisations concernées : publiques, associatives, privées et le fournisseurs des équipements… Pour sensibiliser culturellement à cette évolution sociologique du lien avec la voiture personnelle, il s’agit notamment de jouer sur la nécessité de sensibiliser à celle de la société contemporaine : passer d’un idéal de croissance du bien-avoir vers celui d’une croissance du bien-être ou, plus concrètement, le passage d’une société de consommation trop exclusivement matérielle vers une société de consommation plus fonctionnelle dans un
contexte paradoxal de croissance d’un individualisme égocentrique et narcissique. Mettre notamment en œuvre des programmes de sensibilisation, d’information et de formation des publics concernés à ces enjeux et soutenir les pouvoirs politiques dans ces évolutions indispensables soumis notamment aux critiques des réseaux sociaux et de mouvements extrémistes.
Un atout consiste, en effet, à faire jouer aux services publics, en coopération avec les partenaires sociaux, un pouvoir catalyseur de l’émergence opérationnelle des moyens innovateurs de mobilité partagée, notamment via la fiscalité et des subventions ou en étant parmi les premiers « clients » de l’innovation proposée, ce qui peut initier le minimum indispensable de rentabilité de leur investissement économique. Sur le plan opérationnel, et via entre autres des projets-pilotes (comme des ateliers rassemblant les acteurs concernés), des retours d’expérience et des données concrètes (fournies e.a. par les fournisseurs de services de mobilité), il s’agit aussi de réglementer dans un cadre strict et clair les instruments assurant l’organisation circulaire équitablement harmonisée des services et marchés de cette mobilité partagée
aux différents niveaux : individuel, communal, régional, national, public ou privé.
Sur cette base, il est possible de définir avec la flexibilité appropriée les partages des projets, les cahiers des charges, les infrastructures, les procédures et les indicateurs-clés ; mais aussi les politiques de tarifs. Et aussi en assurer une gouvernance transparente efficace. Cette forme contrôle en temps réel le respect des programmes, tel celui de la police de la route face aux infractions au code de la route, ce qui éviterait la perte de confiance citoyenne vis-à-vis de ces politiques de mobilité (mieux) partagée.
Les projets et réalisations sont déjà nombreuses sur le terrain, que ce soit au niveau local, régional ou national et les rapports ne manquent pas sur ce sujet (voir notamment les quelques références mentionnées en-dessous).
- un partage de véhicules des services publics hors de leurs horaires d’usage ;
- des mobi-pôles pour la complémentarité des moyens de transports ;
- du covoiturage avec points d’arrêt définis, voire des horaires.
Annexe : quelques détails sur les présentations au cours de la Conférence Mobilité Partagée
Des débats constructifs ont été menés sur les mesures politiques, la valeur ajoutée et les défis de la mobilité partagée dans le cadre de l’intermodalité, y compris les nouvelles technologies telles que la mobilité autonome. Y a été présenté l’évolution de la mobilité partagée en Belgique et sa contribution à la mobilité durable, les conclusions d’entretiens avec des experts nationaux et internationaux sur la mobilité partagée, les mesures et actions développées dans le domaine de la mobilité partagée. Les trois Régions ont ensuite présenté les obstacles qu’elles ont rencontrés et ce dont elles ont besoin pour continuer à développer le transport partagé dans leur région. Ce fut suivi d’une présentation et de trois tables rondes sur l’inclusivité dans les transports partagés, les challenges liés aux zones rurales moins desservies, comment rendre les business-models d’une mobilité partagée viables et durables et sensibiliser à la mobilité partagée et ses aspects culturels.
Jacque de Gerlache, Eco-toxicologue, professeur à l’institut Paul-Lambin à Bruxelles. Conseiller scientifique auprès du Conseil fédéral belge du développement durable. Manager du site www.greenfacts.org
Pour aller plus loin :
Exemples en France :
- La mobilité partagée : une solution pour les collectivités, à l’heure où les transports représentent un tiers des émissions de CO₂. – 6 actions pour la mobilité partagée Territoires en Transitions
- Services de mobilités partagées | Mobicoop – La mobilité partagée
- Mobilité partagée : le futur du déplacement en France ?
Exemples en Belgique :
- Mobilité partagée – Service Public Fédéral Mobilité et Transports
- Mobilité partagée – Ville de Bruxelles
- Portail de la mobilité en Wallonie
- Rapport Etat des lieux mobilité partagée en Wallonie, 2024
Photo d’en-tête : Exemple de mobilité collective, le Train innovant TELLi qui est conçu par le programme Tech4Rail2 de la SNCF pour les lignes de desserte fine du territoire connectées au réseau principal. Grâce à une approche incluant matériel roulant, infrastructure, exploitation et services, il vise maîtriser les coûts globaux pour permettre une augmentation de la fréquence sur les lignes périurbaines et rurales qu’il desservira.




